Chapitre 18 : Lies, more lies !

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Stair

Tout alla finalement très vite. A peine étions-nous de retour à Manchester, après avoir donné un dernier concert dans le cadre de la mini-tournée à Newcastle, que Gordon débarquait avec le contrat. On le lut chacun de notre côté, puis on se retrouva tous les cinq pour en discuter. Jenna releva deux ou trois petits points à préciser, mais dans l'ensemble, c'était convenable. Nous signâmes donc notre premier engagement. Et ce n'était pas un petit. Gordon croyait vraiment en nous puisqu'il était parvenu à obtenir un contrat pour trois albums, avec tournées de promotion garanties, au moins au Royaume-Uni. Ce qui voulait dire qu'on allait très vite se retrouver sur la route, à parcourir toutes les villes moyennes de Grande-Bretagne et d'Irlande.

Le truc auquel on n'osait pas rêver quelques semaines auparavant : on allait vraiment changer de monde, changer de vie.

Nous partîmes pour Londres fin août, quelques jours avant la rentrée universitaire de Jenna. Elle ne put donc pas nous accompagner pour l'enregistrement de l'album. Il était prévu qu'on reste un mois en studio. Trois semaines exactement pour l'enregistrement proprement dit, plus une semaine pour peaufiner les arrangements. Le disque devait sortir fin octobre. On enchaînerait alors avec une tournée. Gordon était déjà en train de placer les dates. Il bossait comme un fou, ce mec, c'était impressionnant. Il avait aussi un sacré carnet d'adresses et était très méthodique pour réserver les salles. Les dates s'enchaîneraient, mais ça ne nous faisait pas peur : on voulait jouer, jouer et encore jouer. Conquérir notre public et faire plaisir à ceux qui nous connaissaient déjà.

Les premiers jours en studio se passèrent bien. Nous comprîmes vite ce que chacun devait faire, comment se déroulait un enregistrement. L'ingénieur du son était sympathique et très professionnel. Il nous aida beaucoup. J'appréciai de pouvoir parler avec lui, d'échanger sur la musique, le son recherché, ce qu'il appelait "la couleur d'un album".

Ce jour-là, on avait travaillé sur Lies ! Ce serait la chanson phare du disque, celle qui lui donnerait aussi son nom. Nous n'avions pas hésité longtemps : pour nous tous, c'était une évidence. C'était notre plus ancienne chanson, celle qui percutait bien aussi, celle qu'on jouait en premier en concert. Elle disait beaucoup de choses de nous, de notre parcours, de nos rêves, de notre rébellion. Elle était à l'image du groupe. Du moins du groupe de cette période-là.

Nous étions rentrés un peu tard à l'hôtel, et après avoir mangé un morceau, chacun était parti de son côté. Ruggy et Snoog étaient restés au bar pour prendre une dernière pinte, Lynn était remonté dans sa chambre pour appeler Jenna. Et j'avais gagné la mienne pour m'y détendre. Une douche d'abord, ensuite un film ou un vague truc à la télé. Il fallait dormir aussi, on avait besoin de sommeil pour être bon le lendemain.

Je sortais à peine de la salle de bain que j'entendis frapper à la porte. J'ouvris, c'était Lynn. Il était inquiet et en colère, je le vis de suite.

- Un souci, vieux ? dis-je d'emblée.

- Ouaip. Un gros.

Je lui ouvris la porte sans dire un mot de plus et il alla s'écrouler dans le seul fauteuil de la pièce. J'attrapai un t-shirt et des jeans propres, puis je m'assis sur le lit, face à lui.

- Raconte.

- Jenna... Y a un souci avec son inscription. Elle est pas ret'nue cette année.

- Hein ? Mais elle avait réussi ses exams...

- Ouaip. Et elle avait mis assez de côté pour payer sa deuxième année. Sauf que ses vieux sont intervenus pour l'inscrire non à Manchester, mais à Londres ! Ils veulent qu'elle retourne là-bas...

- Heu... C'est possible ça ?

- Visiblement, ouais. L'a l'bras long, son paternel... Connard de mes deux, ouais, siffla Lynn.

- Et elle va faire quoi, alors ?

J'étais plus que surpris et inquiet pour Jenna. Ses études, elle y tenait dur comme fer. C'était important pour elle. Pour son indépendance, pour gagner sa vie sans compter sur les autres, pour être un soutien pour Lynn aussi dans les moments difficiles. On ne savait pas du tout comment serait accueilli l'album, s'il se vendrait bien, si la tournée se passerait bien... Il fallait qu'elle puisse continuer.

- Pour l'instant, elle est trauma. Elle pleure, elle est vidée. J'lui ai dit de voir Ally et ses copines. J'vais remonter à la maison dimanche.

- Tu veux que j'ty conduise ?

Lynn était descendu à Londres en moto, et moi en voiture. Je pouvais faire le trajet pour lui éviter de la fatigue et des conditions de route compliquées. Au pire, on pouvait se relayer. Et puis Londres / Manchester, c'était pas la mer à boire non plus.

- Merci, vieux, mais ça ira. J'verrai si j'pars juste après la journée de samedi ou dans la nuit, après un peu de repos. Et j'rentrerai lundi matin, pour être là pour démarrer la journée.

- OK. Mais si l'temps est dégueulasse, tu m'redis. Au pire, tu prends ma caisse, j'en aurai pas b'soin de toute façon dimanche.

- Yep. Bon, faut qu'j'me calme, maintenant. Ca m'a foutu en rogne, c'te histoire. Puis d'la savoir toute seule à la maison, à encaisser ça...

Il secoua un peu la tête, avant d'ajouter :

- Ca te dit de prendre une bière et d'faire un baby ?

- Ca m'va.

On quitta donc ma chambre pour rejoindre le bar de l'hôtel. Snoog et Ruggy étaient toujours au comptoir, on s'installa Lynn et moi au baby-foot après avoir commandé une pinte. On fit quelques parties, mon pote était déchaîné : s'il avait pu retourner au studio et taper sur sa batterie, j'étais certain qu'il l'aurait fait. Le baby, c'était une échappatoire... Il jouait très dynamique, les coups partaient fort, au point que plusieurs fois, il fit voler le ballon en-dehors du jeu, jusqu'à rouler au comptoir ou à l'autre bout de la salle.

Et j'étais déjà certain que, demain, il voudrait reprendre son jeu sur Lies !, pour le rendre encore plus percutant. Comme s'il avait pu taper sur la tête du père de Jenna pour lui faire rentrer dans le crâne que non, Jenna et lui, c'était pas un mensonge.

Ally

Il était beau.

Je fixai la pochette que je tenais dans mes mains. Lies, more lies !, le premier album des Dark Angels. Je ne l'avais pas encore écouté, je devais cependant être une des premières personnes à l'avoir acheté à Manchester. En-dehors des proches et des amis, bien sûr...

Les quatre musiciens posaient pour la photo devant la maison des parents de Stair. Je n'avais jamais rencontrés ces derniers, mais nous étions passés une fois devant chez eux. C'était une de ces petites maisons semblables à tant d'autres, de ces longues rangées alignées le long des trottoirs, dans les quartiers ouvriers des villes industrielles d'Angleterre.

Snoog était accroupi au premier plan, dans cette attitude très décontractée qu'il avait avant d'entrer en scène, je m'en souvenais bien. Sûr de lui, prêt à tout conquérir : le public, les femmes, le monde. Prêt à piquer aussi, à surprendre, comme le scorpion du groupe éponyme qui s'affichait sur son t-shirt. Je remarquai aussi qu'il portait un nouveau tatouage, à l'épaule droite, mais sans réussir à bien distinguer ce que c'était. Néanmoins, je me doutais qu'avec Snoog, cela devait être quelque chose d'original. Ruggy s'appuyait sur la rambarde de l'escalier ; il avait l'air plus rébarbatif que jamais avec son blouson et ses jeans noirs, son t-shirt de Metallica et ses Dr Martens. Et Lynn et Stair étaient adossés au mur et au rebord de la fenêtre. Même attitude pour tous les deux, même façon de bien afficher leurs préférences aussi : Motörhead pour l'un, et forcément Iron Maiden pour l'autre. Je reconnus sans peine Eddie ; c'était le même t-shirt que Stair portait le jour où on s'était rencontré.

Lynn avait l'air très sérieux, très concentré, sur la photo. Si tous les quatre regardaient l'objectif, le seul a avoir un léger sourire était Snoog. Stair avait le regard lointain, un peu triste, me sembla-t-il.

Je secouai la tête : je refusais de lire un quelconque message dans cette photo. Je ne devais pas l'interpréter en fonction de mes sentiments ou de mes appréciations des uns ou de l'autre. Je pouvais juste dire que la pochette leur ressemblait bien, qu'elle ressemblait bien à l'image que j'avais gardée du groupe et de leurs chansons.

Je glissai le disque dans mon lecteur de CD, mis les écouteurs. Le premier morceau était No Future. Ils attaquaient déjà très fort. C'était donc avec une chanson écrite à l'origine par Lynn qu'ils commençaient. Venait ensuite une que je n'avais jamais entendue - et pour cause, c'était une des deux nouvelles chansons qu'ils avaient prévu de jouer lors du petit concert à trois groupes. Puis Lies, more Lies ! Nouveau coup de poing.

Des mensonges, rien que des mensonges

Depuis que t'es tout p'tit

On t'fait croire au Père Noël

On te dit qu'les fées sont magiques

Qu'une étoile brille pour chacun

Des mensonges, rien que des mensonges

On te dit que ton pays

C'est l'pays de la liberté

Mais t'es juste dans une prison dorée

Avec un ciel gris pour rêver

Des mensonges, rien que des mensonges

On t'fait croire que tout s'achète

Qu'il suffit de prendre et de payer

Mais l'argent pousse pas dans les déchets

T'as rien sans donner

Un peu de toi, beaucoup de ton sang

Un peu de toi et de tes tripes à chaque fois

Et tu t'retrouves les poches vides

Et la tête dans le sac

Des mensonges, toujours plus de mensonges

* Lies, more lies ! (écrite par Lynn et Stair)

Est-ce que tout cet album était un mensonge ? Non, pas du tout. Tout y était vrai. Leur colère, leur rage, leur envie de jouer, leur complicité aussi, déjà évidente pour moi et surtout entre Lynn et Stair. Cette harmonie et cette entente totales entre la batterie et la ligne de basse, ce qui faisait la base de chacun des morceaux. La mélodie tantôt énergique, tantôt chargée de colère, tantôt désespérée de Ruggy. Et la voix de Snoog, profonde, vibrante, chaude, envoûtante.

Et enfin, pour terminer, venait Redemption.

Je pleurai en l'écoutant. Jenna m'avait parlé de cette chanson, mais je ne l'avais jamais entendue. Je savais que Lynn l'avait écrite pour elle. Et si jamais elle avait des doutes concernant ses sentiments - mais j'étais certaine que Jenna ne doutait jamais de Lynn -, elle pouvait toujours l'écouter. Qu'est-ce qu'elle était belle, cette chanson ! L'introduction, ce solo de batterie que Lynn attaquait d'abord doucement, puis plus direct très vite, comme une urgence, une nécessité absolue à s'exprimer, à dire ce qu'il avait dans le cœur. Les notes de Stair qui s'y ajoutaient, accompagnant le rythme et apportant déjà cette touche mélodique qui faisait la particularité de son jeu - et là encore, on retrouvait nettement l'influence de Steve Harris.

Puis l'interprétation de Snoog. Sa façon de se caler sur la mélodie, d'appuyer son chant sur les frappes de Lynn. Baby, tu es ma rédemption... Comment il appuyait sur le "baby", pile sur un coup de grosse caisse de Lynn, avant de dérouler sa phrase comme une évidence. C'était une très belle interprétation et je me doutais qu'en concert, ça devait donner du tonnerre.

C'était vraiment un beau premier album.

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