Chapitre 2 : Histoires d'amitié

10 minutes de lecture

Stair

Les Dark Angels.

A la base, c'étaient Lynn et moi. Dès le début, nous nous retrouvions autant que possible à l'école de musique. On y passait des heures. Au Noël suivant, mes parents m'offrirent ma première basse. Une occasion, une sous-marque, mais qu'importe : j'avais enfin un instrument à moi. Je continuais à regarder des "tutos", pour apprendre. Petit à petit, je gagnais en souplesse. A douze ans à peine, je n'avais pas encore mes mains d'adulte. Mais j'étais têtu, opiniâtre. Il en fallait plus pour m'arrêter. Lynn était pareil. Sauf que lui ne put acheter les premiers éléments de sa batterie que tout récemment. Pendant des années, il a joué sur celle de l'école de musique.

Je lui avais raconté le concert d'Iron Maiden, lui me parlait de Motörhead. Il était fasciné par Lemmy. Je pouvais le comprendre : Lemmy était un bassiste du tonnerre, comme Steve Harris. Deux styles différents, mais avec un point commun : tous les deux jouaient de la basse mélodique, pas seulement la rythmique. Nous écoutions, Lynn et moi, les morceaux et tentions de les imiter. On était pitoyable. Mais ça nous a forgés. Le caractère, l'inspiration et l'envie de jouer ensemble.

Il est difficile de dire ce que nous aurions fait si nous ne nous étions pas rencontrés, si l'amitié n'avait pas jailli spontanément entre nous. Lynn était déjà ténébreux alors que nous entrions dans l'adolescence, et moi, pas très enclin à parler. Je pense que ça a joué pour notre entente : nous ne posions pas de questions dérangeantes ou ennuyeuses. On était ensemble, c'est tout. On jouait ensemble, on essayait de progresser ensemble. Et il fallait bien reconnaître qu'à deux, on progressait beaucoup plus vite que chacun dans notre coin. Mais cela, nous ne l'avons compris que plus tard, avec de la maturité.

Si nous habitions dans le même quartier, nous n'étions pas scolarisés dans la même école. Mais on passait tout notre temps libre ensemble. Quand l'école de musique était fermée, on se retrouvait dans la rue, ou chez l'un ou chez l'autre. On écoutait nos deux groupes fétiches sur des lecteurs cd pourris, avec un son dégueulasse, mais on s'en foutait. Lynn ne portait déjà que des t-shirts ou des sweats de Motörhead, qu'il usait jusqu'à la corde. Et moi, cela faisait un bail que ma mère avait compris qu'il n'était pas question que je sorte sans ce bon vieil Eddie.

Arrivés au collège, on s'est retrouvé, coup de bol, dans la même classe. On a alors affronté l'adolescence ensemble. Je commençais à laisser pousser mes cheveux, Lynn tentait aussi, mais il avait vite abandonné : ça lui donnait trop un air de Mickaël Jackson gamin, et il pouvait pas supporter. Et si jamais quelqu'un se permettait une remarque sur mes cheveux longs, me balançant que j'avais l'air d'une fille, il suffisait d'un regard noir de Lynn pour le faire taire. Moi, j'étais incapable d'avoir un regard noir. Je n'effrayais personne. Lui, si.

A seize ans, on a arrêté l'école. Les études, c'était pas fait pour nous. On avait bien progressé, musicalement parlant. J'avais eu la chance, durant l'été qui suivit la fin du collège, de pouvoir participer à une session de bassistes. J'appris beaucoup à cette occasion, cela fut très formateur. Lorsque je retrouvai Lynn, on sentit tous les deux qu'on passait un cap. On jouait avec plus d'aisance. Lynn, de son côté, commençait à écrire. Surtout des textes. Et ce fut ainsi qu'on se lança, juste tous les deux, à tenter d'écrire notre première chanson, celle qui allait devenir Lies, more lies !

Un batteur et un bassiste, c'est la base pour un groupe. Mais juste à deux, on ne va pas bien loin. On avait dans l'idée de faire comme Motörhead, un trio. C'est là que Snoog est arrivé. J'avais fait sa connaissance lors de la session de bassistes : en parallèle se tenait aussi une session de guitaristes. D'emblée, j'avais été séduit par son bagou, ses tirades. Il était tout le contraire de moi - et de Lynn. Extraverti, beau mec - il tombait toutes les filles qu'il voulait - grande gueule, avec un humour acéré, mais aussi beaucoup de réflexion, d'intelligence. Même s'il avait, comme nous, arrêté l'école, Snoog avait de la culture. Il s'intéressait à beaucoup de choses, au-delà de notre vie quotidienne. Lynn et moi étions à peine sortis du quartier et pas du tout de Manchester. Lui, si. Et ce qui m'impressionna peut-être le plus chez lui, il lisait. Beaucoup.

On avait sympathisé d'emblée, car à la fin du premier jour de la session, on s'était retrouvé tous ensemble. Et il portait le même t-shirt que moi, ou moi le même que lui. Un de Maiden, forcément. En se croisant, on avait rigolé, puis commencé à discuter. Il me disait qu'il comptait beaucoup sur cette session pour s'améliorer, car il s'estimait franchement médiocre à la guitare. Après le repas du soir - les sessions avaient lieu dans une auberge de jeunesse, on était logé dans les dortoirs -, on a continué à discuter et j'ai joué un peu pour lui. Il m'a dit que j'étais déjà sacrément habile et que mon jeu l'impressionnait. Lui qualifiait son jeu d'à peine dégrossi. Quand je l'ai vu jouer la première fois, je me suis dit qu'il était très réaliste. Mais j'espérais pour lui qu'il ferait des progrès.

Il vivait aussi à Manchester, mais pas du tout dans le même quartier que Lynn et moi. A l'autre bout de la ville, dans un quartier similaire. Je veux dire par là, un aussi populaire que le nôtre. Je lui avais parlé de Lynn. Quelques temps après la session, on s'est retrouvé à l'école de musique, notre bastion à Lynn et moi à cette époque. Le courant est tout de suite passé entre eux.

Si Snoog n'était pas très bon à la guitare, en revanche, il se débrouillait très bien pour chanter. Sa mère faisait partie d'une chorale et pour l'occuper quand il était petit, elle l'emmenait avec elle. C'était ainsi qu'il avait appris. Il savait poser sa voix, protéger ses cordes vocales, respirer comme il le fallait. Il avait déjà une belle voix, grave et profonde, qu'il allait encore enrichir au fil du temps, et savait faire passer les émotions. Il nous bluffa, Lynn et moi, en chantant a cappella un morceau de Queen. Sa façon d'interpréter The show must go on aurait sans doute plu à Freddy Mercury. Paix à son âme.

On lui montra nos premières compos, à Lynn et moi, des brouillons. Hormis Lies, more lies !, aucune chanson n'était vraiment aboutie. Mais comme il le dit lui-même "y'avait d'l'idée". Il est reparti avec et dès notre rencontre suivante, il avait déjà retravaillé les textes. Lies, more lies ! prit vraiment tournure, même si on était loin encore de pouvoir la jouer correctement.

**

Pendant près de quatre ans, nous avons joué ainsi, à trois. Snoog écrivait de son côté, Lynn aussi. A eux deux, ils ont écrit la quasi-totalité des textes qui allaient devenir les chansons de nos deux premiers albums. Mais on était encore loin de cela, et même si on en rêvait secrètement, on n'en parlait pas.

Snoog n'était pas brillant à la guitare. Il avait surtout beaucoup de mal à chanter et à jouer en même temps. Je voulais bien le croire, j'aurais moi-même été incapable de me concentrer sur les deux, sans compter que je me considérais comme un très piètre chanteur. Aussi, nos mélodies n'étaient-elles pas abouties et, le temps passant, on en conclut qu'il manquait un guitariste dans notre groupe.

Ce fut Snoog qui nous amena à faire la connaissance de Ruggy. Ce dernier jouait dans un petit groupe qui vivotait et battait de l'aile, que Snoog avait déjà vu se produire deux ou trois fois. Ce groupe jouait des reprises de rock bon enfant et, en discutant avec lui, Snoog comprit vite que Ruggy voulait jouer autre chose de plus velu. Il lui parla alors de notre groupe, de nos propres goûts musicaux et le courant passa très vite entre eux.

Ruggy avait tout du fan de hard-rock, encore plus que Lynn, Snoog ou moi, du moins dans son apparence physique. Il avait déjà beaucoup de tatouages sur les bras, portait les cheveux longs et s'habillait toujours en noir. Mais au-delà de cette apparence, je devinais aisément des failles, des blessures et une sensibilité à fleur de peau. Il nous confia très vite qu'il vivait seul avec sa mère, qu'il ne voyait plus son père depuis des années et que même si l'occasion se présentait, il n'était pas certain qu'il aurait grand-chose à lui dire.

Madame Ferew était la première fan de Ruggy. Elle avait très tôt encouragé son fils à jouer, se saignant aux quatre veines pour qu'il puisse se payer sa guitare. Il lui devait tout et la soutenait autant qu'il lui était possible. Il travaillait pour une entreprise de recyclage, récupérait toujours des tas de trucs qui pouvaient être utiles. C'était un bosseur et il consacrait, comme nous, tout son temps libre à la musique. Son arrivée dans le groupe allait nous faire passer une étape supplémentaire et pas des moindres : nous allions ainsi trouver un aboutissement et le groupe allait vraiment prendre figure.

Du jour où Ruggy commença à travailler avec nous, Snoog abandonna la guitare, se contentant parfois de jouer une ligne rythmique très simple, du moins dans les premiers temps. La rythmique, c'était moi qui l'assurais le plus possible, Ruggy jouait la mélodie et Lynn donnait le tempo. Et Snoog pouvait ainsi se consacrer pleinement au chant. A cette date, nous avions déjà quelques morceaux à notre actif : Lies, more lies !, bien entendu, mais aussi Dark City, No Future. Ces deux dernières chansons avaient été écrites principalement par Lynn et j'y avais apporté ma propre patte. Dès le début, nous avions travaillé ainsi : lui écrivait, je complétais, j'apportais mes idées, on avançait ensemble. Snoog, en nous rejoignant, amena à son tour ses propres compositions, nous peaufinions les mélodies tous les trois. Ruggy était moins porté sur la création, il préférait se concentrer sur son jeu. Ce n'était pas un souci pour nous et nous l'encouragions autant que possible. Le fait d'intégrer le groupe le fit aussi beaucoup progresser, selon lui : nous étions beaucoup plus assidus aux répétitions que ses précédents comparses. Et surtout, nous avions des morceaux à nous, pas que des reprises.

L'apport de Ruggy fut indéniable : avec un vrai guitariste, même encore hésitant, les morceaux devinrent plus aboutis. Nous passions beaucoup de temps à les travailler, à répéter. Petit à petit, notre répertoire s'enrichit, devint plus solide. Jusqu'à oser nous produire, enfin, un jour, devant du public.

Ally

J'avais grandi à la frontière. Celle entre un quartier ouvrier et le reste de la ville. Mon père travaillait comme employé à la Poste et ma mère était puéricultrice. J'étais l'aînée de trois enfants, un frère de deux ans mon cadet, Oliver, et une sœur, Emma, qui avait six ans de moins que moi. Je m'entendais bien avec eux, surtout ma sœur. Nous partagions la même chambre d'un petit pavillon. Le quotidien n'était pas simple, mais mes parents ont toujours fait au mieux pour nous. J'avais grandi dans ce quartier, je ne gardais aucun souvenir de l'appartement dans lequel j'avais vécu mes deux premières années, juste avant la naissance de mon frère.

J'étais passée de l'école primaire au collège, puis au lycée, avec les mêmes camarades de classe. Nous formions une bonne bande d'amis. Certains nous avaient quittés en cours de route, écourtant leurs études, s'engageant déjà dans une voie professionnelle. Mes parents m'avaient encouragée à aller au lycée, alors que j'étais un peu hésitante, à quinze ans. Petit à petit, mes choix s'étaient précisés et, en cette dernière année de lycée, j'avais un objectif : entrer à l'école d'infirmières de Manchester. Mes parents avaient été clairs : s'ils m'encourageaient autant que possible dans mes choix, ils ne pourraient pas m'aider financièrement. J'envisageais donc de travailler à côté, baby-sitting, ménages, caissière en supermarché pour payer mes frais d'inscription. Je pouvais en revanche rester vivre à la maison, et c'était déjà une aide très appréciable à mon point de vue. Maman était très heureuse de mon choix, me disant que je gagnerais mieux ma vie qu'elle, en étant infirmière. Que c'était un beau métier.

Cette dernière année de lycée avait une saveur bien particulière : j'étais majeure, je pouvais sortir sans problème et notamment dans les pubs. Nous savions tous également, mes amis et moi, que nous vivions nos derniers mois de complicité, de partage au quotidien. Nous garderions contact, bien sûr, on se le promettait, mais nos études ou nos choix professionnels nous éloigneraient forcément un peu. Nous passions donc autant que possible notre temps libre ensemble, tout en nous efforçant de réussir notre année scolaire : pour bon nombre d'entre nous, les études se poursuivraient à l'université ou dans des écoles et un bon dossier scolaire était nécessaire.

Nous avions quelques préférences pour nos loisirs : les sorties dans les pubs, le cinéma et la musique. Nous aimions beaucoup écouter des groupes du coin : il fallait bien reconnaître que Manchester et Liverpool demeuraient des places fortes de la musique en Grande-Bretagne et bien des groupes qui faisaient un peu parler d'eux y avaient fait leurs premières armes, voire en étaient originaires. Nous étions curieux, même si pour la plupart d'entre nous, nous aimions surtout le rock, voire le hard-rock. Mes amis comme moi-même écoutions des groupes comme U2, Scorpions ou Queen. On se raccrochait aussi aux groupes des années 80, comme Police ou Eurythmics, car la pop anglaise qui sévissait et trustait les charts ne nous plaisait pas trop. Plusieurs de mes amis étaient aussi fans de hard-rock et il n'était pas rare de les voir arborer des t-shirts d'AC/DC ou de Metallica. Ce n'était pas forcément de notre génération, mais c'était la musique que nous aimions.

Et ce fut donc tout naturellement que notre petite bande se rendit au concert de ce groupe dont personne n'avait encore entendu parler : les Dark Angels.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Pom&pomme ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0