Chapitre premier - Le lendemain du ''départ'' de G.
« Tu ne vas pas jeter à la rue ton cousin préféré ? S'enquit avec emphase Alan Brightwell.
— Que l'on soit cousins, cela reste à voir, rétorqua Andrew Brightwell. Je ne t'ai jamais vu de ma vie !
— J'ai des preuves. Ton père Hugh Brightwell était le fils de Charles Brightwell et d'une Française. Charles et la grenouille ont également eu un fils nommé Robert Brightwell, ton oncle. Robert a épousé une Ecossaise et eu deux enfants, une fille, Louisa, laquelle épousa un Ecossais nommé Killian Murray, et moi. Je suis le fils de Robert, voilà.
— Et la jeune fille dans le coche ? S'enquit avec méfiance Andrew Brightwell, recomptant ses ancêtres mentalement pour en arriver à la conclusion qu'il pouvait accorder le bénéfice du doute à cet homme.
— C'est Cassandra Murray, la fille de Louisa. Comme ma pauvre sœur est morte récemment, que son mari n'a que faire d'une fille dans une forge et qu'il compte de toute manière se remarier bientôt, je l'amène à Londres où j'ai des affaires, afin de la présenter au beau monde et, peut-être, de lui faire faire un mariage avantageux – parce que crois-moi, que Louisa épouse un forgeron, c'était déjà une mésalliance sévère !
— Il n'empêche que le Brightwell's est un club de gentlemen, pas un hôtel, rétorqua Andrew. Les femmes n'y sont pas autorisées, qu'elles soient ou non de la parentèle d'un membre.
— Mais tu es le propriétaire !
— Quand bien même, je ne peux pas faire d'exceptions.
— C'est un comble ! Et chez toi, il n'y a pas de place ?
— Si, mais il n'y a qu'une chambre de libre, et c'est celle de mon fils Albert, qui revient du pensionnat demain midi. Trouve-toi une auberge, Alan.
— Je ne peux pas. Vois-tu, Cassandra est un peu... »
Il agita la main près de sa tempe, comme pour faire coucou à ses veines, pour signifier qu'elle avait un petit problème psychologique.
« Je ne veux pas qu'elle se donne en spectacle, ajouta-t-il. Si tu nous envoies en ville elle se déshonorera.
— Le mot est un peu fort, protesta Andrew, tout en réfléchissant. Écoute, je vais voir ce que je peux faire. En attendant, visite la ville avec elle.
— Merci, cousin ! » s'exclama Alan avant de remonter dans le coche.
Andrew le regarda s'éloigner, songeant qu'il avait un mauvais pressentiment concernant son cousin. Sa venue, d'abord. Il surgissait de nulle part, clamait être son cousin – pour ce qu'Andrew en savait, il pouvait juste connaître son arbre généalogique et se faire passer pour tel – et réclamait aussitôt une faveur.
D'un autre côté, s'il avait lui-même été désespéré, n'aurait-il pas fait appel, sans remords, à un vague parent auquel il n'avait jamais adressé la parole, pourvu que cela lui sauve la mise ?
Cet aveu mental fut contrebalancé par le fait que... eh bien, qu'il songeait qu'Alan aurait dû réserver un hôtel, tout simplement, au lieu de compter sur un cousin inconnu auquel il n'avait encore rien demandé. Mais peut-être songeait-il que loger au Brightwell's allait de soi quand on s'appelait Brightwell, que l'on soit membre ou non.
Il rentra dans le club, fut salué par tous les majordomes et valets de pied qu'il avait engagés afin de donner un certain cachet à l'établissement et demanda à la réception les papiers nécessaires à l'adhésion d'un nouveau membre. Alan devrait faire preuve de discrétion et faire au moins semblant d'être un intellectuel, mais Andrew ne s'en inquiétait pas. Même si Alan n'était pas, comme son neveu James, le genre d'homme à rester le nez plongé dans un livre toute la journée, il pourrait faire semblant de lire dans le salon une heure par jour, pour donner le change.
Le problème de Cassandra Murray était plus compliqué. D'abord, parce que si on apprenait qu'il avait loué un appartement à un cousin non-membre dans lequel celui-ci, de surcroît, logeait une jeune femme n'ayant pas le même nom que lui, le Brightwell's fermerait. Un tel scandale, quand bien même la jeune femme serait la nièce de son cousin, à peine sept ans après l'ouverture... le Brightwell's n'y survivrait pas. Il lui avait déjà fallu faire une entorse à ses principes et accepter un membre non-parrainé en la personne d'un noble hongrois anglophile qui, payant ses cotisations sans jamais venir, était le membre idéal, afin de balancer ses comptes la première année, et il répugnait à recommencer.
Autrement dit, s'il faisait vraiment une telle faveur à son cousin, il devait être très, très prudent.
« Salut Andrew ! »
Il sursauta, se retourna et vit son vieil ami G. Richards, les vêtements en lambeaux, trempé par la pluie de la nuit, un œil poché, qui le regardait d'un œil hagard.
« Bon sang, qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? s'exclama-t-il.
— Tu te souviens de mon cousin Galaad ? demanda-t-il. Nous avons eu un petit... désaccord. Enfin bref, il a décidé de repartir dans sa province par le premier train. Je vais aller faire le tri dans ses affaires et lui renvoyer celles qu'il faut. En attendant, je vais dormir. Et réveille-moi tôt demain, il faut que j'aille demander Jemima en mariage avant qu'elle ne trouve que je mets trop de temps. »
Andrew le regarda s'éloigner vers l'escalier et songea qu'il agissait bizarrement, même pour Gregory Richards. En tout cas, s'il se mariait, il libérerait sa chambre - bien que rien ne l'empêche de continuer de venir au club, mais enfin il serait étonnant qu'il passe sa première année de mariage à dormir loin de sa femme, puisqu'elle ne pourrait pas entrer au club - et cela ferait une chambre de libre.
Il revint subitement à la mémoire d'Andrew que Gregory occupait jusque là une chambre à l'avant-dernier étage - juste sous le grenier - et que cette chambre était suffisamment isolée pour qu'on y loge un oncle et sa nièce sans dommage, d'autant que la chambre était en réalité une suite comportant deux chambres, obligé puisque Gregory et son cousin Galaad avaient logé au club tous les deux. Il rattrapa G. et lui dit :
« Maintenant que tu es seul, pourrais-tu déménager dans une chambre plus petite ? J'ai deux... cousins qui viennent dormir et ils aimeraient loger au même endroit. »
G. Richards hocha la tête et remonta vers son lit. Andrew se frotta les mains. Un problème de résolu, celui du logement. Restait celui de la circulation.
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