Chapitre 56 : Mort Ghlinne Comhann

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Ally

Blanche et bleue. Voilà l'aspect qu'avait Glasgow lorsque nous y arrivâmes, après une traversée tranquille en ferry, entre Belfast et Troon, puis une petite heure de route. Il y avait des drapeaux en faveur de l'indépendance partout. Aux fenêtres des maisons, des immeubles, devant les commerces, accrochés aux arbres, au mobilier urbain... La ville était entièrement pavoisée. Bien sûr, quelques timides drapeaux britanniques tentaient une percée, mais ils étaient bien noyés dans la vague bleue et blanche qui s'apprêtait à déferler. Du moins, c'était l'impression qu'on pouvait en avoir en se promenant dans les rues de la ville.

L'ambiance était assez proche de ce que nous avions connu l'année passée, lors de la mini-tournée et en plein festival. Festive, joyeuse, vivante. Vibrante. Le concert des Dark allait pleinement s'inscrire dans cette atmosphère et c'était réjouissant. Et aussi réconfortant après l'ambiance un peu mitigée et tendue à laquelle ils avaient dû faire face à Belfast.

Treddy était comme un poisson dans l'eau dans sa ville. Heureux, nous emmenant d'un coin à l'autre. Nous devions rester quatre jours ici, le concert n'ayant lieu que trois jours après notre arrivée. Nous en profitâmes donc pour arpenter la ville avec lui. Il s'arrêtait à tout bout de champ, saluait une connaissance, nous faisait entrer dans un pub qu'il qualifiait de "dangereux repaire d'indépendantistes" où nous étions accueillis avec de grands sourires et des pintes gratuites. Snoog était totalement à son affaire et ne pensait pas vraiment à faire la bringue avec Frank, ce qui rassura Stair et Lynn. Sans oublier Gordon qui le tenait à l'œil et se demandait toujours quelle dernière lubie il allait inventer. Jenna veillait aussi.

Et à Glasgow, Snoog était donc lui aussi dans son élément. Un foisonnement d'idées, un bouillonnement populaire, une page d'Histoire en train de s'écrire presque sous ses yeux... Il ne lui en fallait pas plus pour se sentir concerné. Il était attentif à tout, écoutait les uns, les autres, les pour, les contre. J'avais le sentiment qu'il était une vraie éponge, absorbant tout pour le faire rejaillir ensuite. Je n'allais pas - nous n'allions pas - être déçue par le concert.

Le lendemain de notre arrivée, Treddy eut l'opportunité de voir sa fille et nous décidâmes donc de louer une voiture, Lynn, Jenna, Stair et moi pour repartir en balade. Snoog déclina l'invitation de nous accompagner, préférant traîner en ville, pour en sentir le pouls, comme il nous l'indiqua. Speedy resta avec lui pour un mini-reportage. Quant à Frank, il refusa également, mais sans nous préciser ce qu'il comptait faire de sa journée.

Nous partîmes donc de bonne heure, avec l'intention de nous rendre jusque dans la vallée de Glencoe, puisque nous n'avions pas encore eu l'occasion de la voir, lors de notre séjour précédent. Et lors de la toute première tournée du groupe, avec Ruggy, Stair, Lynn et Jenna ne s'y étaient pas aventurés non plus.

Le site était magnifique, au-delà de ce que j'avais pu imaginer. Beau, grandiose, émouvant, splendide... Les termes n'étaient pas assez forts pour le décrire.

- Snoog aurait dû venir avec nous, fit remarquer Jenna. Je suis certaine qu'il aurait été impressionné.

- Yep, baby, t'as raison, fit Lynn.

Nous étions descendus de voiture et admirions les lieux. Treddy nous avait conseillé de partir de bonne heure, pour nous y rendre le matin afin d'éviter la foule touristique de l'après-midi. Et même s'il y avait un peu de circulation, nous étions en effet plus tranquilles. Nous fîmes ainsi plusieurs arrêts, jusqu'au mémorial rappelant le massacre du clan Mac Donald.

Nous étions seuls, à ce moment-là. Et après avoir fait un petit tour, Stair retourna à la voiture. Il en sortit sa basse. Je m'étais étonnée de le voir l'emmener, mais après tout, il avait souvent besoin de l'avoir à portée de main, j'avais eu l'occasion de le constater, et pas qu'une fois. Il n'avait pas de quoi la brancher, bien sûr, mais c'était sans importance. Il se plaça sur le côté du monument et commença à jouer la ligne de Mort Ghlinne Comhann. Une façon pour lui de rendre hommage aux victimes. Lynn se mit alors à chanter, et même s'il n'avait pas la voix aussi belle que celle de Snoog, elle était quand même profonde et surtout plus grave. Les paroles résonnèrent alors dans l'air, s'enroulant autour de la croix, avant de s'envoler vers les cieux. Jenna et moi demeurâmes debout, immobiles, silencieuses.

Recueillies.

Stair

Je ne pouvais pas rester sans rien faire, sans rien dire. Après avoir passé toute une journée à baigner dans le chaudron indépendantiste qu'était Glasgow, nous rendre à Glencoe était forcément un acte particulier. Dès que Lynn en avait suggéré l'idée, Jenna et Ally avaient aussitôt embrayé. J'étais partant, bien sûr, car très curieux de découvrir cet endroit que nous évoquions dans la chanson maudite, comme l'appelait déjà Treddy. Celle que nous ne pouvions chanter que sur scène, celle qui ne figurerait sur aucun album studio. Peut-être consentirions-nous à la graver sur un live, pour l'offrir à notre public. Peut-être. Mais nous étions encore loin d'un album live. Nous n'avions de toute façon pas du tout cela à l'esprit. Nous voulions surtout poursuivre la tournée dans les meilleures conditions possibles.

Découvrir la vallée de Glencoe fut un vrai choc pour moi. C'était Jenna qui conduisait et Lynn était assis à ses côtés, Ally et moi avions pris place à l'arrière. Jenna roulait prudemment, la route présentait beaucoup de lacets, mais elle voulait surtout prendre le temps de regarder le paysage. Nous fîmes plusieurs arrêts. L'impression qui se dégageait de la vallée était très forte. C'était impressionnant, immense, majestueux. Et émouvant.

Surtout lorsque nous nous arrêtâmes près du mémorial du massacre. Nous rappelant des siècles après l'infamie qui les fit tomber.

Je ne pus alors rien faire d'autre que prendre ma basse et jouer, comme si les âmes des morts m'avaient supplié de faire entendre leur voix, une fois encore.

Je m'étais assis sur un rocher, près du mémorial. Lynn se trouvait face à moi et les filles étaient debout, entre nous deux, face à la croix de granit. Je ne fus pas surpris d'entendre mon ami entonner les paroles. J'avais choisi un rythme plus lent que l'original, pour cette interprétation, ce qui me semblait mieux convenir aux lieux. Alors que Lynn s'apprêtait à entonner l'avant-dernier couplet, nous entendîmes soudain le chant d'une cornemuse se joindre à ma ligne de basse et jouer la mélodie. Je ne m'arrêtai pas, Lynn non plus. Mais nous accueillîmes bien volontiers le cornemuseur dans notre petit cercle.

Toi qui pleures, jamais n'oublie

Que rien ne meure que l'on n'oublie

Et qu'il demeure, pauvres enfants,

Un lieu secret pour leurs fantômes errants.

Mort Ghlinne Comhann !

Mort Ghlinne Comhann !

Quant Lynn se tut, après avoir chanté deux fois le dernier couplet, je jouai encore une fois le refrain avec le cornemuseur. Puis nous laissâmes nos dernières notes s'envoler vers le ciel, avant de laisser planer un silence recueilli.

**

- Tu connaissais la chanson ?

Nous étions attablés dans un pub du petit village de Glencoe, avec le joueur de cornemuse, Abel. Après notre rencontre, nous l'avions tout naturellement invité à partager une pinte. Il nous avait précédés jusqu'au village. Quelques touristes flânaient, mais le pub était encore quasiment désert.

- Oui, dit-il. Ici, tout le monde la connaît.

- Pourtant, on ne l'a pas enregistrée... fit remarquer Lynn avec un air étonné.

- Il y a des versions pirates qui circulent, les enregistrements amateurs de concert... Et puis, vous avez publié la partition sur le site internet. C'est facile de la jouer et de la reprendre.

Je hochai la tête avec intérêt. La chanson maudite était en train de nous échapper. Et peut-être pour le meilleur : pour devenir populaire, ce qu'Abel confirma bien vite.

- Et en ce moment, poursuivit-il, c'est un acte politique que de la jouer. Pourquoi ne l'avez-vous pas enregistrée ? Vous ne l'expliquez pas dans les interviews...

Nous avions tous les quatre vite compris que nous avions là affaire à un amateur et à quelqu'un qui connaissait notre musique, nos chansons, notre parcours.

- On n'en a pas eu l'autorisation par la maison de disques, répondit Lynn d'un ton sombre. Ca a failli clasher sévère avec eux. Snoog était plus que furieux... On a finalement accepté qu'elle ne soit pas sur l'dernier disque. Mais on la joue à chaque fois, ajouta-t-il avec un grand sourire. C'est une revanche.

- Une belle, sourit Abel en retour. Alors, c'est une revanche pour nous aussi de la jouer.

- Tu viens souvent au mémorial ? demanda Ally.

- Oui, surtout en cette saison. Pour les touristes. Mais c'est sérieux. J'appartiens au clan Mac Donald. Même des générations après, on reste marqué. C'est indéniable. Même si on ne vit pas tous les jours avec cela à l'esprit. En ce moment, forcément, ça revient un peu plus...

- Il n'est pas nécessaire alors de te demander quel bulletin tu vas choisir pour le référendum... souligna Jenna en souriant.

- Non, pas besoin, répondit-il en lui souriant en retour. Mais c'est pareil pour votre guitariste, non ?

- Treddy ? C'est sûr, fis-je. Il affiche la couleur depuis des mois...

- C'est vrai qu'il porte toujours le même t-shirt ? A chaque concert ?

- Yep, poursuivis-je. Toujours le bleu et blanc. Il en a plusieurs en réserve. Au cas où.

- Dommage qu'il ne soit pas venu avec vous aujourd'hui, j'aurais été content de le croiser. Vous le saluerez bien de ma part.

- Promis, dit Lynn.

Abel nous salua sur ces belles paroles, Lynn et moi échangeâmes nos numéros de téléphone avec lui, promettant de lui faire signe lorsque nous reviendrions dans les alentours ou même à Glasgow. J'avais toujours dans la poche des billets pour le concert à venir et je lui en offris deux. Cela le toucha et il promit de faire le déplacement jusqu'à Glasgow.

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