Dies Drákon 18 Septème

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Lui

Dies Drákon 18 Septème

Dragonale 10:2-6

« La conscience des limites naît avec le besoin de les franchir ;

dévier du chemin nous aide à comprendre l'importance de suivre la véritable voie tracée par la foi ; croire s'est parfois douté, non pas de Dragon, mais de soi. »

Je me débattais contre un sentiment de tristesse invisible, plongé dans l'obscurité d'une brume noire et épaisse quand j'entendis aboyer une première fois, sans pouvoir localiser le son.

 « Réveille-toi ! » L'aboiement forma des mots, je reconnus l'intonation désagréablement familière du monstre quand sa silhouette apparue, sa main griffue, de la taille de ma tête, se tendit vers moi, me retournant une monumentale baffe.

La brusquerie de son geste me réveilla, me laissant découvrir une nouvelle paire de draps déchirés, mon corps moite des sueurs nocturnes et l'humeur plus que grognonne en voyant les pâles lueurs de l'aube traverser l'arche-nêtre. Je faisais des cauchemars depuis quelques jours, s'était pourtant la première fois que le monstre me réveillait de cette façon.

 « Ça me démangeait – grogna-t-il – je t'aurais laissé là dedans plus longtemps si ça servait à quelque chose, mais- ». Je le fis taire d'une pression de magie, je connaissais la suite, pour y avoir droit depuis plusieurs aubes. Mes mauvais rêves différaient de bien des manières, me mettant parfois en colère, me rendant triste, amère ou devenant même douloureux. Le point central qui les reliait était Anna. Toujours Anna et les ténèbres. Je m'habillais à la hâte, regardant à peine mon reflet dans le miroir. Les cernes qui marquaient ma peau lui donnaient une teinte terne et blafarde, correspondant à mon humeur morose de ces derniers jours.

Jetant les draps lacérés par mon sommeil agité, je m'arrêtai un instant devant mon bureau, la dernière lettre d'Anna y traînant depuis deux jours, sans réponse. Elle m'y avait mentionné pour la première fois un certain « Christophe », sans que je sache qui il était. Ce simple mot tracé alimentait mes sombres nuits. Le premier jour, j'avais mis mon absence de réponse sur la colère ressentie par le monstre, lui imputant la responsabilité des sentiments négatifs qui m'habitaient. Hier, j'avais compris que c'était la jalousie que je réprimais qui m'empêchait de lui écrire, non pas celle du monstre. Répondre m'obligerait à écrire au sujet de cet homme, je me sentais incapable d'être impartial.

 « Nous devrions tout de même lui écrire ». Gronda, l'irritante bête.

Non, j'étais résolu à ne pas lui répondre. Laisser s'éteindre notre correspondance m'apparaissait plus sage, qu'elle profite de cet homme, celui qu'elle avait le droit d'avoir.

 « C'est nous qu'elle a embrassé ce soir-là, – avança-t-il, plus prudemment qu'il n'en avait l'habitude – pas lui. » Une main de minutes fut nécessaire pour que je sois dehors, ignorant les mots du monstre. Je me mis à courir sur les sentiers des montagnes environnantes. Mes foulées soulevaient des nuages de poussières, j'effrayais des faisans sur mon trajet, vu s'envoler un couple de wolpertinger sans me soucier d'être discret. Je ne chassais pas, j'épuisais l'énergie bouillonnante d'une bête provocante qui suscitait un souvenir que je tentais de repousser le plus loin possible, sans grand succès. Anna nous avait surpris en nous embrassant, un baiser délicieux et étonnamment imprévu qui avait duré longtemps, auquel j'avais mis fin grâce à un effort incroyable de maîtrise. Le même effort, pour me forcer à dissimuler ses souvenirs derrière mon sceau mémoriel.

Effacer la mémoire d'Anna était la meilleure solution à faire, c'était le plus sûr pour elle, me martelais-je, encore et encore, ne parvenant pas tout à fait à effacer le vert dans ses yeux ; la douceur de ses lèvres et l'ardeur de notre étreinte.

 « La réciprocité de nos sentiments aurait été un beau cadeau d'anniversaire à lui laisser, mais tu t'entêtes et nous risquons de la perdre. » La vérité de son affirmation me poignarda, aussi douloureusement que la première fois qu'il l'avait mentionné. Je souffrais assez de mon geste pour qu'il en rajoute.

 « Si tu continues dans cette optique, c'est que tu ne souffres pas assez. Tes cauchemars s'intensifient et tu nous épuises. » Ce n'est pas comme si je décidais d'en faire. J'avais déjà tenté plusieurs philtres pour des nuits sans rêves, mais aucun n'avait influencé mon sommeil. Au contraire, celui d'hier soir m'avait enfermé dans ma tête. Je refusais pourtant de croire que retirer les souvenirs d'Anna en était la cause. La colère chagrinée du monstre afflua dans mes veines, me brûlant telle la lave d'un volcan en éruption.

 « Non ? Tu ne rêves pas d'un stupide nom ? Attends-tu de les voir ensemble dans la réalité pour réagir ? » Je me rendais compte de m'être arrêté qu'une fois mon poing figé dans un arbre, ma peau blessée par l'écorce brisée. Non, je ne voulais pas voir ça ; mais avais-je voix au chapitre ? La laisser dans l'inconscience de la réciprocité de nos sentiments lui garantissait une vie stable à Dragon, une place et un foyer sain.

Des choses qu'elle n'aurait pas avec nous.

Je ne voulais pas être celui qui, par égoïsme, la regarderait subir un nouveau rejet spirituel, même si cela impliquait la torture de voir la place qu'elle voulait me voir prendre, céder à d'autres.

Le poing sortit du tronc, je grimaçais des nombreuses grosses échardes dans les blessures. Pensant au premier vers d'une prière de soin, je me ravisais rapidement, car Loup se tenait silencieux depuis plusieurs prières. Muselant le monstre, je ne lui accordai pas le temps de me rabâcher de son point de vue et m'appliquai à retirer le plus de morceaux de mes plaies. Je me voyais mal expliquer que je boxais les troncs d'arbre comme nouveau passe-temps. Humant l'air, je fis une rapide reconnaissance olfactive du lieu en vue d'établir, à peu près, la distance que j'avais parcourue, me demandant si j'allais rentrer à pied ou s'il valait mieux que je me téléporte. L'heure n'étant toutefois pas encore assez avancée, je préférais marcher, la course n'ayant pas eu les effets escomptés. J'espérais que la balade retour change quelque chose. La marche s'étant révélée infructueuse a apaisé mes réflexions peinées. Je l'avais prolongée par une recherche approfondie de quantités de racines, suffisante pour me durer jusqu'à demain soir en quantité de travail.

Durant les jours qui ont précédé, les trop nombreux levés matinaux avaient épuisé le stock de mes tâches à faire pour les cours, j'en concluais que seul le travail réussirait à m'occuper suffisamment les pensées. Cette idée en tête, je me téléportai enfin, les bras égratignés, surchargés de plantes ; de racines, les vêtements maculés de terres et de tâches d'herbes collant à ma peau suintante. Au environ de dix-huit heures, je m'occupai à nettoyer méticuleusement, une à une, chacune des racines, lorsque un gobelin vint me déranger. Celui-ci, un jeune à la vue de sa peau rouge très vive, semblait attendre quelque chose de moi, car il ne portait aucun message sur lui et attendait, en me fixant, que j'ai terminé. Le petit curieux braquait son regard vif et encaissé sur chacun de mes gestes, sans ciller. Je perdis patience au bout de deux plants.

 « Que me veux-tu ? — grognais-je, m'essuyant les mains rageusement — sais-tu qu'il est malpoli de fixer les gens ? Autant que de déranger un Primordial en plein travail. » Le petit ne m'avait rien fait, m'emporter contre lui ne résoudrait aucun de mes problèmes, mise à part étancher la colère que je ressentais du monstre.

 « C'lui – celui – celui-ci – est envoyé par le chancelier – balbutia le jeune gobelin – celui-ci est très désolé, celui-ci demande pardon d'avoir dérangé le Primordial de Loup – celui demande pardon, celui-ci est - »

Agacé, je l'arrêtai avant qu'il ne s'excuse encore.

 « C'est bon, c'est bon, tu es pardonné. Que me veux Liam ? » Je voulais rester seule avec mes plantes, le terroriser ne ferait que prolonger un peu plus sa visite.

 « Le chancelier a – il a demandé à celui-ci de vous dire qu'il voulait vous parler en salle des professeurs. Celui-ci n'a pas reçu d'autres informations juste "Va chercher le Primordial de Loup et dit lui que j'ai à lui parler" Celui-ci n'a rien d'autre, celui-ci s'excuse, celui - »

 « Va lui dire que j'arrive. »

Il n'en fallut pas plus au jeune gobelin apeuré par mes grognements pour ce téléporter.

Que me voulait Liam ? Nous étions Dies Drákon, c'était le jour de Dragon, personne n'était sensé travailler. Avec un soupir, je jetai un coup d'œil à mes vêtements en loque ainsi qu'à ma main en piteux état. L'idée de me changer me traversa, toutefois je décidai qu'il pourrait bien supporter ma vue ainsi, lui qui me dérange un jour de repos. Les couloirs du donjon se vidaient de toutes représentations le Dies Drákon, les seuls élèves que j'y croisais, en me rendant en salle des professeurs, venaient ou allaient à la bibliothèque. Cela plaisait à la bête de les voir baisser les yeux ou détaler à ma vue. Comme des petits lapins pris en chasse par le grand méchant loup. Je passais la porte de notre salle de repos pour y trouver Amélia attablée avec Liam, en pleine conversation animée. Tous portaient des vêtements civils. Cela me faisait plaisir de voir mon amie retrouver petit à petit le sourire, même si ce n'était pas avec moi. Par ma faute, nous nous étions un peu éloignés, elle me soupçonnait à raison de lui cacher beaucoup de choses et, sans explication à lui fournir, nous ne nous parlions plus que de manières superficielles.

Liam fut le premier à remarquer ma présence, son visage souriant trahis un certain ébahissement à ma vue.

 « Dragon ! Nathan ! Tu t'es battu avec des buissons pour être dans cet état ? » Il n'était pas si loin de la vérité, un arbre, des buissons, des mottes de terres et beaucoup d'épines. Cela dit, je n'étais pas venu pour discuter de ma journée. Ma mauvaise humeur transperça dans mon ton bref et cinglant.

 « Tu m'as fait demander. Qu'est-ce que tu veux ? » Le sourire de mon collègue tremblota à mon ton incisif. J'effrayai tout le monde ces jours-ci, mon attitude dissuasive les tenait éloignés.

 « J'ai un papier à te faire signer, en tant que Cardinal de Loup. C'est important. »  S'était tout ? Il me dérangeait pour ça ? Je me dépêchais d'aller lire ce qu'il voulait que je signe. Le document notifiait l'arrivée du nouveau professeur d'arcaness, un dénommé Tomas Pereira. Aucune date n'y était mentionnée.

 « Tu aurais pu me faire porter le document par ton nouveau gobelin – grommelais-je tendant la main vers la plume encreuse de Liam – il arrive quand le nouveau ? » Je me rappelai de ma main blessée quand Amélia me surpris en l'attrapant. J'oubliais quelques fois la propension d'Amélia à vouloir prendre soin de tout le monde, qu'importe son état d'esprit vis-à-vis de ce « monde ».

 « Assied toi – m'exigea t-elle – je te soigne et tu prendras cinq minutes de ton mystérieux temps pour discuter avec nous. » L'amertume dans la voix de mon amie me piqua plus que je ne l'aurais pensé, assez pour que je fasse ce qu'elle me demandait, sans rechigner. Prenant une chaise à côté d'elle, je la regardai concentrer sa douce magie aigue-marine, sondant ma main à la recherche de toutes lésions. Liam s'étant repris, il me répondit comme si de rien était, souriant, les mains croisées posées sur sa bedaine.

 « Il devrait être là un peu après le prochain Dies Drákon. Tout a été très vite, sa candidature, son test d'arcaniste. Heureusement, nous avions une évêchesse habilité parmi les troupes parties renforcer Fort-Céleste. À partir de là, ça a été facile de tout mettre en place. » Fort-Céleste ? Un document m'était passé sous les yeux à ce sujet. De nombreux meurtres y avaient été perpétrés. La ville se trouvant au bord du territoire de Manticore, la paroisse locale avait craint une attaque de la spiritualité ; j'avais lu et signé le démenti du Pontife à ce sujet.

 « Comment tu le prends ? » demandais-je soudainement à mon amie, ma main toujours dans les siennes malgré la fin des soins. Elle haussa les épaules à ma question, les yeux baissés sur mes doigts.

 « Ce n'est qu'un poste. Ce sera bénéfique pour nos représentations d'avoir un nouveau professeur d'arcanes. »Elle pressait ses petites mains contre la mienne en parlant, seul témoin, que son indifférence et sa voix maîtrisée n'était qu'une façade. Je jugulais ma volonté d'approfondir le sujet, elle prendrait très mal que je la dévoile, même devant Liam. Il y avait de la distance entre nous, elle n'en restait pas moins mon amie. En dépit de mon idée première, je passai plus de temps que prévu avec mes collègues. La présence de mon amie aidant, je m'extrayais de mon nuage de pensée morose. Liam nous quitta le premier, arguant qu'il avait encore à se préparer pour l'office du pape avant d'aller manger, nous laissant seuls, rendant l'ambiance inconfortable. Sa mention de l'office fit retomber mon humeur, je gardais toutefois un sourire crispé pour mon amie.

 « Je vais aller manger.- me dit-elle sèchement, en ce levant. - Tu devrais aller prendre une douche avant de venir, ou au moins te changer pour l'office. Ça ne ferait pas très respectueux un Primordial tout sale dans la cathédrale. »

Je n'avais pas encore bouger qu'elle atteignit la porte. Sa voix me parvint plus douce.

 « Nath'.. Tu es mon ami, je m'inquiète pour toi. Si tu ne veux pas m'en parler, très bien ; mais tu devrais prier Loup. Nos tutélaires trouvent toujours le moyen de nous faire comprendre notre voie. » Ne me laissant pas le temps de lui répondre, elle se fondit dans un nuage de magie bleuté clair, seul à seul avec moi-même.

Je déplorai la situation dans laquelle je me trouvais. Penser à la messe me menait inéluctablement à revoir les moments que j'y passais avec Anna, les mêmes que j'évitais depuis deux jours.

Abattu et fatigué, je retournais à mes propres appartements, me téléportant au salon, avec la ferme intention de ne pas me rendre à la cathédrale ce soir. Rien ne m'obligeait à y aller, je n'avais aucun compte à rendre. C'est du moins ce que je me disais en m'effondrant sur mon canapé. Le meilleur choix de place pour me faire réfléchir.

De là, j'avais une vue sur mon petit bureau personnel, celui sur lequel attendait le parchemin d'Anna. Le même, au-dessus duquel trônait le superbe paysage Manticale peint par Anna.

Rien ne m'y forçait, mais elle attendait cette lettre, attendait de me voir ce soir. Je le savais parce qu'elle me l'avait écrit dans l'un de nos nombreux échanges. Elle espérait ma venue à chaque office, souhaitait me sentir à chacun d'entre eux. Il pouvait ne rien s'y passer, j'aurais le plaisir de la voir. Mes choix ne devaient pas toujours faire souffrir quelqu'un.

Je tergiversai en partant me laver, pinaillai sur les détails en me tressant les cheveux. Finalement, je décidais d'y aller, mon pantalon chino noir enfilé, la chemise en lin sombre assortie, boutonnée au trois-quarts.

Le ciel crépusculaire baignait ma chambre de ses couleurs rouge orangées, m'avertissant qu'il était plus que temps que je me mette en route.

Les portes de la cathédrale ne seront sans doute pas encore fermées, la salle se trouvera noire de monde, ce qui me permettra d'aller la rejoindre.

La bague à mon index se mit à chauffer, signe que je me rapprochais d'Anna, suivi du bourdonnement de l'onyx qui y était enchâssé. Je ne m'habituais pas tout à fait à cette nouvelle sensation, encore récente, à mon doigt. Ces étranges phénomènes sont apparus après l'unification du bijou d'Anna. J'avais prié Loup de lui apporter sécurité et protection, en utilisant tout l'amour que j'avais pour elle comme moteur à ma prière. Dès lors, mon onyx m'avertissait de sa proximité en bourdonnant, la vibration s'accentuant contre ma peau jusqu'à ce que nous soyons assez proches.

D'ailleurs, je la voyais de dos, à l'entrée de la cathédrale, discutant joyeusement avec un groupe de prêtres. Je me satisfaisais grandement de ces nouvelles amitiés, signe que le corps ecclésiastique l'acceptait enfin. Cela ne pouvait être que bon pour elle. Ma possessivité gronda dans ma poitrine lorsque l'un d'entre eux, un blond vêtu de l'habit des gardiens, posa sa main dans son dos. Je me demandai qui était ce coq de basse classe sur lequel je m'apprêtai à fondre, sans réfléchir, quand une étreinte glacée me prit au ventre.

Le fameux Christophe ?

Les lettres de son nom calligraphié dansaient devant mes yeux ternis.

 « Je te l'avais bien dit », entendis-je chuchoter dans mon âme, sans que rien d'autre ne s'échappe de sa cage, sinon de la jalousie morose.

Passant à côté d'eux, sans adresser un regard à leur petit groupe, je m’engouffrai dans le lieu saint, bondé, comme je l'avais prévu en me frayant un chemin vers le fond de la salle. Je m'adossai à notre pilier, celui derrière lequel nous nous faufilions pour nous retrouver en présence l'un de l'autre. Les portes menant aux donjons furent fermées, les intonations du Pontife me parvinrent, amplifiées par la magie des prêtres qui l'entouraient. J'écoutais la voix usée du vieil entamer l'accueil, convaincu qu'elle ne viendrait plus.

Mon onyx m'affirma le contraire, vibrant intensément contre ma peau.

Malgré ma résolution qu'il ne se passerait rien, je la cherchai dans la foule, la bête autant aux aguets que je ne l'étais. Ce fut elle qui nous trouva. Elle se plaça à côté de moi, sa main se glissant dans la mienne, hésitante. Soulagé qu'elle prenne les devants, je la serrai avec force alors que le Pape appelait au premier recueillement. Je nous représentais, main dans la main, recueillis la paume levée.

 « Mes enfants – clama le Pontife – aujourd'hui est jour de Dragon, par lui tout débute et avec lui tout se termine, mais nous demeurons à jamais, les écailles de son être, des fragments d'un tout, plus grand que ce que nous ne serons jamais. »  Anna se pressait contre mon bras tout en l'agrippant de sa seconde main. Ce contact, différent, la rapprochait un peu plus de moi, je sentais ses yeux glisser sur moi à plusieurs reprises. Je fis un effort surhumain pour ne pas me plonger dans ses merveilleuses prunelles en gardant mon regard perdu dans la foule. Les battements de son cœur pulsant entre mes doigts, j'écoutais à peine le chœur de prêtres entonner l'un des nombreux chants de Dragon. Je me concentrais à ne pas m'imaginer faire quelque chose de stupide.

 « Dragon est l'ensemble, c'est l'air que nous respirons et chacune des cellules de notre air. Il nous unit ainsi à chacune de ces choses qu'il a créées pour nous, car en chaque chose il vit et demeure. » Ma respiration se raccourcissait, Anna était si proche que je n'avais plus besoin du monstre pour me souvenir à quel point il avait été délicieux de l'embrasser. La chaleur de sa peau m'excitait, son parfum m’enivrait, mêlant sauge et mûrier avec une pointe de transpiration.

 « À Dragon, nous offrons, durant ce crépuscule, notre foi sacrée. À lui nous adressons nos plus ferventes prières ; avec lui nous avançons, grâce à lui nous apprenons. Souhaiter, prier, car Dragon, le premier des quatre grands, vous entend. Recueillons-nous et demandons lui de nous garder unis, dans la vie et par-delà la mort. » Un changement s'opérait du côté d'Anna, elle trépignait sur place sans que j'en comprenne la raison.

 « Le soleil se couche et avec lui se termine le crépuscule de Dragon. Nous, les serviteurs de sa foi, unifions nos pensées en le remerciant d'unir nos âmes de ses rayons bénéfiques. Tous nous offrons notre dévotion à Dragon, dans le respect de nos coutumes et de ses paroles. Sa magie vit en chacun d'entre nous et nous nous unissons par son feu sombre. Ressentez le lien qui unit chacun d'entre nous. Vivez le lien, suivez-le, car il est le guide de votre vie. » Notre Pontife appela à venir recevoir l'unification, Anna ne semblait pourtant pas vouloir me lâcher. Moi non plus, je devais l'avouer.Nous étions figés derrière notre pilier, la foule se dirigeant vers l'estrade, elle leva un regard vert interrogatif vers moi, je m'y plongeai, occultant les alarmes qui vrombissaient dans ma tête. À l'opposé de tout bon sens, je l'attirai contre moi, ma main libre posé sur sa hanche, elle posa sa tête contre mon torse. Les secondes que durèrent cette délicate étreinte se figèrent. Une, deux, cinq. Ma conscience me rattrapai, seulement le monstre fut plus rapide qu'elle.

Il gronda « Mienne » si bas que je doutai même qu'elle ne l'ait entendu.

Je la tenai encore, avant que mon bon sens ne me revienne et que je m'écarte d'elle. Je me permis de la caresser des yeux encore une longue seconde avant de m'éclipser dans un nuage de magie, conscient qu'il valait mieux que personne ne sache que j'étais là bas ce soir.

Loin de l'effervescence de la cathédrale, j'éprouvais encore les sentiments qui avaient rejaillis à son contact.

Je ne voulais pas que quelqu'un d'autre l'aie dans ses bras.

Loup nous avait donné un lien, d'une certaine façon, et j'allais prendre ce chemin. Peu m'importait le temps que cela prendrait, je le lui ferai comprendre. Il existait une solution.

J'étais peut-être égoïste après tout.

Prenant un socle de bois, un parchemin et un calame, je partis m'installer à mon arche-nêtre, les yeux posés sur le dernier quartier de lune. Je priai l'astre-mère de guider mes pas et me mis à écrire.

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