Chapitre 40 : Revanches
Ally
Depuis le retour de Liverpool, dans la nuit de samedi à dimanche, j'étais restée chez Stair. J'y avais toutes mes affaires pour le retour à l'école, pas besoin de repasser chez moi. Nous avions profité de cette dernière journée pour nous retrouver. C'est à dire que nous avions passé beaucoup de temps au lit...
C'était le matin de la rentrée. Nous avions quitté l'appartement assez tôt, avec pour objectif de passer chez Lynn et Jenna pour les récupérer. Lynn tenait à accompagner mon amie : il ne pouvait sans doute pas s'empêcher d'avoir encore de la crainte pour sa rentrée, qu'il n'y ait un souci comme l'an passé. Jenna avait téléphoné la semaine précédente à l'école pour s'assurer que tout était bon. Elle allait pouvoir reprendre sa deuxième année. J'en étais bien contente pour elle et ravie de la retrouver avec nous, même si nous ne nous verrions qu'aux intercours.
Stair trouva sans difficulté une place non loin de l'entrée de l'école. Les élèves s'y regroupaient déjà. Nouvelles têtes - les premières années - et têtes connues, dont Nora qui nous guettait.
- Ally ! Jenna ! fit-elle avec un grand geste du bras.
Nous traversâmes la rue après avoir donné avec un bel unisson un dernier baiser à nos chéris, et rejoignîmes Nora. Nous lui fîmes la bise et elle s'enthousiasma aussitôt à nous voir si bien accompagnées :
- Vous êtes venues avec vos chéris ?
- Oui, ils tenaient à nous accompagner ce matin, dit Jenna. Lynn voulait être certain que tout se passerait bien pour moi, pas comme l'an passé...
- Je comprends, fit-elle. C'est chouette que tu puisses revenir !
- Oui, et je suis vraiment reconnaissante à la direction de l'école de m'avoir admise à nouveau. Maintenant, je vais devoir me replonger dans le rythme des cours et des révisions, mais je suis très motivée !
- Je n'en doute pas ! fit Nora. Et toi, Ally, alors... Ca tient toujours ?
Elle ponctua sa remarque d'un petit signe de la tête en direction du trottoir. Je tournai le regard vers Stair et Lynn, appuyés tous les deux contre la voiture, dans une attitude qui n'était pas sans rappeler celle de la pochette du premier album. J'en souris et glissai à Jenna :
- Ils se sont juste trompés de t-shirts, ce matin...
Elle avait, elle aussi, tourné son regard vers les garçons et me sourit en retour :
- Tu as raison.
- En tout cas, vous allez faire fureur, les filles, avec vos BBT, lança Nora. Il y a déjà toutes les premières années qui les regardent... Sans oublier les autres !
- Elles peuvent regarder, dit Jenna. Eux, ils ne regardent que nous !
- Et c'est très bien comme ça, ajoutai-je avec une petite pointe de jalousie dans la voix, pointe que seule Jenna put saisir.
La sonnerie de l'école résonna à ce moment-là. Jenna glissa amicalement son bras sous le mien et dit :
- Allez, on y va ! En route pour de nouvelles aventures !
- Et une belle revanche pour toi ! fit encore Nora.
Oui, une très belle pour Jenna. Mais cela n'allait pas être la seule... Et Stair et moi allions aussi avoir la nôtre, quelques jours plus tard. Sans oublier tout le groupe...
Stair
Ally et Jenna avaient pu faire leur rentrée sans souci. Nous étions tous bien contents, surtout pour Jenna, après les difficultés rencontrées l'année passée. Pour Ally s'annonçaient plusieurs mois de travail intense. Je lui avais proposé de s'installer chez moi, mais elle avait décliné, arguant qu'elle voulait, pour l'instant, reprendre le rythme scolaire. Elle voulait rester concentrée sur son objectif, de réussir sa dernière année et d'obtenir son diplôme. Et qu'en plus, comme le groupe allait bientôt partir pour Londres, elle n'avait pas envie de se retrouver seule. Autant rester chez ses parents. Cela ne voulait pas dire qu'elle ne viendrait pas, mais ce serait aléatoire, en fonction de son travail quotidien, de sa fatigue... En revanche, nous avions convenu de passer les week-ends ensemble et avec les trois autres, qu'on suspendait les répétitions ces jours-là. Ce qui arrangeait Treddy car il pouvait ainsi remonter sur Glasgow régulièrement pour voir sa petite Coleen.
Les filles reprirent vite leur rythme. Nous, nous enchaînions les répétitions pour que les morceaux soient tous au point pour notre entrée en studio. Treddy n'avait pas l'expérience d'un enregistrement et je lui avais expliqué deux-trois détails. Nous avions aussi fait notre choix pour ce deuxième disque, notamment parmi les plus anciennes chansons. Au final, le disque présenterait quand même beaucoup de nouveautés, du moins pour le public qui nous suivait quasiment depuis nos débuts.
C'était un jeudi soir, vers la mi-septembre. Après la répétition, Lynn et moi avions récupéré les filles et nous nous étions tous retrouvés au Blue Limon. Elles n'avaient pas revu le groupe depuis la fin août et même Snoog réclamait après elles. Comme Treddy remontait sur Glasgow au week-end, on avait donc convenu de passer la soirée ensemble, sans nous attarder, puisqu'elles avaient cours le lendemain.
On avait passé notre commande, petits sandwichs et pintes. Je patientai au comptoir pour récupérer les deux dernières, lorsque j'eus soudain l'intuition d'un truc qui n'allait pas, comme l'imminence d'une catastrophe. Une main se posa sur mon bras et une voix se mit à minauder :
- Stair ! Oh, comme je suis contente de te revoir... Comment vas-tu, ch... ?
Je ne lui laissai pas le temps de finir sa phrase, attrapai les deux pintes et me détournai pour rejoindre la table. Mon regard croisa celui d'Ally, pâle, figée. Je glissai les deux verres sur la table - un pour Snoog et l'autre pour moi -, m'assis à côté d'Ally et l'embrassai comme je ne l'avais peut-être encore jamais embrassée devant mes potes. Ses lèvres étaient glacées, son cœur battait très fort, je pouvais le sentir contre moi, alors que je passais mon bras dans son dos pour la rapprocher de moi.
A cet instant, j'entendis le raclement de deux chaises : Lynn et Snoog venaient de quitter la table et rien qu'à ce bruit, je sus que l'affaire n'allait pas se clore juste avec mon baiser à Ally. Je le rompis alors, la regardai droit dans les yeux pour lui faire passer tout ce que je pouvais d'amour et de confiance, puis je me retournai pour suivre la suite, soucieux de savoir ce que mes potes allaient dégainer.
Ally
Après deux bonnes semaines de cours, je pouvais dire que j'étais désormais bien dans le rythme. J'avais repris mes habitudes de travail, sans difficulté. Seul changement par rapport aux deux années précédentes : je passais désormais tous mes week-ends avec Stair : la fin octobre et l'entrée en studio à Londres viendraient bien assez vite, je voulais pouvoir profiter de lui le plus possible. Nora et moi planchions déjà sur nos premiers travaux de groupe. Quant à Jenna, elle avait elle aussi vite repris ses marques et s'était déjà liée avec plusieurs élèves de deuxième année.
Nos BBT - comme Nora avait surnommé Stair et Lynn - venaient nous récupérer tous les vendredis soirs, et parfois, en semaine. Ce surnom nous amusait bien et comme je l'avais dit une fois à Jenna, heureusement que Snoog ne venait pas avec eux... Il aurait embarqué la moitié d'une promotion au moins. Elle avait ajouté que rien que par sa présence, il aurait été capable de déclencher une mini-émeute.
Pour la première fois depuis la rentrée, nous retrouvions tout le groupe au Blue Limon. D'après Stair et Lynn, on manquait à Snoog. Après plusieurs semaines passées avec eux tous et même si je m'étais bien familiarisée avec son attitude, son humour et sa vivacité, sans oublier son intelligence, il me surprenait encore. Dès le concert de Newcastle, avant même que nous ne nous retrouvions en Ecosse, il m'avait incluse dans leur cercle. Bien sûr, il disait souvent que c'était sympa et agréable d'être en belle compagnie, avec Jenna et moi, mais j'avais vite compris que derrière ce genre de tirades un peu lourdingues se cachaient une vraie appréciation, une vraie estime. Je n'en étais pas surprise pour Jenna, elle avait d'ailleurs eu l'occasion de m'en parler, mais plus pour moi-même. Je ne m'attendais pas, en fait, à faire partie de l'entourage du groupe si aisément. Même si Stair avait sans doute été très clair quant à ma présence avec lui et qu'il n'y avait plus à avoir le moindre doute à ce sujet.
En ce jeudi soir, il y avait un peu de monde au pub. C'était le soir des étudiants, avant que la clientèle ne soit plus bigarrée pour les deux jours à venir. J'avais salué le patron et même John en cuisine, rapidement car il était en plein travail. Même si je ne reprenais pas du service ici, je m'étais engagée auprès du patron à lui filer un coup de main en cas de besoin, ponctuellement. Je lui devais bien cela, car il m'avait bien aidée et soutenue au cours des deux dernières années.
Nous étions tous attablés, à peu près au milieu de la salle. Notre commande était passée et Stair attendait pour récupérer les deux dernières pintes, celle de Snoog et la sienne. J'étais en train d'échanger avec Treddy et Snoog, assis face à moi. A ma droite se trouvaient Jenna et Lynn. De ma place, je pouvais voir l'entrée du pub.
Mon regard fut attiré par une silhouette qui ne m'était pas inconnue, montée sur des talons aiguille. Je frissonnai avant même qu'elle n'ait fait un pas dans la salle. Puis le froid s'insinua dans mes veines, me rappelant cruellement l'horrible impression que j'avais ressentie le soir du concert de groupes, quand je l'avais vue attraper Stair par les revers de son blouson et l'embrasser. Elle se dirigea droit vers lui, posa sa main sur son bras et rien que ce geste me donna envie de vomir. Je devais être blanche comme un linge, car les conversations des garçons et de Jenna s'étaient suspendues, et je sentais leurs regards posés sur moi.
Stair ne lui prêta pas la moindre attention, il attrapa les deux verres et vint se rasseoir à côté de moi. Son regard se planta dans le mien et il se pencha vers moi pour m'embrasser. Après le froid, une vive chaleur se mit à courir dans tout mon corps, comme lorsqu'il m'enflammait intensément pendant l'amour.
Il rompit notre baiser lorsque Snoog et Lynn se levèrent avec un bel unisson, faisant racler les pieds de leurs chaises sur le sol.
Il fallait être rapide et avoir l'oreille attentive pour les suivre. Ils se plantèrent devant Maggie, restée debout près du comptoir. Elle avait un air totalement ahuri sur le visage, réalisant sans doute à peine ce que Stair venait de faire. Elle semblait ne pas avoir encore remarqué que les deux autres se dirigeaient vers elle.
- Dégage, Maggie, siffla Lynn. T'as un mort-vivant sur la conscience. Te r'trouve jamais sur not'route. Plus jamais.
- Ouaip. PLUS JA-MAIS, renchérit Snoog en détachant bien les syllabes.
Puis il ajouta, en pointant son doigt vers elle, alors que les conversations aux autres tables s'étaient tues :
- T'es p't-être svelte, Maggie. Mais t'es qu'une pute. Une svelte pute. Y a une limite autour des Dark. La franchis pas.
Elle avait pâli. De ma place, je ne pouvais pas voir l'expression de Snoog qui me tournait totalement le dos, juste apercevoir le profil de Lynn. Il aurait fait peur à n'importe qui. Et j'imaginais bien que Snoog pouvait avoir une expression semblable, que son regard bleu pouvait être aussi impressionnant et terrifiant que le noir de Lynn. En un éclair, je revis son attitude et sa réaction lors de la visite que nous avions rendue à Ruggy, fin juillet. Le désespoir profond qu'il avait laissé éclater et les larmes qu'il avait versées alors que je le tenais dans mes bras.
Maggie resta un moment figée, stupide et vacillante sur ses talons. Puis elle fit volte-face et ressortit. Alors que Lynn fixait encore la porte, comme pour s'assurer qu'elle était bien partie, Snoog s'accouda au comptoir pour s'excuser auprès du patron, puis il se tourna vers la salle. Je sentais bien que les clients hésitaient un peu, ne sachant pas trop comment se comporter, oscillant entre partir et reprendre leurs conversations, un peu comme on le voit dans certains westerns, quand un inconnu franchit la porte du saloon et que tout le monde le jauge. Il s'adressa à tous comme s'il s'était trouvé sur une scène, face au public :
- C'te fille, elle est en partie responsable de l'accident de notre premier guitariste, Ruggy, que certains d'entre vous ont pu croiser et voir sur cette petite scène, là-bas. Là où on a commencé. Elle a jamais eu un mot pour la mère de Ruggy, jamais eu le moindre geste. J'dirais seulement à ceux qu'elle tenterait : c'est un poison et son venin vous emmène droit vers l'enfer. Maint'nant... J'paie la prochaine tournée pour tout l'monde !
Il y eut alors quelques cris, puis des applaudissements. Et chacun reprit ses conversations.
Lynn s'était déjà rassis à côté de Jenna. J'avais échangé un long regard avec mon amie. Elle m'avait brièvement pris la main, la serrant fort. Puis Snoog nous rejoignit, posa ses deux poignets sur la table.
- Bien. Maint’nant, ça, c'est réglé. On causait d'quoi, déjà ?
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