Chapitre trois - Vous êtes dure en affaires

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Arabella se retrouva bientôt devant la fameuse Griselda.

« Bonjour, dit la jeune journaliste. C'est vous qui vendez des philtres d'amour ? »

Griselda, une vieille gitane aux cheveux gris retenus par un foulard orange assorti à sa jupe, hocha la tête.

« J'aimerais en acheter un. Et vous lisez l'avenir aussi ?

-Oui, répondit Griselda. Si vous voulez me donner votre main...

-Comme lire l'avenir ne demande pas beaucoup d'efforts, je peux avoir la lecture des lignes de la main et le philtre d'amour au prix du philtre uniquement ? »

Griselda répondit :

« Non, Mademoiselle, je ne vais pas brader mes talents.

-Bon, très bien, dit Arabella. Dans ce cas lisez-moi la main et je vous payerai le tout quand j'aurai le philtre. »

La gitane partit dans un grand éclat de rire et dit :

« Non non, jolie demoiselle, ça ne marche pas comme ça. Vous payez d'abord, et ensuite seulement je vous annonce ce que le Destin vous réserve.

-Vous êtes dure en affaires, protesta Arabella, avant de sortir quelques piécettes. Voilà, quel destin pouvez-vous lire pour ce prix ?

-Je ne lis jamais que le vrai destin, rétorqua la gitane d'un ton très sérieux. Laissez-moi voir votre main. »

Elle saisit la main d'Arabella et examina les lignes pendant quelques secondes, avant de dire :

« Je vois deux hommes, un créateur et un destructeur. L'un sera bon, l'autre mauvais. L'un sera tué par l'autre. Je vois un troisième homme, ou plutôt une ombre. Le malheur viendra par le mauvais et par l'ombre. Ils ne sont tous les deux que des spectres dans le lointain pour le moment, bien que le mauvais soit plus proche que l'ombre, mais ils viendront, quel que soit le temps que cela leur prendra. Je vois deux yeux de chat dans une figure d'homme. C'est le premier. Le second a un fort accent. C'est un étranger. Ou un fou. La folie guette ceux qui croisent l'homme-ombre. »

Elle leva les yeux pour croiser le regard d'Arabella et dit :

« Vous êtes venue ici pour demander un moyen de faire tomber un homme amoureux de vous.

-C'est vrai, dit Arabella, songeant qu'il était normal qu'elle le sache puisqu'Arabella venait de lui demander un philtre d'amour.

-Faites attention. Faites très attention, attirez à vous le mauvais, et il vous tuera. Attirez à vous l'ombre, il vous rendra folle. Attirez à vous le créateur... et il attirera le mauvais destructeur dans son sillage. Faites attention à ne jamais croiser aucun des trois, jeune fille.

-Le moyen de faire tomber amoureux de moi un homme ? rétorqua sèchement Arabella en retirant sa main de celles de la gitane. Je n'ai pas de temps à perdre avec ces sornettes.

-Ne te moque pas des pouvoirs de ceux qui voyagent avec les astres et le soleil, répondit la gitane.

-Le soleil est un astre, riposta Arabella. Je ne crois à aucune de vos prédictions, si ce n'est à celle disant que je vais me moquer de vos pouvoirs. Mon philtre maintenant, je vous prie. »

La gitane cracha par terre et dit avec colère :

« Je ne te donnerai pas de philtre, mais je te donnerai quelque chose de bien plus puissant. Et puisses-tu te tromper et attirer à toi le mauvais, l'ombre ou le créateur, fille inconsciente qui croit tout savoir et méprise le savoir des anciens. »

Elle rentra dans sa roulotte, sortit quelques instants plus tard avec un médaillon à la chaîne argentée à la main.

« Le médaillon bleu, expliqua-t-elle. En son cœur est enchâssé une pierre qui porte malheur depuis qu'elle a été volée dans un temple oriental. Mais si tu ne le portes qu'une fois, et en la présence de l'homme que tu convoites, son influence sera bénéfique. »

Elle leva un doigt en signe d'avertissement et compléta :

« Mais gare à celui qui sera le second à le porter. Si tu le revends ou l'offres, choisis sciemment l'ennemi à qui tu le donneras. Il faut que tu souhaites sa mort sans remords pour lui donner un tel bijou, maudit des dieux. »

Arabella avait beau ne pas croire en ces boniments de bohémiens, elle ressortit du camp troublée. Elle se demanda si, avec leurs paroles capables d'ébranler les esprits les plus scientifiques, ceux-ci n'étaient pas les gens qui avaient convaincu Angus McPherson de nommer tous ses navires Langoustine des Prés, de les construire selon les mêmes plans et de leur faire faire la même traversée inaugurale (avec pour résultat jusque là qu'ils avaient tous coulé pendant les-dites traversées inaugurales, et si les trois premiers naufrages n'avaient pas fait de victimes, cela n'avait pas été le cas du Langoustine des Prés IV qui avait coulé corps et biens, excepté James Brightwell).

Oui, une fois qu'elle aurait éprouvé la chance que pouvait lui donner ce médaillon et rendu visite à James Brightwell, elle rendrait visite à Angus McPherson pour lui demander ses raisons. Sait-on jamais... peut-être avait-elle raison de faire confiance à la gitane, peut-être pas...

Toujours est-il qu'elle avait imaginé un philtre d'amour et non un bijou. Mais si la gitaine disait vraie - ce qu'Arabella excluait en raison du peu d'argent qu'elle avait dû dépenser pour l'acquérir - le bijou était vraiment précieux, puisque dérobé dans un temple en Asie. Quand on pensait Empire du Milieu, Japon ou Indes, on ne pensait pas ''babiole de mauvaise qualité", après tout !

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