Chapitre 7 : On avance
Stair
Je n'avais pas menti à Ally et très vite, grâce à Snoog qui arpentait tous les pubs où il était possible de se produire, nous trouvâmes des dates. A Manchester ou dans les alentours. On allait pouvoir quasiment jouer une semaine sur deux d'ici l'été. C'était bien. D'abord parce qu'on pouvait vraiment tester nos morceaux et nous tester nous-mêmes face au public, et ensuite, parce que la scène, ça nous plaisait. Ca correspondait vraiment à ce qu'on imaginait, à ce qu'on voulait vivre, à la façon dont on voulait exprimer et jouer notre musique.
Ally et ses copains vinrent nous voir jouer à chaque date, nous sympathisâmes d'ailleurs bien avec cette bande, Snoog se permettant même de sortir durant deux semaines avec une des copines d'Ally, un vrai exploit pour lui qui papillonnait d'habitude. Moi, je ne repartais avec aucune fille alors que Ruggy et Lynn parvenaient souvent à en embarquer une. Ca ne me tentait pas particulièrement.
Au fil de ces concerts, je me mis vraiment à apprécier le ressenti d'Ally et il y eut toujours un moment, après notre prestation, où je venais en parler avec elle. C'étaient des discussions simples, sympas. Elle était souvent au premier rang du public, toujours devant moi, et il arrivait qu'on échange de petits signes de connivence et même que je me lance dans un solo juste pour le plaisir d'en parler avec elle, ensuite.
C'était un soir de fin mars. On jouait pour la deuxième fois au Blue Limon. L'ambiance était chaude, un peu électrique. Il y avait comme un petit air de printemps. Après le concert, j'eus envie d'autre chose. J'avais envie de me retrouver seul avec elle. Elle était mignonne, pleine de peps, simple. Je me sentais bien avec elle et j'avais l'impression de ne pas la laisser indifférente. Son regard pétillait toujours quand je m'approchais d'elle, elle avait toujours de grands sourires. Ce n'était pas une fille "rentre dedans" comme on en voyait souvent, de ces grandes délurées qui ne disaient jamais non et que Snoog collectionnait avec réussite.
Ally était différente. Je me sentais différent aussi, quand j'étais avec elle. Mais j'aurais été bien incapable à ce moment-là de comprendre que ce qui se jouait était essentiel. Je voyais tout cela comme une relation amicale, voire un flirt gentil.
Je ne pensais tout simplement pas qu'Ally était la femme de ma vie.
**
J'avais donc eu envie de me retrouver seul avec elle, aussi, après avoir échangé avec Lynn comme nous le faisions toujours après un concert. Je l'avais rejointe à sa table, avec son groupe d'amis. Alors qu'elle me proposait une bière, je lui dis que j'avais envie de faire un tour dehors et lui demandai si elle voulait m'accompagner. Elle accepta avec, soudain, une touche de gravité dans le regard qui m'émut beaucoup.
A peine sortis du Blue Limon, je lui pris la main et nous marchâmes en silence, nous éloignant du pub et de l'ambiance animée de la rue. Elle n'avait pas repoussé ma main et je trouvai cela agréable d'être ainsi, dans ce soir un peu tiède.
On dénicha finalement un coin tranquille, Ally s'assit sur un petit muret. Je me tins face à elle, ne pouvant détacher mon regard de ses iris bleutés. Je me sentais terriblement attiré par elle. Alors je me penchai vers elle et l'embrassai. Elle répondit à mon baiser avec ferveur, puis je sentis ses mains passer sous mon blouson, se nouer dans mon dos. Je me rapprochai d'elle et refermai mon bras droit derrière sa taille, tout en portant ma main gauche à son cou, pour le caresser délicatement. C'était bon et j'avais envie de prolonger ce baiser. Ca faisait des mois que je n'avais pas touché une fille, et ça faisait du bien.
On resta un long moment ainsi, dans la rue, à échanger baisers et regards, sans dire un mot. Je n'aurais jamais pensé que ce soit possible, d'être ainsi dans le silence avec une fille, mais aussi dans un partage profond. Les filles avec lesquelles j'avais eu une aventure étaient plutôt du genre bavard. Ally était au-dessus, différente. Avec une sensibilité plus étendue aussi.
A n'importe quelle autre fille, j'aurais proposé de la ramener chez moi - ou chez elle, selon. Avec Ally, je devinais que ce n'était pas la chose à faire. Il fallait prendre son temps.
Ally
Vers la fin mars, les Dark Angels rejouèrent au Blue Limon. Ce jour-là, il se passa deux choses importantes : j'eus la possibilité de discuter avec le patron qui me dit chercher des serveurs ou des serveuses pour la rentrée, notamment pour le samedi soir. Je lui répondis que c'était dans mes cordes. Après notre échange, j'avais vraiment la banane car cela m'ôtait une sérieuse épine du pied. J'aurais un petit salaire fixe et le reste, ce seraient des pourboires. A moi de les mériter.
L'autre événement important fut que Stair et moi commençâmes à sortir ensemble ce soir-là. J'assistais désormais à tous leurs concerts, comme une groupie totalement accro, même si ce n'était pas du tout mon genre de minauder autour des musiciens et de Snoog en particulier, comme bien des filles le faisaient. A force de les voir jouer, j'avais aussi remarqué que si Snoog, Ruggy et Lynn repartaient généralement avec des filles différentes après chaque prestation, ce n'était pas le cas de Stair. Depuis leur premier concert au Blue Limon, je ne l'avais jamais vu quitter les lieux avec une fille, même si je n'avais pas toujours été attentive, je devais le reconnaître. Néanmoins, c'était pour moi un petit signe, d'autant que nous échangions avec grand plaisir au cours de la soirée, après leur prestation. Il y avait toujours un moment où il venait me retrouver, où il venait me demander mon avis sur leur concert. Je devais bien reconnaître aussi que, depuis le deuxième show, je m'arrangeais désormais pour me placer vraiment près de la scène, pour bien voir, et généralement presque sous ses yeux. Il nous arrivait fréquemment d'échanger des regards au cours du concert, des petits signes - je levais ainsi mon pouce ou faisais un grand sourire quand j'avais trouvé la chanson particulièrement bonne. Et, parfois, j'avais l'impression qu'il jouait juste pour moi.
Ce fut particulièrement le cas ce soir-là et, après avoir discuté, bu et s'être un peu détendus avec les uns et les autres, Stair et moi sortîmes au-dehors. Il prit ma main et je nouai mes doigts aux siens, heureuse de son initiative. On marcha sur le trottoir, s'éloignant du pub, pour rechercher un peu plus de tranquillité et d'intimité, car au-dehors, les fumeurs tenaient le siège, certains avec une pinte à la main.
Nous finîmes par trouver un coin calme, le long d'une rue résidentielle. Les brouhahas de l'autre rue, conversations des clients, bruits de circulation, se faisaient entendre en sourdine. Je m'assis sur un muret, pour être un peu plus à sa hauteur, même s'il me dépassait encore largement. La rue était éclairée par des réverbères et l'un d'entre eux étalait son halo à nos pieds. Stair resta debout face à moi, puis prit mes mains dans les siennes pour se rapprocher un peu plus. Nous ne parlions plus, j'avais le sentiment que les mots étaient inutiles et plus encore quand il pencha son visage vers le mien et m'embrassa. Je lui répondis avec ferveur, mon cœur battant fort dans ma poitrine. Il me plaisait vraiment et j'étais heureuse de lui plaire aussi. Notre baiser se prolongeant, je glissai mes mains sous sa veste en cuir et il vint carrément s'appuyer contre moi, entre mes jambes. Nous restâmes ainsi un long moment, à échanger baisers et regards enivrants.
A un moment, mon téléphone bipa. C'était un message d'une de mes amies :
- T'es où ? On va rentrer.
- Ah, fis-je. Mes amis rentrent...
- Tu veux que j'te ramène chez toi ? me proposa Stair.
- Ok, fis-je avant de lui indiquer mon quartier. Ca ne te fait pas trop loin ?
- Non, pas d'souci.
- Alors d'accord. Je réponds à ma copine.
Et je tapai rapidement un petit message :
- Je suis avec Stair. Il me ramène. Bonne fin de soirée à tous !
- Cool ! Profite bien ! Bises et à lundi !
- Voilà, c'est fait, fis-je en rangeant mon téléphone dans ma poche.
Stair me reprit contre lui et m'embrassa à nouveau. Je me laissai aller entre ses bras, j'étais bien. Puis nous quittâmes la rue et retournâmes au Blue Limon, où ne traînaient plus que quelques derniers amateurs des fins de soirée. J'y récupérai mon blouson, saluai encore une fois le patron et le remerciai pour sa proposition de travail, promettant de revenir le voir au plus tard au début du mois de juillet, pour convenir avec lui de mon contrat.
**
Nous étions arrivés devant la maison. Stair coupa le moteur, puis se tourna vers moi, se pencha pour m'embrasser.
- On se revoit quand ? demandai-je, un peu hésitante.
Car n'était-ce pas juste un joli petit moment ? Voudrait-il plus ?
- Dans la semaine, on répète tous les jours, sauf le mercredi, me répondit-il. Et on joue samedi prochain...
- Mercredi, si tu veux, mes cours finissent à 16h.
- Ca peut l'faire, sourit-il. Tu veux que j'te retrouve à ton lycée ?
- D'accord.
Il savait où j'étais scolarisée, j'avais eu l'occasion de le lui dire une fois que nous étions avec mes amis, qu'on parlait de nos études. C'était comme ça aussi que j'avais appris qu'il avait arrêté l'école à quinze ans, comme les trois autres musiciens d'ailleurs, sauf Snoog qui avait fait une seule année de lycée.
- A mercredi, alors, fit-il avant de m'embrasser longuement une dernière fois.
J'eus du mal, moi aussi, à rompre notre baiser. J'en aurais bien voulu encore.
**
Nous nous retrouvâmes donc comme convenu le mercredi suivant. Comme il faisait assez beau, nous décidâmes d'aller nous balader dans un parc à proximité. C'était un endroit que j'aimais bien, où j'allais souvent quand je voulais me détendre un peu, après les cours, même si ça me rallongeait pour rentrer à la maison.
Le lundi, comme je m'y attendais, mes amies m'avaient bombardée de questions, voulant savoir si je sortais avec Stair. Je répondis a minima : j'avais envie de garder cela pour moi. Elles n'insistèrent pas trop, me connaissant bien et sachant que je n'en parlerais que lorsque je l'aurais décidé.
Cette première balade avec Stair fut vraiment très agréable. On marchait tranquillement dans les allées ensoleillées, à peine rafraîchies par la légère ombre des feuilles tendres des arbres. Il avait repris ma main et j'avais à nouveau noué mes doigts aux siens. On attendit cependant d'être dans le parc pour s'embrasser.
Ce parc devint notre lieu de prédilection pour passer un moment ensemble. Nous avions même trouvé un banc dans un endroit un peu retiré, entouré de massifs de fleurs et de jolis arbustes que nous vîmes s'épanouir au fil des semaines.
Et je me disais que notre relation s'épanouissait aussi, lentement mais sûrement, à l'image de ces massifs.
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