Dies Lýkos 05 Sextème Léviathale

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Lui

Dragonale 67:2-8

« Le Sextème annonce l'arrivée des tempêtes et des bouleversements, Léviathan arrive avec ses cataclysmes ; plus forts seront ceux qui vivront après lui ; plus grands ressortirons ceux qui auront survécu. »

Cela faisait cinq jours que je partageais mes fins de journées, enfermé dans une salle de prière surchauffée avec des grands prêtres et des évêchesses. J'étais fatigué de les écouter discourir sur les qualités des diverses représentations qui passaient devant nous. Trop peu attentif à ce que j'étais censé écouter, je griffonnais d'encre le coin d'un parchemin, assaillis par mes propres interrogations. Les déboires des bancs de classes brûlés pendant le cours d'Amélia n'en concernaient qu'une partie, bien qu'elle m'ait assuré que personne n'ait été blessé. L'inquiétude me glaçait en pensant à l'ampleur qu'aurait pu prendre l'incident.

L'ampleur que tout cela prenait.

Tout tournait autour de Loup et de cet étrange pouvoir de feu sombre, mentionné dans plusieurs versets du Dragonale. Les descriptions de son existence ainsi que de sa fonction demeuraient nébuleuses. Parfois associé à Dragon, d'autres fois à Loup, j'en avais découvert trop peu durant ma lecture. Il fallait aussi avouer que le Dragonale est un livre archaïque écrit en patte de mouche-tique.Le raclement de gorge sec de l'une des évêchesses qui m'assistait me sortit de ma réflexion, réclamant mon attention face au sanglier présent devant nous qui me regardait, penaud, l'air d'attendre quelque chose de moi.

Quand il fut évident que je n'allais rien ajouter, elle se pinça les lèvres en prenant la parole à ma place.

 « Ce que le Primordial Nolan souhaite certainement vous faire comprendre par son silence – trancha-t-elle en ajustant la ceinture de soie rouge entourant sa taille – c'est que vos notes en runes, à peine passables, ne nous permettent pas de vous donner un avis favorable sur votre souhait de spécialisation. Néanmoins, si telle est la voie que Sanglier trace pour vous, nous vous engageons à envisager une nouvelle année dans le parcours général. » La représentation devant nous n'avait qu'une vingtaine d'années, des appréciations médiocres dans toutes les matières nécessitant un fort talent magique, pourtant il s'était présenté devant nous, le torse bombé ; le sourire arrogant, avec des souhaits à l'opposé de ces notes. D'après ma brève lecture à son arrivée, j'en avais déduit qu'il devait être l'un de ces, heureusement peu nombreux, fils de grandes familles saintes, accepté au Saint-Siège au nom de la ferveur pieuse de sa famille et m'en étais désintéressé au profit de mes propres pensées, le laissant au bon soin du clergé.

Le jeune homme fut invité à prier Chouette pour sa sagesse et sa clairvoyance, l'évêchesse le renvoya avant de s'adresser à moi avec le minimum de déférence obligatoire dû à mes titres.

 « Primordial de Loup – grinça-t-elle, contrariée, loin de moi l'idée de vous contraindre à quoi que ce soit, cependant, c'est déjà le troisième jeune gens que vous n'écoutez qu'à peine. Si vous souhaitez prolonger à votre aise, sachez cependant qu'il nous reste du travail avant votre office, sauf si vous souhaitez poursuivre un autre jour.» Le monstre voulait rappeler à l'impudente à qui elle s'adressait, je restai toutefois plus pondéré dans mes propos, sans tout à fait réussir à réprimer mon soupir résigné quand, dès la fin des délibérations, on appela le nom suivant.

Comme chaque année, la première semaine du Sextème Léviathale était consacrée à l'orientation du deuxième cycle. Nous consacrions, clercs et professeurs, un temps privilégié à chaque élève pour aborder avec sérénité leurs avenirs au Saint-siège. Certains demandaient une entrée pour le parcours paroissial, beaucoup souhaitaient entamer une spécialisation et la plupart finissaient par entamer un dernier cycle général, plus souvent recommandé pour les représentations hésitantes. L'étape était rébarbative, mais nécessaire au bon fonctionnement de la spiritualité. Je m'y étais donc fait, et ce, malgré l'absence d'un réel cardinal de Loup pour les décisions paroissiales. Je gérais depuis sept ans le travail de deux, et bien que je me fasse conseiller par des évêques, les décisions finales me revenaient de par les lois de Dragon.

Cela ne valait que pour mes Loups.

L'absence de toute représentation primordiale de Sanglier avait suscité les inquiétudes de tous quant à la surcharge de travail qui retombait sur les épaules du Saint-Père, déjà trop sollicité pour son grand âge. Le vieil homme s'était alors tout naturellement porté vers moi comme figure primordiale pour accompagner les jeunes Sangliers dans leurs souhaits.

Naturellement.

Sêbb se serait bien mieux occupé de mes représentations que je ne le faisais avec les siennes, j'en avais conscience. Amélia aurait été un meilleur choix pour les prendre en charge, n'importe lequel de mes collègues primordiaux aurait été préféré par les élèves, plutôt que moi. Tous affichaient le même air affligé quand ils me voyaient face à eux, aussi heureux de ma présence que je ne l'étais d'être là.

 « Loup est la famille – railla le monstre sombrement – tous les enfants de Dragon devraient te concerner, non ? » Il se moquait éperdument de chacune des représentations qui étaient passées devant nous, qu'elles soient de Sanglier ou de Loup, il n'éprouvait un attachement pour ces dernières que pour une question de propriété, et même avec elles, il ne me laissait pas tout à fait en paix. Il n'attendait que l'une d'entre elle, en me le faisant comprendre de bien des manières, ce qui me rendait terriblement… Distrait. Il se fichait éperdument que j'accumule deux fois plus de travail en faisant traîner ces entrevues, que ça me mette en retard pour mes cours ou non. Ce qui l'importait, depuis le premier sextème, c'était de la voir passer les portes de cette salle de prière. Je n'avais pas eu l'occasion de revoir Anna depuis la messe de Sanglier à laquelle je m'étais précipité le Dies Aprum dernier, après l'annonce d'Amélia, au détour de notre conversation sur le feu sombre.

 « Elle va bien, elle doit sûrement être à la messe à l'heure qu'il est. - m'avait-elle dit surprise, quand je m'étais enquis, très inquiet, de son état – John m'a dit qu'elle n'en manquait aucune. La pauvre petite doit se sentir obligée de montrer sa ferveur spirituelle. » Je me rappelais bien avoir planté Amélia, juste après cette phrase précise. Sans aucune pensée pour elle, l'inquiétude du monstre mêlée à la mienne avait primé sur le reste et nous nous étions rendus à cette messe. Je n'y étais allé que pour m'assurer de son bien-être, ce qui s'y était passé ensuite n'était qu'une action de plus, surréaliste et irréfléchie provoquée par la bête. C'est du moins ce que j'avais tenté de me convaincre. J'avais associé tout ça à un besoin de réconfort de la part d'Anna, une bravade de l'interdit, j'appuyais ces théories pour blesser les sentiments qui s'enracinaient trop profondément. Je ressentais la tristesse de la bête se morfondant du contact léger de sa peau, si fort qu'elle se mêlait à la mienne.

Ou peut-être était-ce la mienne ?

Je ne devais pas y penser, rien de bon ne pouvait ressortir de tout ceci. Mes propres mensonges finiront bien par tout détruire. Un gobelin du feu apparu au côté de l'évêquesse, la brume de magie rouge venant avec son apparition me ramena à la réalité, m'éloignant des je du faire un effort de mémoire considérable pour me rappeler des quelques mots entendus à la surface de mes pensées.

 « Dépêchons-nous, notre Pontife arrive pour la suivante – me chuchota-t-elle – la jeune Sanglier souhaite obtenir le droit d'une spécialisation en bio-zoologie avec l'alchimie en matière secondaire. » La mention du Saint-père me crispa, que venait-il faire ici, aussi tard, surtout pour les dernières représentations qu'il nous restait.

 « Je n'accepte personne en choix secondaire pour l'Alchimie à moins d'obtenir une note exceptionnelle à votre examen. - m'irritais-je, le ton bien plus sec que nécessaire. – Je vous invite à envisager d'autres souhaits pour la fin de l'année, sans quoi vous serez redirigé vers un troisième cycle général. - Je me forçai à ajouter les salutations d'usage spirituel – Si telle est la voie que Sanglier trace pour vous. » Je ne cherchai pas l'aval des clercs avant de renvoyer la jeune fille déçue, même si elle n'était pas de ma représentation. L'arrivée du Pape les mettait suffisamment en émoi pour que personne ne me le reproche.

 « Qu'a-t-il écrit exactement ? – m'enquis-je auprès des clercs présents – nous donne-t-il la raison de sa présence pour les dernières représentations ? » Ils s'affairaient tous à rendre la pièce plus accueillante et digne de recevoir notre Pontife, l'un faisant apparaître un lourd tapis, un autre installait un trône de bois rougit, le vernis un peu écaillé par les utilisations, en y ajoutant d'épais coussins rembourrés, surchargeant la pièce de nuances partant du carmin au pourpre.

 « Les représentations Primordial Nolan? – avança un grand-prêtre en soutane noire tressé de rouge, tirant les rideaux de la petite arche-nêtre derrière moi – il ne reste qu'une de vos représentations. »

Une ?

Ne venait-il que pour Anna ?

Un bataillon de grand-prêtres gardiens pénétrait dans la salle de prière, reconnaissable à leurs soutanes noir paré de noir et d'or, ils s'alignèrent sur le pourtour des murs de la pièce, les mains posées sur la hampe de leur lance dégainée ou sur la poignée d'une épée, le visage complètement impassible.

Douze ? Douze gardiens armés à la main pour ma représentation ?

La colère irradiait dans mon aura face à cette mascarade grotesque, ce qui garda le reste des clercs présents le plus loin possible de moi. Cet étalage de protection ne voulait dire qu'une seule chose pour moi : l'histoire du banc brûlé avait pris une ampleur disproportionnée et elle allait payer les frais de l'étendue que pouvait prendre une rumeur au Saint-Siège.

« Nous la protégerons – gronda le monstre fermement – je ne laisserai pas des grenouilles de bénitiers lui faire quoi que ce soit. » J'allais répondre que ceux qu'il nommait ainsi étaient des prêtres surentraînés pour le combat et gardiens personnels du Pontife quand celui-ci passa la porte, l'air aussi irrité que je l'étais. Sobrement vêtu pour son titre, le patriarche ne portait qu'une soutane carmin, sous une courte pèlerine et une ceinture de soie de la même teinte que l'ensemble.

 « Il suffit, il suffit ! Vous êtes ridicules – l'entendis-je dire d'une voix ferme, suivi d'un évêque de soin paré d'argent – tout cela n'est pas nécessaire, je ne suis pas un jouvenceau ! » Il me regarda enfin, ce vieil homme qui paraissait vouloir chasser le moindre des prêtres présents à coup de balais.

 « Tu te rends compte, Nathan ? - grommela-t-il en s'installant à côté de moi, indifférent à ma rage. – J'ai l'impression d'attendre un monstre de trente tonnes. Bah ! Qui suis-je après tout ? Juste le Primordial de Dragon.» Son exaspération manifeste eut des effets sur mon aura colérique, s'amenuisant avec les regards outrés q u'il lançait à chacun des gardiens présents.

 « Que Dragon me garde de votre entêtement. — soupira-t-il — Faites entrer cette pauvre enfant. » La porte s'ouvrit sur elle, ces premiers pas incertains à l'intérieur furent suivis du chuintement d'une arme glissant de son fourreau. Mon corps bondit tel un ressort de colère trop compressé, me propulsant entre elle et le plus jeune gardien qui la menaçait de son arme, presque dégainé. La seconde de cet instant s'étira, la tension dans la pièce devenait électrique, l'homme armé me fixait, surpris de ma vivacité, le monstre hurlait dans ma poitrine, m'incitant à l'attaquer au prochain mouvement fait dans notre direction. Le pouvoir dragonal du Pape s'éveilla dans la pièce, sa voix devenue caverneuse ordonnant notre attention à tous.

 « Maintenant que tout le monde a pu voir que cette jeune femme n'est pas un basilic cracheur de feu – tonna-t-il – j'exige que vous sortiez tous sur le champ. » Un ordre de Dragon ne pouvait être réfuté, surtout par ceux qui lui ont prêté allégeance. Le moindre clerc présent fut contraint à quitter les lieux, sans préavis. J'en ressentis la puissance, mes muscles bataillèrent contre l'injonction, mais la force qui me tourna vers Anna fut plus forte que l'obligation de les suivre. Ses joues rougies faisaient ressortir ses éphélides en accentuant l'intensité du trésor de son regard vert illuminé, attaché au mien.

 « Nathan – m'appela le vieil homme, la voix éraillée par l'utilisation de son pouvoir Dragonale – maintenant que tout le monde est sorti et que tu t'es assuré qu'elle allait bien, nous pourrions peut-être commencer ? » Je l'aurai attrapé par la main, sans ma maîtrise sur le monstre. Je réprimai son élan possessif en fermant les yeux, barrière qui me permit de me détourner d'elle et d'aller m'asseoir tout en morigénant le monstre pour son impulsivité. Assis face à elle, j'admirais le calme qu'elle affichait devant le Saint-Père qui ne se cachait pas pour l'étudié. Sa nervosité n'étant perceptible qu'à la légère odeur qu'elle dégageait, je ne m'en inquiétais pas, dans la mesure où je n'éprouvais aucune menace venant de notre Pontife.

 « Jeune Torner, enfant de Loup – commença notre Pape, sans s'attarder – Tu es à Dragon depuis si peu de temps, pourtant ton nom est sur toutes les lèvres. Certains de tes professeurs décèlent des dons exceptionnels en toi, d'autres émettent des réserves bien particulières. D'après les rumeurs des prélats, tu aurais ravagé une salle de classe, mis en cendre plusieurs de tes camarades ; j'ai même entendu une histoire parlant d'un monstre à la chevelure de feu crachant des flammes, tel Dragon même. » Durant ce discours, Anna était passée de la simple nervosité à la peur. Je la vis même effleurer son épaule, un geste que je l'avais déjà vu faire à plusieurs reprises, avant de venir chercher l'appui de mon regard avec ses prunelles devenues presque grises.

 « Pourtant – continua le Pape, attirant à lui le maigre dossier d'Anna, inconscient ou indifférent à notre échange de regard – je ne vois devant moi qu'une jeune représentation de plus, non pas un démon ni un fléau ou un cataclysme envoyé par Dragon. Alors, à moins que je ne me trompe et que tu décides de me rôtir sur place, j'aimerais connaître tes souhaits pour ton avenir au Saint-Siège. » La pulsation du rythme cardiaque d'Anna demeurant erratique, je la voyais se mordre la lèvre sans savoir par où commencer ni ce qu'elle pouvait réellement dire. J'inspirai son doux parfum sucré et je décidai de lui venir en aide, sans prendre la peine de lire sa fiche.

 « Anna – l'appelai-je doucement, verrouillant deux puits gris bleuté sur moi — que veux-tu faire, plus tard ? Quel métier envisages-tu ? Je connais tes notes, j'entends ce que disent tes professeurs, mais ce que je veux, c'est ta réponse. » Mon approche surpris le Pape, peu habitué à me voir être aussi doux. Il décida pourtant de me laisser faire. Moi-même, je me laissais entraîner par la bête, détruisant la moindre de mes résolutions dès qu'elle était proche de nous.

 « Je – J'ai eu de nombreuses années pour y penser, – avoua-t-elle. – Plus jeune, je voulais être comme... Enfin, avant, je voulais être herboriste. C'était – c'est un métier qui ne nécessite que très peu de magie, mais désormais, je – hésita-t-elle, - j'aimerais me spécialiser en alchimie. » Mon cœur bondissait dans ma poitrine à cet instant, même si ce choix n'aurait pas dû m'étonner, l'entendre le dire à haute voix me mettait dans tous mes états. Pourtant, il fallait que j'aborde un sujet plus délicat, pour son bien.

 « C'est un excellent choix, tes notes en Alchimie sont exceptionnelles, — ronronnais-je presque, un doux grondement vibrant dans ma cage thoracique — Tu es intelligente et merveilleusement douée, je serais honoré d'avoir une élève de ta qualité en spécialisation. » Le monstre voulait croire que c'était dû au ton de notre voix qu'elle rayonnait ainsi ; que ses prunelles reprenaient lentement leurs belles teintes turquoises. Étant plus réaliste que lui, je les imaginais plutôt revenir grâce à mes éloges, celle-là même qui étonnait encore plus le vieil homme attentif à notre échange.

Je me maudis autant qu'Amélia pour ce qui allait suivre.

 « Cependant, j'aimerais que tu envisages un parcours secondaire. D'après le professeur O'Neil, tu as une volonté magique puissante et la Primordiale de Chouette pense que ton lien avec Loup défie toute mesure. J'aimerais donc que tu réfléchisses à prendre la voie des arcanes comme parcours secondaire à l'alchimie. » Un parcours secondaire voulait dire moins de temps avec moi en Alchimie et plus de cours pour elle. La peur qu'un incident bien pire que le précédent subvienne m'étreignait. Savoir qu'on pourrait me l'arracher du jour au lendemain, parce qu'elle pouvait représenter un danger pour les autres, me terrifiait suffisamment pour privilégier sa sauvegarde à mon égoïsme.

 « Je ne laisserais personne te contraindre à quoi que ce soit, Anna – me sentais-je obligé d'ajouter, plein de sentiments trop protecteurs du monstre – Aujourd'hui, nous ne faisons que discuter et prendre en compte tes souhaits. Tu ne dois rien décider de définitif, mais, si tu le souhaites, vers le mois d'Onzème, le Saint-siège organise une initiation aux arcanes. Je peux y inscrire ton nom, cela ne t'engage à rien de plus qu'une demi journée de ton temps. »

 « Je vous fais confiance Primordial, je – si vous me le proposez, c'est que j'en suis capable. Inscrivez-moi » Finit-elle par me dire en rosissant.

 « Dragon, aide-moi à ne pas succomber. » priais-je en m'arrachant de la vue de sa peau rougie. Le monstre n'aidant clairement pas, je me plaçai en retrait cette fois, les yeux mi-clos, en réprimant le désir montant qui croissait, enflammé par son regard. La présence du Saint-Père m'enjoignait à agir d'une manière plus raisonnable, j'attendis donc en silence qu'il cesse de caresser sa longue barbiche blanche pour reprendre l'entretien.

 « Je suis satisfait de constater que tu connais la valeur de la patience, jeune Torner - mentionna-t-il la voix emprunte d'une évidente satisfaction – je n'ai pas grand chose à redire de votre échange. J'ai presque l'impression d'être venu pour rien – lui sourit-il – je dois toutefois ajouter quelque chose dont nous devons discuter. »

Une quinte de toux le secoua, raclant sa gorge durant plusieurs secondes.

 « Je vais chercher le grand-prêtre », le prévins-je, dépassant Anna quand il me demanda de m'arrêter.

 « Attends Nathan, ça ne prendra pas longtemps. - exigea-t-il avant de s'adresser à Anna. – Jeune Loup, normalement, tu aurais dû être prévenu plus tôt, mais j'ai pêché par manque de temps. Cependant, pour l'ascension de Dragon, en Novème, tu devras avoir un bijou de représentation serti d'une pierre dédiée à Loup. Les élèves doivent tous en avoir une dès les souhaits prononcés. C'est une loi de Dragon à laquelle personne ne peut déroger. » Placer comme je l'étais, je ne voyais que le dos raidi d'Anna ainsi que les yeux voilés, luisant de dépit du vieil homme. Mon propre bijou, une large bague sertie d'un onyx, brillait à mon index, tellement habitué à sa présence que je n'y pensais même plus. Mon poing se serra en me rappelant son coin de dortoir, vide ; de l'échange qu'elle avait eu avec sa camarade Bennets, sans famille, pour la soutenir : comment allait-elle trouver le moyen de s'offrir un tel luxe ?

Ses épaules voûtés me trahissaient son mensonge avant même qu'elle ne le prononce.

 « Je comprend Très saint-père, merci de m'en avoir averti. J'en aurais une d'ici là. » Ce petit ton brave et tremblotant ne trompait personne, seulement une nouvelle quinte de toux du Pape attira l'attention des prêtres postés à l'extérieur et Anna fut renvoyé, au plus grand regret de la bête. Je la regardais sortir de la salle de prière, amer, en attendant patiemment que le prêtre de soin finisse d'appliquer sa magie sur la poitrine du vieil homme.

Il me paraissait de plus en plus petit, lui qui avait été si grand autrefois. Cela sembla toutefois le requinquer suffisamment pour parler, d'une voix éraillée et quelque peu essoufflée, mais parler quand même.

 « Pourquoi les cours d'arcanes ? » me demanda-t-il enfin, intrigué – Au fait, je ne t'ai jamais vu comme ça, tu l'appelles même par son prénom, c'est nouveau ? »

 « Une idée d'Amélia – lui dis-je sans mentionner la question à laquelle je répondais – Elle pense que cette représentation a un pouvoir spirituel qui dépasse de très loin le sien ou le mien. Pour ma part, je sais que Loup est intervenu plusieurs fois en sa faveur et – je réfléchissais à un point précis de ma discussion avec Amélia quand je lui posai la question – Saint-père, dites moi. Si je vous dis « Mea Essentia, » à quoi pensez-vous ? »

Le voile de cataracte se dissipa pour illuminer ses pupilles d'une troublante teinte rouge.

 « Je n'ai plus entendu ces mots depuis les histoires de mon grand-père, qui si ma mémoire est bonne, ce qu'elle n'est plus vraiment, les tenait déjà de son propre aïeul. Pourtant – murmura-t-il – je sens que je devrais les connaître, ils réveillent le feu en moi. Loup, tu dis ? Ça me semble dans l'ordre des choses. » Si je comptais par génération, au vu de l'âge avancé du Pontife, on parlait d'un savoir datant d'au moins dix générations.

 « Allons, nous sommes restés suffisamment dans cette pièce humide, mes vieux os ont besoin d'un bon feu et de tranquillité ».

 « Vous n'êtes pas si vieux – souriais-je tristement face à la chaleur étouffante d'un âtre brûlant – juste un peu ridée, de ci de là ».

 « Ne te moque pas trop, la vieillesse arrive plus vite qu'on ne le pense. Elle nous tombe dessus, sans qu'on puisse rien y changer. Maintenant, vas te préparer pour ton office. Le parchemin est déjà sur ton bureau. »

Je voulais l'aider à rentrer vers ses appartements ; mais il me renvoya vertement.

 « Nathan – m'appela-t-il quand je fus à la porte – Je ne peux pas favoriser une représentation d'une autre. J'espère que tu le sais. »

Je ne me retournai pas pour lui répondre.

Je le savais, mais ça ne m'engageait en rien. Je devais juste trouver la bonne manière d'agir.

Tout collègue qui m'aurait croisé dans le couloir à cet instant ne pourrait soupçonner pourquoi je souriais. Après tout, on était Dies Lýkos. C'était le jour de la messe de Loup.

 « Nous trouverons un moyen de la voir sourire à nouveau », me gronda la bête, pensant déjà à cet instant, trop bref, où je l'aurais entre mes doigts.

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