Chapitre 46 : Ils sont partis

9 minutes de lecture

Ally

La main de Stair glissa sur ma cuisse, sa bouche s'était emparée de la mienne et son autre main cajolait mon sein gauche. Mes doigts ne cessaient d'aller et venir dans son dos, sur sa nuque, de se perdre dans ses cheveux. Nous faisions l'amour pour la dernière fois avant qu'il ne parte pour la Belgique, pour le début de la tournée, le Dark Death Tour.

Mon souffle se faisait plus court, le sien aussi. Le sang courait dans mes veines et celui de Stair pareillement. Nous étions totalement à l'unisson, totalement l'un avec l'autre. J'étais incapable de rompre notre baiser alors qu'il allait et venait en moi, faisant grandir cette vague qui allait tout emporter.

Et qui emporta tout.

**

- Ca va, Ally ?

Je me tournai vers Jenna. Je voyais bien que mon amie n'en menait pas plus large que moi et qu'elle avait autant de mal que moi à retenir la petite larme d'émotion qui tanguait au bord de ses cils.

- Ca va... pour le moment, ajoutai-je.

Nous étions dans le hall de l'aéroport de Manchester. Les garçons et Gordon faisaient la queue pour faire enregistrer leurs bagages. J'avais assisté à la préparation du sac de Stair : pile de t-shirts d'Iron Maiden, nombreux pantalons, quelques sweats - à l'effigie d'Eddie, ça allait de soi -, un deuxième blouson de cuir. Sur le lit était encore posé ce qu'il garderait sur lui durant le vol : ses papiers et le jeu de cartes que je lui avais offert et dont il ne se séparait jamais.

- C'est important pour eux, dit mon amie. C'est ce que je me répète en boucle depuis quelques jours.

- Moi aussi, reconnus-je avec un maigre sourire. Mais ça va être dur. Et pour eux aussi. Enfin, pour Lynn et Stair au moins.

- Oui. Et je pense que Treddy aura aussi quelques difficultés par moments, de ne pas voir sa fille. Elle va beaucoup changer en quelques mois...

- Il disait l'autre jour que Gordon avait réussi à dégager quelques courtes périodes durant lesquelles ils pourraient revenir à Manchester et que Treddy pourrait alors se rendre à Glasgow.

- Oui, sourit Jenna. Lynn a carrément imposé à Gordon de le libérer pour mon anniversaire.

J'éclatai de rire :

- Stair a eu la même exigence avec le mien... Et il paraît que Gordon a alors demandé à Snoog si lui, il avait aussi une copine ou une fille à voir... Stair m'a dit qu'il l'avait regardé avec des yeux ronds et qu'il avait répondu quelque chose comme : "pas de ça pour moi !".

Jenna rit avec moi. A cet instant, les garçons nous rejoignirent. Le regard un peu inquiet de Stair s'apaisa en nous voyant faire. Il comprit qu'on luttait à notre façon contre notre chagrin. Il me prit dans ses bras, Lynn enlaça Jenna pareillement. Et Snoog lâcha un :

- Tu vois, Gordon, ça, j'évite. Les adieux déchirants... Les larmes qui coulent, les filles qui gémissent...

- Je croyais que tu adorais faire gémir les filles ! lui lançai-je pour rester dans le ton de l'humour.

- C'est vrai, beauté blonde, mais pas comme ça... J'pourrais te montrer une fois, si tu veux.

- Pas la peine. J'ai déjà entendu de quoi tu étais capable, quand on était à Aviemore.

Il me regarda d'un air un peu songeur, comme s'il cherchait à se rappeler ce qui s'était passé là-bas. J'ajoutai :

- Ta chambre était juste à côté de la nôtre... On entendait tout.

- Ah ouais... Moi aussi, j'entendais tout, répliqua-t-il avec un grand sourire. C'tait pas mal. Stair assure à peu près aussi bien qu'avec sa basse...

- Top ! fit Gordon comme pour siffler la fin de la partie. Tu frôles les limites, Snoog. Surtout dans le hall d'un aéroport.

- Ally m'a provoqué, répliqua-t-il. Faut bien que j'lui réponde...

Je lui renvoyai un petit sourire moqueur.

Stair

C'était le grand jour. Départ pour Bruxelles, en avion. Le matériel était parti deux jours plus tôt par camion et ferry pour traverser la mer du Nord. Nous devions jouer demain dans la capitale belge avant d'entamer un tour de France, puis l'Espagne et le Portugal. Ca allait être une belle tournée. De ce que Gordon nous avait présenté, les salles avaient l'air top. On ne participerait à aucun festival sur cette partie de la tournée, les dates ne correspondaient pas.

C'était aussi une nouvelle séparation, pour Lynn et Jenna, pour Ally et moi. Pas simple à vivre, ni d'un côté, ni de l'autre. En décembre, à notre retour de Londres, Lynn m'avait embarqué pour voir Gordon. Il voulait négocier certains aspects de la tournée avec lui, et notamment d'être à Manchester fin juin : entre l'anniversaire de Jenna et les examens des filles, pas question d'être ailleurs. J'en avais ajouté une couche en demandant aussi à être à Manchester pour l'anniversaire d'Ally, fin avril. Tout en ajoutant que je pouvais être le seul à faire l'aller-retour entre je ne sais où et notre pied-à-terre. Quitte à enchaîner deux vols ou presque et à ne passer que vingt-quatre heures avec Ally.

Gordon avait bien pris note de tout cela, même si ma propre exigence était plus complexe à placer que celles de Lynn : interrompre la tournée sur deux semaines n'était pas le plus difficile, d'autant qu'on entamerait au début de l'été la partie en Grande-Bretagne, en commençant par l'Irlande, puis l'Ecosse et enfin toute l'Angleterre et le Pays de Galles à l'automne. On allait être sur la route durant un an ou presque.

Gordon se faisait aider d'une petite équipe, fournie par la maison de disques, pour toute cette organisation. Ca allait des réservations d'hôtels, de la logistique du matériel, même si pour l'essentiel il s'agissait de nos instruments et qu'on faisait avec ce que les salles ou les loueurs spécialisés proposaient sur place, comme pour la précédente tournée. Il y avait cependant une partie du matériel technique qu'on emmenait dans le semi-remorque : une partie des amplis pour les guitares et la basse, toute la batterie de Lynn, trois guitares pour Treddy, dont sa guitare sèche qu'il aimait bien emmener, idem pour Frank, le guitariste rythmique que la maison de disques nous avait présenté pour compléter le groupe. Lui aussi partait avec trois guitares électriques. Le camion transportait également le matériel de l'ingénieur du son et du chef éclairagiste. Gordon était parvenu à me faire admettre de faire voyager ma basse avec tout ce matériel, comme Lynn devait le faire pour la batterie et comme Treddy et Frank le faisaient également pour leurs guitares : ce serait moins risqué que le voyage en soute. Cela me faisait quand même tout bizarre de ne pas avoir ma basse sous la main et je m'étais dit alors que je m'en rachèterais une, pour en avoir toujours une à la maison.

Et milieu de tout ce matériel se trouvait aussi la guitare de Ruggy. Elle figurerait parmi les éléments du décor, éléments encore modestes et surtout créés par des jeux de lumière.

Les filles nous accompagnèrent à l'aéroport. Elles faisaient bonne figure, répliquant aux blagues de Snoog. Mais je sentais bien qu'elles n'en menaient pas large, l'une comme l'autre. Ca me rassurait cependant qu'elles soient toutes les deux : ce serait moins difficile pour elles. Elles se soutiendraient, elles pourraient aussi travailler un peu ensemble, même si Ally avait entamé l'alternance de semaines de stage à l'hôpital et de cours. Il en serait ainsi jusqu'à la fin mai pour elle. Je partais avec un petit calendrier dans la poche, sur lequel elle avait fait figurer tout son programme des prochains mois. Je ne me perdrais donc pas dans son planning.

Elle avait aussi arrêté de travailler : elle avait juste fait quelques extras au Blue Limon au cours de l'automne. Les mois à venir seraient trop denses pour elle pour qu'elle puisse continuer. D'un côté, j'en étais soulagé : elle avait besoin de temps pour travailler ses cours, rédiger son mémoire de stage, préparer sa soutenance, mais aussi pour se reposer. J'avais réussi à négocier avec elle de lui faire un petit virement tous les quinze jours, pour qu'elle ne manque de rien.

Pour l'heure, elle avait décidé de rester chez ses parents, mais je ne serais pas surpris qu'elle finisse chez moi plus souvent que cet automne.

**

- Allez, les garçons, il faut y aller.

La voix de Gordon interrompit le baiser que je donnais à Ally - et celui de Lynn à Jenna. Un dernier regard, une dernière caresse sur la joue pour effacer une larme qui coulait, et je me détournai. En un bel ensemble, nous attrapâmes nos sacs à dos que Gordon nous tendait à chacun, puis le suivîmes dans le couloir pour gagner la salle d'embarquement. Treddy, Frank et Snoog s'y trouvaient déjà, ce dernier faisant du charme à une hôtesse.

Gordon avait fait réserver nos places en classe affaire, pour que ce soit plus confortable, même si le vol n'était pas très long. C'était en partie à cause de moi et de mes longues jambes qu'il avait fait ce choix, mais les autres apprécièrent aussi. Nous nous trouvions avec quelques hommes d'affaires se rendant à Bruxelles - sans doute des gens travaillant pour l'administration européenne ou des lobbys quelconques. Typiquement le genre de mecs qu'on ne fréquentait pas du tout. Rien qu'à voir leur tête quand on s'installa dans un des carrés valait son pesant de cacahuètes.

Et ce fut encore plus drôle quand Snoog entama une séance de drague de l'hôtesse de l'air qui s'occupait de nous. Car l'un de types faisait son lourdingue, alors que Snoog se montra, a contrario, très classe. Je me fis la réflexion qu'il savait s'adapter à son public. Elle fut charmante, il fallait bien en convenir. Elle ne connaissait pas du tout le groupe, mais on lui offrit les deux albums dédicacés. Gordon en avait toujours un stock dans son propre sac pour répondre à ce genre d'occasions.

Lorsque l'avion atterrit à Bruxelles, on envoya un message aux filles pour les prévenir qu'on était bien arrivé et que le voyage s'était bien passé, qu'on allait rejoindre l'hôtel. La journée du lendemain serait consacrée à préparer le concert et à une ultime répétition.

On y retrouva le reste de l'équipe : ingénieur du son, responsable des éclairages, assistante de Gordon, ainsi que les deux chauffeurs, l'un pour conduire le camion de matériel, l'autre pour le minibus qui nous permettrait de faire les courtes distances entre deux villes, sans avoir à prendre l'avion à chaque fois. Une des premières choses que l'on fit, Lynn, Treddy et moi, après avoir posé nos affaires dans nos chambres, fut d'aller jeter un coup d'œil au chargement du camion, stationné sur le parking de la salle de spectacle où nous allions nous produire. Il ne serait déchargé que le lendemain, mais on put constater que tout était en ordre.

- Vous inquiétez pas, les jeunes ! Rien n'a bougé. C'était bien calé et stabilisé, nous lança l'un des chauffeurs, Andrew.

Il avait une petite quarantaine d'années, de l'expérience dans le transport de matériel fragile. Bâti comme une armoire à glace, j'avais l'impression d'être petit à côté de lui, alors que je le dépassais d'une bonne tête. Il était accompagné par un jeune homme de notre âge, dont la famille était d'origine pakistanaise, Aarav. Il était tout l'inverse d'Andrew : fluet, presque maigre, et pas très grand. Mais il avait toujours un grand sourire qui barrait son visage et des yeux rieurs. Nous les avions rencontrés à Manchester, lors du chargement, et nous commençâmes à bien sympathiser. Lors du premier repas pris avec toute l'équipe le soir-même, Aarav qui était assis face à Treddy et moi nous expliqua que son prénom avait un lien avec la musique et qu'il était donc très content de participer à l'aventure de cette tournée. C'était une première car il n'avait jamais quitté l'Angleterre. Il était donc très curieux de tout ce qu'il allait voir. Je pouvais comprendre que c'était une vraie opportunité pour lui que de découvrir ainsi l'Europe : après tout, c'en était une pour nous aussi.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Pom&pomme ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0