Chapitre 34 : L'histoire d'un t-shirt

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Ally

Le jour pointait à peine. Dans la fraîcheur un peu brumeuse du petit matin, nous venions de quitter Manchester pour nous rendre à Newcastle où le groupe devait donner le premier concert de cette mini-tournée. Si toute l'équipe voyageait dans un mini-bus, avec le matériel, Stair et moi partions en voiture. Il voulait garder un peu d'indépendance, qu'on puisse se permettre quelques balades d'autant que les concerts s'étaleraient sur six semaines, et que plusieurs jours passeraient entre chaque. J'étais ravie de pouvoir découvrir l'Ecosse, Jenna m'en ayant parlé et ayant été enchantée de leur séjour l'année passée.

Nous avions environ trois heures de route devant nous et si nous étions partis si tôt, c'était parce que le groupe jouerait dès ce soir et qu'il fallait être sur place en début d'après-midi, pour les balances. Ayant passé mon permis au cours de l'année, j'avais proposé à Stair de le relayer ; ce fut lui néanmoins qui prit le volant pour quitter la ville, même si la circulation n'était pas encore trop dense à cette heure. Nous aurions tous pu partir la veille, mais cela permettait d'économiser une nuit d'hôtel pour toute l'équipe et ce n'était pas négligeable. Je me doutais que le coût de cette mini-tournée n'était pas petit, surtout avec les salaires de l'ingénieur du son et des deux chauffeurs-gardes du corps qui nous accompagnaient, sans oublier Gordon. Jenna m'avait cependant rassurée en me disant qu'elle et ce dernier avaient été vigilants sur les prix des nuitées. Sans oublier que Treddy connaissait beaucoup de monde et nous avait trouvé des hébergements confortables, à prix plus modique.

Nous fîmes le trajet sans difficulté, Stair réussit même à dormir un bon quart d'heure quand je pris le volant. Il n'aurait pas beaucoup le temps de se reposer d'ici le soir, c'était donc aussi bien qu'il ait pu en profiter. Nous arrivâmes à l'hôtel en milieu de matinée, précédés d'une dizaine de minutes par toute l'équipe. Nous prîmes possession de nos chambres, chacun se posa un peu, puis on se retrouva au restaurant pour un brunch.

A 14h, nous étions à la salle. Elle était encore vide et alors que les garçons et Gordon s'entretenaient avec le régisseur et l'équipe technique, que les roadies sortaient les instruments - essentiellement la batterie -, Jenna et moi parcourûmes la salle. Elle était de taille moyenne, semblable à celle où ils avaient joué à Manchester quelques semaines plus tôt.

Nous assistâmes ensuite aux balances. C'était la première fois pour moi et je trouvai cela très intéressant. Nous étions à côté de l'ingénieur du son et je suivais avec curiosité tout ce qui se passait. Ses gestes, les ordres et conseils qu'il donnait aux garçons, comment ceux-ci se plaçaient alors ou jouaient quelques mesures.

Quand ce fut terminé, nous les laissâmes dans les loges et partîmes faire un petit tour. Nous avions nos passes pour aller et venir aisément. Nous nous installâmes en terrasse, pour boire un verre. Nous avions prévu de retrouver les garçons en toute fin d'après-midi, pour un repas léger avec eux avant le concert.

- Tu sembles vraiment à l'aise, Jenna, dis-je alors que nous venions de lever nos verres et de boire nos premières gorgées.

Nous avions choisi des jus de fruits, préférant nous montrer raisonnables, sachant qu'on boirait certainement après le concert.

- Comment ça ? fit-elle un peu intriguée.

- Oui, ça se voit à la façon dont tu parles avec les gens... Gordon, les malabars, les techniciens... J'imagine que tu ne t'attendais pas à croiser un jour ce genre de personnes !

- Non, c'est vrai, reconnut-elle. Depuis que je connais Lynn, je découvre aussi beaucoup de choses, de gens, de métiers dont j'ignorais même l'existence, notamment parmi les techniciens. Mais j'aime ce milieu. Les artistes sont parfois un peu excentriques ou différents, mais les gens qui les entourent sont très professionnels. Sinon, ça ne marcherait pas. Il ne s'agit pas seulement d'avoir un bon groupe sur scène, un chanteur qui a une gueule et une voix, des bons musiciens et de belles chansons - quel que soit le style de musique. Il faut aussi qu'à l'arrière, ça assure : l'ingé-son, les éclairagistes, les roadies...

- C'est vrai, souris-je. Je ne pensais pas moi aussi rencontrer toutes ces personnes.

- Je suis contente que tu aies choisi de nous accompagner, dit-elle avec sincérité. Pas seulement parce que je me sens moins seule, en tant que fille, à côté du groupe. Mais aussi parce que tu es mon amie et que je suis contente que tu aies décidé de venir pour Stair.

- Il a été persuasif, je veux dire, pour les frais, expliquai-je d'une voix un peu basse. J'ai réfléchi aussi et j'ai pensé que ce serait une bonne occasion de voir de quoi nous étions capables tous les deux, l'un pour l'autre. Et si, moi, je me ferais à ce monde-là, à l'ambiance d'une tournée.

- Ca va être assez cool. Moins dur pour eux que celle de l'automne passé. Et ça n'a rien à voir avec ce qui est arrivé.

Jenna n'avait pas mentionné Ruggy - aussi pour éviter de faire l'amalgame avec Maggie -, mais je hochai la tête : j'avais très bien compris l'allusion. Jenna poursuivit :

- Ils avaient enchaîné les dates, parfois d'un soir sur l'autre. Cela avait été un rythme de dingue, m'avaient-ils raconté après. Snoog m'avait dit qu'il espérait qu'ils ne revivraient pas une tournée aussi dure. Mais que ça avait forgé leur expérience et que cela leur avait non seulement mis le pied à l'étrier en se faisant bien connaître en Grande-Bretagne et en Irlande, mais aussi de mesurer ce que c'était vraiment. Là, ça va être plus tranquille, car ils ne vont pas tant enchaîner les dates, et surtout, ils vont être ensemble, avec Treddy, et ça va leur permettre de mieux recréer l'esprit de groupe.

- Il est gentil, Treddy. Je l'aime bien. Il est très différent de Ruggy, mais j'ai l'impression que ça fonctionne quand même. Stair me dit qu'il aime bien travailler avec lui, qu'ils ont déjà des idées en commun, une façon proche de composer, d'apporter des éléments. Cela lui plaît beaucoup.

- Oui, je suis d'accord avec ce que tu dis. Moi aussi, j'aime bien Treddy. Il apporte de la mesure au groupe. Cela rétablit l'équilibre par rapport à Ruggy. J'aimais beaucoup Ruggy aussi, ajouta-t-elle, mais Treddy apporte vraiment autre chose. C'est un autre groupe que nous allons voir émerger, je crois.

- Je crois aussi. Tu sais...

Je marquai un petit temps d'arrêt, mon regard se fit un peu rêveur :

- ... Stair m'a dit que c'était grâce à Treddy qu'il était parvenu à écrire Reviens!. Pour la composition, je veux dire. Il paraît qu'il butait sur quelques éléments mélodiques et que c'était lui qui l'avait aidé. Mais que le rythme, il l'avait déjà bien en tête et que Lynn avait aussitôt embrayé.

- Ils travaillent toujours en groupe pour améliorer les morceaux. Mais je ne crois pas que Stair ait eu besoin de qui que ce soit pour écrire les paroles, fit Jenna.

- Tu te trompes, Jenna, dis-je en la fixant droit dans les yeux. Tu te trompes : il a eu besoin de toi.

Cela, je l'avais bien compris. Sans mon amie, sans son intervention, nous n'aurions pas avancé d'un pouce, Stair et moi. Et nous nous serions peut-être perdus. Nous devions une fière chandelle à Jenna et ce n'était pas inutile de le lui rappeler.

**

Nous regagnâmes la salle en toute fin d'après-midi. Les garçons étaient tranquilles, déjà concentrés. Nous pûmes y partager un repas avec toute l'équipe technique. Les garçons se montraient curieux de ces personnes, Snoog en premier lieu. J'allais vite me rendre compte, au cours des premiers jours, que finalement, je le connaissais peu et très mal. Derrière le leader, derrière le chanteur, derrière le dragueur, il y avait un jeune homme curieux, ouvert, que tout intéressait. Les gens, les lieux où nous passions, l'histoire de la ville... Il pouvait passer un après-midi de détente à visiter tout autant un musée d'histoire locale qu'une exposition de peinture. Et il lisait beaucoup. Je m'étais attendue à ce qu'il passe son temps avec des filles et en fait, pas du tout. Bien sûr, il y avait toujours une groupie qui se faisait embarquer après le concert, mais guère plus.

Je le vis donc à l'œuvre au cours de ce repas, demandant aux techniciens comment ils en étaient venus à faire ce métier, ce qui leur plaisait, d'où ils étaient originaires, s'ils avaient des souvenirs marquants... La plupart se prêtaient au jeu sans réticence, souvent touchés qu'on s'intéressât à eux. Et finalement, nous passâmes un moment très agréable et je me pris moi-même au jeu à les écouter discuter. Je compris alors ce que m'avait dit Jenna dans l'après-midi : qu'à côtoyer ainsi le groupe, elle avait rencontré des personnes très différentes. J'allais, moi aussi, pouvoir le faire. Et c'était réjouissant.

Puis, alors que le public commençait à se rassembler à l'extérieur de la salle, nous gagnâmes les loges. Une seule, assez grande, avait été mise à disposition du groupe. Il y avait des fauteuils confortables, une table, un réfrigérateur que Gordon s'empressa d'inspecter - pas question que les garçons boivent de l'alcool avant de monter sur scène. Une salle de bain voisinait avec la loge et chacun y passa à son tour pour revêtir sa tenue de scène. Celui qui y passa le plus de temps fut Snoog. En sortant, il était comme transformé et déjà dans son rôle, comme un comédien se serait métamorphosé en portant son costume. Snoog arborait un t-shirt dont il avait le secret - je me demandais bien où il se les procurait. Lynn et Stair se contentèrent de changer le leur. Ils avaient tous les deux choisi le même modèle que celui qu'ils portaient sur la pochette de l'album, comme un petit rappel du disque.

En voyant Stair revenir et s'asseoir à côté de moi, près de la table, je me sentis un peu émue. Je me rappelais du lien que j'avais fait, la première fois que j'avais regardé la pochette du disque - et pas qu'une seule fois, je devais bien le reconnaître. Que c'était ce t-shirt qu'il portait quand on s'était rencontré, qu'on avait eu ce bref échange à propos de leur futur concert, au Blue Limon.

Le regard de Stair se planta dans le mien, il eut un petit sourire très doux, puis il se pencha vers moi pour m'embrasser légèrement. Je continuai à le fixer, me demandant si je pouvais lui poser la question qui me brûlait les lèvres. Ou du moins, si le moment était bien choisi pour la poser, à moins d'une demi-heure de monter sur scène.

De la poche de son blouson, il sortit alors un jeu de cartes, celui que je lui avais offert. Il mélangea les cartes, puis commença à les disposer sur la table. Emue, j'appuyai ma tête contre son bras, posai ma main sur sa cuisse. Son regard croisa à nouveau le mien, avant qu'il ne me murmure très bas :

- C'est mon porte-bonheur, avant de monter sur scène.

Mon émotion monta d'un cran, ma gorge se noua. Je hochai simplement la tête, incapable de parler. Et je le regardai alors jouer. Au fil des minutes, je sentis bien qu'il gagnait en concentration et en calme. Que cela lui permettait de repousser le trac.

Jenna était assise sur un petit canapé, à côté de Lynn. Il avait les avant-bras posés sur les cuisses, la tête un peu baissée. Jenna lui avait pris la main et il jouait simplement avec ses doigts. Snoog était assis dans un fauteuil, à leurs côtés, la tête levée vers le plafond et le regard très lointain. Quant à Treddy, il s'était adossé à un mur, les yeux fermés, comme un moine bouddhiste. Jenna me confierait le lendemain qu'il pratiquait un peu la philosophie zen et je compris que c'était sa façon à lui de se préparer.

Ce qui me toucha le plus fut qu'ils le faisaient ensemble. Certes, ils avaient chacun leur façon de faire, mais ils étaient tous ensemble. Comme si des ondes invisibles les avaient reliés pour mieux les préparer à la scène, à ce qu'ils allaient vivre au cours de la soirée. Et à ce qu'ils feraient vivre à leur public.

Lynn fut le premier à se lever, lâchant la main de Jenna. Elle se leva elle aussi, Stair interrompit sa partie, rangea lentement les cartes dans leur étui. Snoog abandonna la contemplation du plafond et Treddy rouvrit les yeux. Aucun ne bougea cependant de sa place alors que Lynn, Jenna et Gordon sortaient de la loge. Par l’entrebâillement de la porte, nous entendîmes la clameur confuse venir de la salle. Un frisson courut sur mon bras. Stair me prit la main et me murmura à l'oreille :

- On y va.

Je me levai et l'accompagnai dans le couloir. Gordon venait vers nous. Ils échangèrent quelques mots alors que nous nous trouvions encore à l'arrière de la scène. Lynn avait commencé son intro. Je ne voyais Jenna nulle part et me demandai bien où elle se trouvait. Stair se pencha vers moi, m'embrassa profondément - un baiser court, mais très chaud - avant de me lâcher et de me dire :

- A tout à l'heure, baby.

Et il se glissa vers la scène, se dirigea droit vers le support où se trouvait sa basse, la passa autour de lui et fit entendre ses premières notes. Le bras de Gordon se glissa sous le mien et je parvins à comprendre ce qu'il me disait, tandis que mon regard restait fixé sur Stair.

- Par là, Ally.

Nous fîmes quelques pas de côté et j'aperçus alors Jenna. Je la rejoignis pendant que Gordon tournait les talons. Je compris qu'il ne pouvait pas perdre de temps : il lui fallait accompagner les deux autres. Je pris place sur le petit canapé où Jenna était déjà assise. Elle me sourit et me dit :

- Ils sont déjà bien dedans. Ca va bien se passer.

J'admirai la confiance de mon amie alors que mon cœur battait la chamade. Je n'avais jamais été côté coulisses, jamais ressenti le trac monter, jamais perçu les cris et les applaudissements de la foule de cette façon. C'était nouveau, fort, émouvant pour moi. Heureusement que Jenna était là, sa présence m'aida à me calmer et à ne pas me laisser envahir par des émotions trop puissantes.

D'autant que Treddy, puis Snoog entraient en scène, ce dernier bondissant en lançant son cri du jour :

- Bonsoir, Newcastleeeeeeeeeeeeeee !!!

Et ils commencèrent avec Lies, more Lies !

**

Le concert se déroula bien, mais je ne pus m'empêcher de verser à nouveau une petite larme lorsque les garçons entonnèrent Reviens !. Et je perçus mieux, cette fois, l'émotion de Jenna lorsque Lynn entama son solo sur Redemption. C'était très émouvant de se dire qu'un morceau avait été composé pour nous, que nous faisions partie d'une sorte de club, de celles à qui des chansons ou des poésies avaient été dédiées.

Après le concert, nous retrouvâmes les garçons dans la loge. Les deux gardiens veillaient, ainsi que le service d'ordre de la salle. Quelques groupies piétinaient déjà non loin de là : Snoog n'aurait que l'embarras du choix encore une fois.

- Comment résistent-ils ? soufflai-je à Jenna. Elles sont toutes très mignonnes, complètement hystériques, mais aguicheuses au possible.

Puis, fronçant les sourcils, j'ajoutai :

- Elles me rappellent quelqu'un...

- N'y pense plus, dit Jenna en passant son bras autour de mes épaules. Et fais comme moi : ignore les groupies. Non, il vaut mieux être vigilantes pour d'autres risques. Snoog est un grand garçon, il se débrouille. Et Lynn et Stair ne seront pas intéressés, crois-moi. Nous sommes là.

- Et si, un jour, nous ne sommes pas là ? Qu'ils craquent ? Comment on réagira, après ? demandai-je un peu inquiète.

- Par la confiance, Ally. Nous n'avons pas le choix. Soit on se dit qu'ils nous aiment assez pour ne pas s'aventurer avec une de ces filles, soit si cela arrivait, on pourrait se dire que ce n'était pas grand-chose. Qu'ils l'auront déjà oubliée. Parce qu'ils reviendront toujours vers nous. Parce que nous ne sommes pas comme elles, à leurs yeux. Nous ne serons jamais comme elles, Ally, et surtout : elles ne seront jamais comme nous. Mais la confiance, c'est primordial.

- Tu crois... Tu crois que Lynn a pu craquer ? Depuis qu'il te connaît, je veux dire ?

Jenna ne répondit pas tout de suite, réfléchit : ma question était délicate, j'en avais bien conscience. Mais j'avais besoin de son avis, de sa réflexion aussi. De savoir comment elle, elle faisait face à cette autre réalité de la scène et du succès naissant.

- Je ne crois pas que cela soit arrivé, Ally. Sincèrement. Mais je ne dis pas qu'il n'a pas dû résister à la tentation. Ca... Surtout avec le rythme qu'ils ont connu pour la précédente tournée, la fatigue, l'adrénaline d'être sur scène, de jouer, de sentir l'enthousiasme du public, de se sentir un peu flotter au-dessus de tout, de sentir qu'ils changeaient de vie, aussi. Pas que le succès leur montait à la tête, juste qu'ils changeaient de monde. Tu comprends ?

- Oui. Oui, je comprends, mais... Mais moi, je ne sais pas si je pourrais accorder autant de confiance à Stair, tu sais. Surtout... Surtout après ce qui s'est passé.

- Ally, fit-elle en me tournant vers elle et en me reprenant dans ses bras. Ally, ce que vous avez vécu a été une épreuve pour l'un comme pour l'autre. Crois-moi, mais je suis certaine que Stair ne voudra jamais revivre la même chose. Il a souffert, lui aussi, de s'être laissé embarquer. Il sait ce que c'est de se laisser embarquer, et quand il en sentira le risque, je suis certaine qu'il n'avancera pas d'un pas de plus, que tu sois là ou pas, et même si moi, je suis là et que je peux lui dire "fais gaffe !".

Je hochai la tête, doutant encore un peu. Pas forcément de Stair, mais de moi-même, de ma capacité à lui faire confiance à nouveau. Jenna insista donc encore :

- Laisse-toi du temps, Ally. Laissez-vous du temps, à toi et à Stair. La confiance reviendra. Sois patiente.

- Oui, je pense que tu as raison, soupirai-je. Bon, allons les retrouver. Sinon, ils vont finir par se demander si nous, nous n'avons pas été embarquées par des beaux mecs.

Nous échangeâmes un regard complice et gagnâmes la loge. Gordon avait déjà rejoint les garçons. Tous les quatre étaient torses nus, ce qui, ma foi, n'était pas du tout vilain à regarder. Je jetai un coup d'œil à Jenna et je vis qu'elle appréciait le spectacle autant que moi. Sentant mon regard, elle se tourna vers moi à son tour et nous éclatâmes alors de rire.

Stair

J'étais très heureux à l'idée de jouer ce premier concert en présence d'Ally, avec nous, en coulisses. La journée s'était déroulée normalement, après avoir fait la route depuis Manchester ce matin. Nous ne resterions qu'une nuit à Newcastle pour gagner directement Glasgow ensuite, pour le festival. Nous y jouerions dans quatre jours. Nous aurions donc le temps de nous poser un peu et de nous balader.

Je m'efforçais de partager avec Ally chacun des moments de cette journée, pour qu'elle prenne la mesure de ce que nous faisions avant un concert. C'était très différent de ce qu'elle avait pu connaître quand on jouait dans les pubs. Désormais, il y avait des techniciens pour installer le matériel - même si nous assurions toujours les dernières vérifications. On avait des loges aussi, pour se poser. La préparation d'un concert observait une organisation bien rythmée, bien huilée. Arrivée, échange avec l'équipe du lieu, installation du matériel, balances. Puis phase de repos, repas, et enfin, moment de concentration dans la ou les loges.

Ce soir-là, nous étions tous ensemble. Chacun adopta son attitude habituelle. J'avais pu échanger avec Treddy et il m'avait expliqué qu'il suivait certaines pratiques du bouddhisme, notamment pour faire le vide en lui, se concentrer, chasser toutes les ondes négatives. Il me disait que cela lui faisait comme un petit rituel de purification. J'avais été impressionné par ses propos et je pus constater en tout cas que c'était très efficace. Quand il nous rejoignit sur scène, alors que Lynn et moi jouions les premières mesures de l'intro de Lies !, il était déjà complètement dans le show et se lança sans aucune hésitation.

C'était donc la première fois qu'Ally assisterait à un concert côté coulisses. Heureusement que Jenna était avec elle, car je me doutais bien qu'elle serait impressionnée par moments, notamment au cours des instants précédant l'entrée sur scène, avec le trac qui nous saisit, l'effet impressionnant des clameurs de la foule. Et encore, nous étions face à une petite salle, avec un public oscillant entre trois et quatre mille spectateurs. On était encore loin d'ajouter un zéro de plus...

Depuis le moment où Jenna et elle nous avaient rejoints, j'avais tenu autant que possible la main d'Ally, pour lui faire passer mes émotions et sentir les siennes. J'avais aussi choisi pour ce concert un élément bien particulier : je portais le même t-shirt que sur la pochette du disque, celui-là même que j'avais sur moi le jour où nous nous étions rencontrés. Je voulais refaire le lien avec ce jour-là, même si Ally n'en avait pas souvenir.

Je vis bien, cependant, à son regard, qu'elle était émue. Peut-être que le calme qui régnait dans la loge, presque le silence, l'incita aussi à ne rien me dire. Néanmoins, quand je sortis le jeu de cartes de la poche de ma veste, son émotion se fit plus vive. Je me penchai alors vers elle pour lui dire tout bas :

- C'est mon porte-bonheur, avant de monter sur scène.

Elle appuya alors sa tête contre mon épaule, posa la main sur ma cuisse et demeura ainsi tout le temps que je faisais mes réussites. Sa présence m'apaisait aussi. Et quand Lynn se leva, je me sentais bien. Prêt à entrer en scène, peut-être comme jamais je ne l'avais été.

Nous gagnâmes l'arrière de la scène, je la sentais tendue. Moi, ça allait, même si un frisson me parcourut en entendant les cris des spectateurs quand Lynn entama son intro.

- A tout à l'heure, baby, lui glissai-je avant de l'embrasser.

Puis je grimpai le petit escalier menant à la scène, la traversai, passai ma basse par-dessus mes épaules et attaquai dans la foulée de Lynn.

**

- C'est complètement... fou.

- Et encore... Tu verras, à Glasgow ou à Edimbourg, pendant les festivals, c'est encore autre chose... Hum... Ally...

Nous étions sous la douche. Après le concert, on n'avait pas traîné et pendant que les techniciens et les roadies rangeaient le matériel, on était tous rentré à l'hôtel. Je la tenais dans mes bras, l'appuyant contre la paroi carrelée. Elle avait enroulé ses bras et ses jambes autour de moi et c'était juste délicieux de l'avoir ainsi tout contre moi.

- Chuis vraiment trop heureux qu'tu sois là, tu sais... C'est chouette de jouer aussi pour toi et Jenna.

Puis je l'embrassai profondément avant de la porter jusqu'à la chambre. On bascula sur le lit et ce fut une première étreinte joyeuse.

Heureuse.

**

- Stair...

- Hum ?

- Je peux te poser une question ?

- Oui, bien sûr.

J'avais les yeux fermés. Ally était couchée tout contre moi, ses jambes étaient emmêlées aux miennes, son bras en travers de mon torse, ses doigts caressant doucement ma salamandre.

- C'était un hasard d'avoir mis ce t-shirt en particulier ce soir ? Tu voulais rappeler la pochette de l'album ? Comme Lynn ?

Je rouvris les yeux, me penchai vers elle. Je ne voyais pas vraiment son visage, caché par ses boucles blondes et niché au creux de mon cou.

- Non, c'était pas un hasard. Il rappelle la pochette de l'album, c'est vrai. Mais si j'ai choisi ce t-shirt pour cette pochette, c'était pour toi.

Je la sentis frissonner contre moi.

- Pour... moi ?

- Oui. C'était celui-là que j'portais le jour où on a fait connaissance. Pour moi... C'était une façon de garder un lien. De rappeler ce jour-là. J'voulais... J'voulais t'associer à ce premier disque, Ally. J'voulais... Pff... Comment dire ? Qu'il y ait un peu de toi avec moi, dans ce disque.

Elle garda le silence. Puis je sentis quelque chose d'humide glisser sur ma peau. Je voulus bouger, mais elle fut plus rapide que moi et se redressa pour me faire face.

- Quand... Quand j'ai acheté l'album, que j'ai découvert la pochette... J'y ai pensé. Mais je ne voulais pas y croire. Je refusais d'y voir un... un signe.

- C'en était un, pourtant, Ally. C'en était un, répondis-je très ému de ses confidences.

Très ému qu'elle ait fait le lien. Qu'elle ait compris le message, même si elle avait refusé de l'entendre.

Elle caressa doucement, du bout des doigts, mon visage. Son regard était, à cet instant, d'un bleu incroyable, comme rendu plus profond encore par la larme qu'elle avait versée.

- Je... Tu avais l'air triste, sur la photo.

- Je pensais à toi. J'croyais... t'avoir définitivement perdue.

Ce fut mon tour de caresser son visage. Puis je vins chercher ses lèvres pour l'embrasser profondément.

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