Chapitre 57 : Yes !
Stair
Une chose était certaine, ce soir, Snoog était à bloc. Comme si le fait de se retrouver en terre écossaise lui avait permis de digérer les quelques aléas vécus en Ulster, comme s'il avait retrouvé là une osmose totale avec le public, la ville, l'atmosphère qui y régnait. Contrairement à nos deux précédents concerts à Glasgow, ce soir-là, nous jouerions en salle. Les billets s'étaient très bien vendus au point que Gordon avait hésité à ajouter une deuxième date. Mais la salle n'était pas libre et ce serait finalement à Edimbourg que nous donnerions deux concerts de suite.
Nous avions passé la journée comme d'habitude, balances, repas, puis chacun dans notre loge. Lorsque nous retrouvâmes tous les autres, dans celle de Snoog, celui-ci accueillit Ally avec un :
- Toi aussi ? Mais ils ont fait quoi, vos mecs, les filles, avec vos ch'veux ?
Ally me regarda d'un air étonné, je haussai les épaules. Je n'avais rien fait de particulier. Ok, on avait fait l'amour dans la loge, mais bon... Ally était à la fois tout à fait décente et très bien coiffée. Encore une tirade provocatrice de Snoog... Puis elle échangea un regard avec Jenna et elles éclatèrent toutes les deux de rire. On eut même bien du mal à les arrêter.
Elles avaient décidé d'assister au concert depuis les coulisses, mais aussi en se plaçant à un moment donné près de l'ingénieur du son. La salle offrait la possibilité de se déplacer aisément. Je sentais bien qu'elles avaient envie de vivre aussi ce concert, dans cette ambiance bien particulière, des deux côtés.
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Lorsque Treddy entra sur scène, je crus qu'il allait voler la vedette à Snoog. A peine commença-t-il à jouer qu'il se tourna dos au public pour montrer son t-shirt et le grand Yes qui s'affichait dans son dos. Avant même que Snoog ne fasse son apparition, nous avions déjà le public dans la poche et c'était assez génial comme sensation. Mon trac avait disparu en un rien de temps, Lynn était déjà à fond. Nous nous doutions que ce serait Treddy qui allait mener le jeu ce soir.
Lorsque Snoog entra à son tour, bondissant, les cris couvrirent quasiment nos notes. Il portait ce soir-là, lui aussi, un t-shirt bleu avec le grand Yes blanc. J'en souris : pas question pour lui que Treddy rafle toute la mise.
Ce fut, je crois, un des meilleurs concerts que nous donnâmes de la tournée, du moins, en Grande-Bretagne. Le public était génial, comme toujours en Ecosse, mais avec une ferveur et une communion plus fortes que d'habitude. Comme si l'échéance du référendum le galvanisait. On prolongea même le rappel, en ajoutant une ancienne chanson qui n'était pas prévue dans le show, puis en rallongeant Reviens ! et Redemption.
Mais avant, il y eut le cœur du concert : Morte Ghlinne Comhann que Snoog présenta avec une certaine emphase :
- J'ai écrit l'an passé, ici-même, à Glasgow, une chanson pour vous. Nous l'avons travaillée, Stair a écrit une superbe ligne de basse, Lynn a ajouté sa rythmique et Treddy va se déchaîner sur la mélodie. Cette chanson… Vous ne l'entendrez sur aucun album, nous n'avons pas le droit de l'enregistrer. Mais nous avons le droit de la jouer et de la chanter ! lança-t-il en rugissant, ce qui fit crier le public en écho.
Lynn et moi entamâmes donc le morceau, Treddy laissa passer notre intro avant de poser ses premières notes. Cette chanson avait été écrite sans guitare rythmique : comme nous n'avions que peu de temps pour réécrire les morceaux figurant sur le deuxième album, on ne s'était pas embêté à en faire. Frank ne jouait donc pas avec nous à ce moment-là et s'était glissé en coulisses pour faire une petite pause.
Dès la première mesure, Treddy se tourna dos au public pour montrer à nouveau son t-shirt, ce qui provoqua une longue ovation. Puis il se retourna, un grand sourire aux lèvres. On fit durer l'intro, alors que Snoog arpentait la scène, ravi. Dès qu'il commença à chanter, le public fit totalement chœur avec lui.
C'était assez incroyable de se dire que cette chanson qui n'avait pas été enregistrée, qui n'était diffusée que via les enregistrements pirates des concerts, était connue par cœur par le public. La discussion avec Abel nous avait déjà donné un bon aperçu de son impact en Ecosse, mais ce fut ce soir-là, à Glasgow, pour ce premier concert dans les Highlands, que je compris qu'elle était en train de devenir un hymne. Et j'étais certain que les trois autres avaient une impression similaire, Snoog en premier lieu. Rien qu'à la façon dont il chantait, dont il interagissait avec le public, me le faisait penser. Je jetai un regard à Lynn, il échangea un clin d'œil avec moi : il avait le sourire. Lui aussi percevait bien cette aura que la chanson était en train de prendre. Quant à Treddy... Il jouait avec une ferveur et une émotion que je ne lui avais jamais entendu. Cette chanson, c'était sa chanson. Ou plutôt, c'était la voix des victimes, des suppliciés, morts sous les coups d'épée ou dans le froid glacial. C'était leur voix qu'il faisait entendre.
Et d'une façon magistrale.
Ally
Nous avions hésité, Jenna et moi, pour notre placement durant ce concert. Nous voulions pouvoir le suivre en partie côté public, à côté de l'ingénieur du son, mais aussi en coulisses. Le tout était de décider à quel moment nous nous rendrions dans la salle. La question principale était de savoir si nous allions vivre Mort Ghlinne Comhann en étant au plus près des garçons ou si, au contraire, nous nous trouverions du côté du public. Ce fut Gordon qui nous encouragea à être côté public à ce moment-là.
Nous quittâmes donc les coulisses deux chansons avant qu'ils n'interprètent Mort Ghlinne Comhann. Gordon resta en coulisses, aussi parce que Frank quitterait la scène le temps de la chanson, puisqu'il ne jouait pas dessus. Stair m'avait expliqué cet hiver, quand nous les avions rejoints pour la première fois à Hambourg, qu'ils n'avaient pas eu le temps de lui ajouter une ligne rythmique. Mort Ghlinne Comhann demeurait donc écrite pour trois instruments. Il avait précisé qu'ils le feraient peut-être, quand la tournée serait terminée. En attendant, le rythme que Lynn apportait rappelait déjà le côté martial des paroles, évoquant ainsi les coups d'épée. Une guitare rythmique renforcerait certainement cette impression.
Lynn et Stair commençaient le morceau en même temps, Treddy ajoutait la mélodie après quelques mesures. Mais rien que la présentation de Snoog avait déjà donné le ton côté public : les spectateurs vibraient, chantaient avec ferveur. Jenna et moi étions très impressionnées. J'en avais des frissons, en ayant bien conscience que nous vivions là un moment très important de l'histoire du groupe. Un autre de ces moments émouvants que nous avions déjà partagés avec les garçons au cours de la tournée.
A la fin du morceau, je crus bien que Snoog allait déclencher une mini-émeute, car il retira son t-shirt pour le jeter dans la foule. Les spectateurs se précipitèrent alors pour s'en emparer.
Jenna me glissa :
- Tant pis pour la fille qui va dormir avec lui cette nuit. Ce n'est pas elle qui va profiter du t-shirt.
- Celui-là, il est vraiment collector, pouffai-je en réponse.
Lynn fit durer la chanson autant que possible, tant le public était embarqué. A la fin, les applaudissements frisèrent les records du groupe en durée. Difficile d'interrompre une telle ovation alors que le concert était pourtant loin d'être terminé. A voir la façon dont Snoog se déplaçait sur scène, on pouvait se dire qu'il jubilait : cette chanson, interdite d'album par la maison de disques, était devenue un véritable emblème pour les partisans de l'indépendance. C'était au-delà de ce qu'il avait jamais espéré, une belle revanche sur une décision totalement inique.
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