Chapitre 42 : Deuxième disque, deuxième écueil
Ally
- Il faut qu'on y aille.
- Je crois que tu as raison, Jenna.
Nous étions ce soir-là chez elle et Lynn, autour d'un repas improvisé. A l'origine, nous avions décidé de passer cette soirée ensemble pour que je lui donne un petit coup de main sur un devoir un peu complexe. Mais après avoir reçu elle un appel de Lynn et moi un de Stair, nous avions mis le devoir de côté.
Le groupe était parti depuis une semaine à Londres, pour l'enregistrement du deuxième album et, très vite, les choses s'étaient compliquées. Après avoir refusé que Mort Ghlinne Comhann y figure, la maison de disques voulait maintenant imposer un deuxième guitariste, à la rythmique. Et pour Stair, Snoog et Lynn, il n'en était pas question. Treddy n'avait pas émis d'avis à ce sujet, préférant laisser la parole aux trois membres fondateurs du groupe. Il soutenait néanmoins leur avis. Ils avaient quand même commencé les enregistrements, avec Dark City et No man's land. Ce n'était pas si mal après huit jours de studio et une ambiance tendue.
- Stair est soucieux, poursuivis-je. Il ne le dit pas nettement, mais je le sens bien. Cette histoire de deuxième guitariste le tracasse.
- Oui, Lynn me l'a confié aussi. Et...
A ce moment-là, le téléphone de Jenna sonna à nouveau. Cette fois, c'était Gordon. Elle mit aussitôt le haut-parleur pour que je puisse suivre leur conversation.
- Bonsoir, Jenna, je ne te dérange pas ?
- Bonsoir, Gordon. Pas du tout. Je mets le haut-parleur, Ally est avec moi.
Il soupira et reprit :
- Bonsoir, Ally. C'est aussi bien que vous soyez toutes les deux, on va gagner du temps. Vous avez eu des nouvelles des garçons ?
- Il y a un quart d'heure environ, répondit mon amie. On les sent tendus et inquiets.
- Ca ne s'engage pas bien. Je suis désolé de vous le dire, mais...
- Nous l'avions bien deviné. Nous étions justement en train de discuter entre nous et de nous dire qu'on allait venir à Londres ce week-end. Nous terminons tôt vendredi, nous prenons directement la route après nos cours. On devrait arriver vers 22h.
- Ce serait une bonne chose, dit-il d'un ton que je devinai soulagé. Je pense que je vais avoir besoin de vous. Et les garçons aussi.
- D'accord. Nous te tenons au courant. N'hésite pas à leur rappeler que nous allons venir. Ca pourra les aider à tenir le coup.
- Je crois que ça va surtout m'aider à tenir le coup...
Rien qu'à entendre les propos et le ton de Gordon, il y avait de quoi s'alarmer. Il n'était pas du genre à fuir à la moindre difficulté. Stair m'avait raconté en détail la façon dont il leur avait annoncé la nouvelle pour la chanson Mort Ghlinne Comhann. Qu'il avait tenu bon face à Snoog, rappelant le contexte dans lequel le groupe se trouvait, les nécessités auxquelles il devait faire face. Nous avions espéré que l'entrée en studio, le fait de commencer à travailler sur ce deuxième album, de repartir dans un cercle créatif les auraient tous réconfortés, encouragés, surtout après le bel élan donné par la tournée estivale. Et qu'ils auraient fait contre mauvaise fortune, bon cœur. Sauf qu'apparemment, les choses ne se passaient pas aussi bien que nous l'avions souhaité...
Jenna salua Gordon, je fis de même, puis elle raccrocha.
- Bien, je crois qu'il n'y a pas à hésiter, dis-je. On va aller à Londres ce week-end.
- Oui. Le plus simple, ce serait que tu viennes dormir à la maison jeudi soir, Ally. Comme cela, on prend la voiture vendredi matin pour aller à l'école, on aura nos affaires dedans et on part directement.
- Pas de souci. On va faire comme cela. Et on va essayer de rassurer Lynn et Stair d'ici là...
**
Nous étions parties comme prévu et faisions route vers la capitale. J'avais relayé Jenna et elle venait de reprendre le volant, après une petite pause au cours de laquelle nous avions mangé nos sandwichs. Il nous restait environ une heure de route et nous avions convenu que Jenna ferait la dernière partie du trajet, car elle connaissait bien les alentours de la capitale. J'avais hâte d'arriver pour plusieurs raisons : d'abord, il y avait ce souci autour de l'enregistrement du disque, dont les garçons nous avaient parlé à mots couverts. Et ensuite, Stair commençait à beaucoup me manquer. Peut-être plus qu'à la fin de l'été, alors que le groupe se produisait au Pays de Galles.
- J'ai hâte qu'on arrive, dis-je à un moment, alors que je suivais du regard les longues gouttes de pluie tombant sur le pare-brise, que l'essuie-glace avait bien du mal à balayer.
- Tu es en manque ? fit Jenna avec amusement.
- Grave. Et je m'inquiète vraiment de savoir comment je vais pouvoir tenir durant la tournée. Ils seront partis des mois...
- On a encore un peu de temps pour s'y préparer, Ally. Et l'enregistrement de l'album, c'est une façon de le faire.
- C'est ce que je me dis... Mais...
Je suspendis ma phrase un moment, puis repris :
- Je me surprends, tu sais.
- Comment cela ?
- C'est vrai qu'au début, je m'attendais si peu à ce que Stair ait encore des sentiments pour moi et même qu'il en ait jamais eu...
- Mais aujourd'hui, tu es heureuse, n'est-ce pas ?
- Oui, répondis-je en souriant. J'aurais sans doute réussi à passer à autre chose, à avancer. Même si j'avais toujours l'impression que quelque chose en moi s'y refusait totalement, presque viscéralement. Et même si ce quelque chose, je l'enfouissais très profondément.
- Ton cœur y croyait toujours, Ally. Même si ce n'était pas raisonnable, du moins, tel que les choses se présentaient, me dit Jenna avec compassion.
- Oui, sans doute, fis-je en levant légèrement les sourcils.
Puis j'ajoutai :
- Tu te rends compte que la chanson Reviens ! va figurer sur le deuxième album. Moi, je n'arrive toujours pas à réaliser...
- Il serait vraiment dommage qu'ils ne l'enregistrent pas. Je pense que c'est typiquement le genre de chansons qui peut leur amener d'autres fans.
- Ouais, encore plus de harpies déchaînées, fis-je en riant.
- Pas seulement, il y a des garçons qui sont romantiques aussi, même chez les hard-rockeurs. Ce n'est pas incompatible, vois ce que des groupes comme Scorpions ont fait, et, d'une certaine façon, Stair l'a prouvé en écrivant cette chanson. Elle permettra même, peut-être, à des hard-rockeurs romantiques de s'afficher comme tel alors qu'ils jouaient les durs jusqu'à présent.
- C'est assez amusant à imaginer.
- Oui, c'est vrai. Est-ce que Stair t'a reparlé de l'ordre des chansons ?
- Non, pas du tout, répondis-je. J'ai l'impression que c'est une question bien secondaire à l'heure actuelle... Déjà, d'avoir dû renoncer à Mort Ghlinne Comhann, ça les obligeait à revoir l'agencement, parce qu'ils ne veulent pas que Regrets soit la dernière chanson. Du coup, je ne sais pas ce qu'ils vont décider.
- Ils pourraient mettre Reviens !, comme ils avaient fait pour Redemption, sur le précédent, suggéra Jenna.
- Ca pourrait être une solution, en effet. Dans leur esprit, elle devait plutôt figurer vers le milieu de l'album, pour créer comme une respiration.
- Oui, c'était leur idée, mais maintenant, il va peut-être falloir revoir tout cela...
Je soupirai :
- J'espère que ça va aller, ce week-end.
Jenna n'ajouta rien : nous avions le même souci à l'esprit. Et espérions bien que la tâche qui nous tombait dessus ne serait pas insurmontable.
**
Jenna avait à peine arrêté la voiture sur le parking de l'hôtel que Lynn d'un côté et Stair de l'autre nous attrapèrent pour nous ramener à l'abri. La pluie tombait aussi dru à Londres que sur l'autoroute. Je m'accrochai à Stair, folle de joie de le retrouver et laissant de côté pour le moment tous les soucis qui nous attendaient pour ne penser qu'à lui. A peine arrivés dans le hall, il m'embrassa profondément. J'avais noué mes bras autour de son cou et mes jambes autour de sa taille. J'entendis à peine Snoog nous accueillir, avec une de ses tirades pleines d'humour dont il avait le secret :
- Salut, les minettes ! Bon, il était temps qu'vous arriviez ! Vos mecs, ils sont à bloc !
- Pas toi ? lui répliqua Jenna.
- On préfère pas vous dire de quoi il a été capable il y a deux jours... soupira Treddy d'un ton amusé.
- Ally... Lâche Stair un peu... Vous êtes dégoûtants. Vous devriez attendre d'être dans la chambre pour faire ça... On va se faire jeter de l'hôtel si vous continuez, poursuivit Snoog en s'adressant cette fois plus précisément à moi.
- A t'entendre, on croirait que c'est toi qui es à bloc, fit encore Jenna.
- Ouais, jolie brune. Heureusement qu'on a prévenu l'ingé-son que, demain matin, on ne serait sans doute pas très tôt au studio, because deux des guest-stars retrouvaient leurs copines. La grasse matinée serait au programme...
A cet instant, nous rompîmes notre baiser, Stair et moi, et je répliquai à Snoog :
- C'est c'qu'on verra, beau blond ! Je parie qu'on est levé avant toi demain matin.
- Pari tenu, beauté !
Nous ne nous attardâmes pas dans le hall, Lynn et Stair nous menant vers les ascenseurs alors que Snoog et Treddy se dirigeaient vers le bar de l'hôtel. Ils devaient vouloir y prendre un dernier verre. Dans l'ascenseur, Lynn enlaça aussitôt Jenna et l'embrassa, alors que Stair me reprenait dans ses bras pour faire de même. Je me retrouvai le dos appuyé contre une des parois. Heureusement, nous arrivâmes vite à l'étage des chambres et sans nous soucier de savoir si Lynn et Jenna avaient trouvé la leur, Stair nous mena jusqu'à la nôtre.
**
Un léger mouvement me tira du sommeil. J'eus bien du mal à ouvrir les yeux. J'avais l'impression de m'être endormie depuis très peu de temps. Je tendis la main devant moi, pensant toucher le corps de Stair, mais je ne rencontrai que le vide. Je finis par me redresser dans le lit et mon regard fit le tour de la pièce.
Stair était debout devant la fenêtre, occupé à se rouler un joint. C'était la première fois qu'il fumait devant moi, en pleine nuit. Son front était barré d'un pli soucieux. Le voir ainsi me réveilla totalement. Je me levai pour le rejoindre, passai mon bras autour de sa taille et m'appuyai contre lui.
- Désolé d't'avoir réveillée, baby. Mais j'arrive pas à dormir...
- Quel est le souci, Stair ?
- Ca coince. Et de partout.
- Comment ça ? Explique-moi.
Il soupira, continua à rouler son herbe. Puis finalement, il reposa le tout sur le rebord de la fenêtre et me prit contre lui.
- J't'ai dit qu'la maison de disques voulait qu'on joue avec un deuxième guitariste. Pour la rythmique. Ils nous ont balancé ça samedi dernier, alors qu'on avait déjà deux morceaux d'enregistrés et qu'on mettait en boîte un troisième.
- Qu'est-ce que ça implique, d'avoir un deuxième guitariste ?
- Ca implique qu'il faut revoir toute la construction des morceaux, notamment la répartition de la rythmique entre la basse et cette autre guitare. On n'a pas du tout construit nos morceaux avec l'idée d'avoir deux guitares. La rythmique, c'est Lynn et moi qui l'assurons. Et j'apporte une touche mélodique quand c'est possible, notamment dans les enchaînements. Par exemple, pour permettre à Treddy de se lancer dans un solo.
- Je vois. Mais comment allez-vous faire ? Vous n'avez pas d'autre guitariste avec vous...
- Les musiciens de studio, ça court les rues. Ils en ont au moins quatre ou cinq à nous proposer. C'est pas l'problème...
- Je comprends.
- Et il y a un autre problème.
- Ah ?
- Snoog a décidé qu'on enregistrerait quand même Mort Ghlinne Comhann.
- Non ? fis-je en ouvrant de grands yeux et en le fixant.
- Si. Et là, on avait prévu d'enregistrer Dark Night, sauf que... Il n'y arrive pas. Il n'arrive pas à chanter. Une vraie merde.
- J'ai du mal à imaginer que Snoog n'arrive pas à chanter...
- Et bien si. Ca arrive pas souvent, heureusement, mais là, on est pile dans l'œil du cyclone, si tu veux mon avis...
Je soupirai. Je le sentais vraiment tendu, inquiet et... assez désorienté. J'eus une pensée pour Lynn et Jenna, me demandant comment mon amie avait trouvé son copain. Si Lynn était dans un état similaire.
Stair
Apprendre que Jenna et Ally venaient pour le week-end avait été une vraie bouffée d'oxygène pour Lynn et moi, et dans une moindre mesure, pour Treddy, Snoog et Gordon. Je n'oubliais pas ce dernier, car il n'avait pas la tâche facile, ces jours-ci. Il était pris entre deux feux : les exigences de la maison de disques et les nôtres. Je ne voyais pas d'issue, la tension montait... Dès qu'un des mecs de la maison de disques, Mark Seakly, venait rôder, ça montait d'un cran. Sans redescendre. On avait bouclé tant bien que mal les deux premières chansons, mais aucun d'entre nous n'était satisfait du résultat pour la troisième. L'ingénieur du son avait alors préconisé qu'on la laisse en l'état pour le moment, qu'on passe à une autre et qu'on reviendrait dessus plus tard. C'était, je pense, la seule bonne décision prise cette semaine.
Au cours de ces premières heures de retrouvailles avec Ally, j'avais oublié tout ce bordel. Je m'étais perdu dans ses parfums, dans son corps, retrouvant sa douceur, sa tendresse, sa chaleur. Puis elle avait fini par s'endormir. Pas moi. Et le bordel était revenu me hanter.
Une fois de plus, parler avec elle me fit du bien. J'évacuai à nouveau un peu tout ce stress et surtout, je la mis au courant de la situation. Puis, alors que nous demeurions debout devant la fenêtre, pensifs, elle finit par me dire :
- Tu veux qu'on se recouche ? Ou que je te coiffe ?
- Pas bête. Ca va me détendre.
On s'installa donc sur le lit, mais avant qu'elle ne commence, je lui demandai :
- Ca t'embête, si j'prends ma basse ?
- Non, bien sûr.
Je ne laissais évidemment pas mon instrument au studio. Treddy faisait de même, d'ailleurs, avec sa guitare. Il nous était arrivé, la semaine passée, de jouer durant une petite demi-heure, juste tous les deux, sur un arrangement de No man's land qu'on voulait peaufiner encore, avant l'enregistrement le lendemain. Le plus souvent, avoir ma basse avec moi me permettait le soir de combler le manque d'Ally. Comme avant, finalement.
Je jouai doucement, alors qu'elle commençait à démêler mes cheveux. Puis, les yeux fermés, savourant cette caresse légère, j'entamai la ligne de No man's land, puis celle de Reviens !.
A la fin, elle lâcha la brosse et le peigne et m'enlaça, laissant sa main droite glisser sur mon bras.
- Joue encore, murmura-t-elle. Ce que tu veux.
J'enchaînai alors avec Redemption, puis Remember Tomorrow de Maiden.
- Tu l'aimes bien, celle-là, fit-elle remarquer.
- Ouaip. J'l'ai beaucoup jouée... J'adore la rupture de rythme au milieu. Un truc casse-gueule. Mais de l'avoir répétée et répétée... Le jour où je l'ai vraiment maîtrisée, j'ai su que j'avais passé un cap. Puis après, ça a obligé Lynn à me suivre. Il était fou.
- Comment ça ?
- Quand on jouait tous les deux, ça m'arrivait de faire une rupture de rythme comme celle-là dans un sens ou dans un autre, j'veux dire... En passant d'un rythme assez lent à un plus rapide ou l'inverse. C'était moi qui donnais l'impulsion et j'le plantais à chaque fois. Jusqu'à ce qu'on comprenne qu'il fallait que j'lui fasse un signe, pour le prévenir que j'allais changer.
- Le fameux petit signe qu'il n'y a que vous deux à saisir ?
- Pas tout à fait. Treddy et Snoog sont au parfum aussi, bien sûr. Treddy adore l'idée. Et ça nous permet d'en imaginer d'autres, même si on n'a pas encore mis cela au point. Mais ça viendra, notamment pour les concerts, les solos, les intros ou les fins de morceaux qu'on fait durer...
- Je comprends l'idée, me sourit-elle avant de déposer un baiser sur ma joue. Même si je pensais que c'était toujours le batteur qui donnait le signal.
- La plupart du temps oui. Mais pas toujours. Le bassiste peut aussi s'amuser à ça.
Je terminai le morceau, puis me tournai vers elle. Son regard bleuté m'atteignit en plein cœur : j'y lisais tant d'amour ! Je fis glisser ma basse au sol, pour pouvoir enlacer Ally. Je la regardai un long moment, puis l'embrassai profondément, avant de l'étendre sur les draps.
Nous fîmes à nouveau l'amour et elle parvint à me faire oublier, au moins pour quelques heures, tout ce bordel.
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