Aspho d'Hell : AKA Nachtmahr - "Entre deux os"

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Nous voilà partis, chacun avec son levier, boitant dans la neige qui commence à fondre.
— Le cimetière est par-là ! crie Flavien en montrant du doigt la direction à prendre.
Nous lui emboîtons le pas et, peu après, arrivons devant le haut portail en fer forgé.
Melvin, la gueule cassée du groupe, prend la tête du cortège et abaisse la clenche dont la peinture s’écaille.
Durant un instant, elle résiste, mais finit par s’ouvrir dans un grincement sinistre.
—Le mausolée du Requin Lacustre se trouve de l’autre côté du cimetière, indique Flavien en jetant un œil à la carte qu’il a dépliée à terre sur les gravillons blancs.
— Un mausolée ! Un putain de mausolée ! Pourquoi personne m’a dit que c’était pas une simple tombe, gueule Vito à l’adresse de Flavien qui recule vivement manquant de tomber à la renverse.
— Tu veux m’dire c’que ça change ? intervient Melvin en se postant devant lui, le visage à quelques millimètres de celui de l’italien.
Vito soutient son regard quelque secondes puis baisse la tête.
— Rien, ça change rien du tout, bougonne-t-il avant de déglutir bruyamment.
— J’aime mieux ça…
Ces deux-là se bouffent le nez depuis que je les ai recrutés pour ce boulot. J’aurais pu virer l’un des deux, mais je sais que j’aurais perdu au change, ils sont les meilleurs dans leur branche ; qu’ils s’entre-tuent après ne me pose aucun problème de conscience.
La carte repliée, Flavien progresse agilement entre les stèles qui brillent sous la lune. Je ferme la marche, pied de biche sous le bras et revolver sous la ceinture. C’est pas tous les jours qu’on vole le pactole d’un parrain de la mafia. Et je compte bien récupérer jusqu’au dernier centime du magot...

Après le dîner, vers deux heures, chacun regagna son poste d’observation ; un imprévu était survenu et nous avait empêché de mener notre plan à bien.
Mais ce n’était que partie remise. La veuve ne resterait sûrement pas toute la nuit dans ce caveau froid et obscur.

Quatre heures s’affichait à ma montre quand elle ressortit enfin du mausolée, légèrement voûtée sous le poids du sac passé à son épaule droite et qu’elle n’avait pas en arrivant.
À l’instant où elle contourna le monument funéraire, mon portable vibra dans ma poche.
— Cette salope a piqué notre magot ! hurla Vito au moment où je l’approchai de mon oreille.
Je raccrochai sans répondre et soupirai. Ce mec était vraiment un gros connard. Putain que ça serait bon de s’en débarrasser une fois le taf fait ! Mais j’allai devoir me le farcir un bon moment encore. Surtout maintenant que la femme du Requin lui avait piqué, sous notre nez, ses économies d’une vie.

« Le changeant mois de mars était arrivé, et avec lui l’enivrement du printemps, joyeux pour les jeunes, mélancolique pour ceux qui déclinent », une phrase de Pierre Loti que j’aime particulièrement. De plus, elle colle à merveille à la réalité : mars vient tout juste de commencer.
Le 1er mars à minuit, date à laquelle j’ai donné rendez-vous à mes trois comparses.
Comme d’habitude, Melvin et Flavien sont arrivés en avance, il n’y a que Vito qui se fait encore désirer.

Deux, puis cinq minutes passent. Enfin, le 4x4 noir pénètre dans la cour de la maison abandonnée où nous avons établi notre QG.

Il entre, jette un regard froid à Flavien, sert la main de Melvin et s’approche de moi jusqu’à quasiment toucher ma poitrine avec son torse. Il se penche légèrement et dépose un baiser sur mon front ; il est charmant, sexy… si seulement il pouvait être moins con !

Je lui souris rapidement et m’approche de la table sur laquelle est déplié le plan de l’appartement de l’ex-femme du Requin.

Après leur avoir exposé mon plan d’attaque, nous voilà partis ; madame n’est pas à la maison ce soir, nous aurons toute la latitude nécessaire pour pénétrer chez elle et récupérer ce qui nous… me revient de droit.

La peur les tenait recroquevillés silencieusement à leur place ; chacun semblait pressentir que quelque chose de terrible allait survenir.

Elle n’avait eu qu’à poser leurs yeux sur eux et ils s’étaient de suite comportés comme de gentils toutous attendant leur friandise. J’étais la seule qu’elle avait dû attacher à une chaise pour que je me tienne tranquille, comme si son « charme » n’avait aucun effet sur moi, comme si j’étais « immunisée ». Même Vito, d’habitude le mâle dominant du groupe n’osait bouger une oreille.

Elle ne devait pas être à l’appartement… on avait vérifié et revérifié. Et elle était bien partie. À croire qu’elle avait senti le truc. Lorsque j’avais ouvert la porte de l’appartement dont Melvin avait craqué le digicode, la seule chose que j’avais vu était ses yeux verts dans le noir. Ses yeux à la couleur de poison liquide dans lesquels surnageaient deux pupilles presque oblongues. Un regard maléfique, hypnotique. Durant une seconde, j’avais cru défaillir mais le charme s’était rompu de lui-même, les mecs, eux, n’avaient pas pu s’y soustraire.

À présent, je suis sûre d’une chose, cette femme n’est pas humaine… sa peau a même déjà commencé à changer et à se couvrir de minuscules écailles blanches, presque translucides. Et ces deux crocs qui s’allongent le long de sa lèvre inférieure…

Le Requin Lacustre avait-il épousé un serpent de mer ?

Elle avait commencé par Flavien, puis ça avait été au tour de Melvin. Elle les avait broyés à la manière d’un anaconda sans qu’aucun d’eux ne moufte.

Vito était toujours à genoux au sol, et son tour allait bientôt venir. Pourtant, lui non plus n’émettait aucun son. Dans ses yeux vides ne dansait plus désormais que la silhouette blanche de la femme du Requin. Il lui appartenait, corps et âme, comme avaient dû lui appartenir tous les hommes qui avaient croisé sa route.

Et lorsqu’elle lui offrit son dernier baiser, il ne bougea pas.

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