Chapitre 59 : Etre une idole
Stair
- Elle a tiré le gros lot, ta copine !
- C'est sûr !
- J'espère qu'elle va bien profiter de son cadeau d'anniversaire, renchérit Treddy en riant et en dédicaçant à son tour le billet.
Nous entamions la dernière partie de la tournée, à Newcastle. A l'issue du concert, comme nous le faisions à chaque fois, nous étions sortis de la salle pour aller à la rencontre des fans et des groupies. On s'occupait d'elles en premier ; de toute façon, elles étaient toutes au premier rang ou presque. Mais dès que Snoog embarquait une fille - voire deux -, on était plus tranquille : les groupies s'envolaient comme une nuée de moineaux et les gens qui restaient étaient le plus souvent de vrais connaisseurs, des fans de la première ou de la deuxième heure, parfois des amateurs qui venaient tout juste de nous découvrir.
Je signai un autographe sur un billet, pour une fille qui avait bien manœuvré pour se glisser au premier rang, avec sa copine. Ladite copine, une jolie brune aux yeux verts, venait de se faire embarquer par Snoog. La fille était venue au concert pour fêter son anniversaire.
Et ça ne manqua pas : en quelques minutes, les groupies un peu hystériques avaient disparu et nous pûmes échanger plus posément avec les spectateurs qui restaient. En une vingtaine de minutes, nous avions terminé et alors que Treddy et Frank regagnaient déjà les loges, que Lynn échangeait encore avec un jeune amateur aux cheveux longs, je me détournai pour retrouver Ally. Comme Gordon, Speedy et les gardes du corps, elle restait un peu en arrière, mais observait tout.
Je la rejoignis, lui repris la main avant de déposer un rapide baiser sur ses lèvres.
- Ca va, baby ? Pas trop fatiguée ?
- Non, ça va encore, me sourit-elle.
- On va récupérer les affaires et on rentre. Lynn discute encore...
- Oui, ça a l'air sérieux.
- Au pire, il va se taper une pinte avec le gars... Et il nous r'joint à l'hôtel après.
- Je crois qu'il y a un jeune là-bas, qui attend encore, me fit-elle remarquer en me désignant deux personnes, dans la direction opposée à celle de mon ami.
J'abandonnai Lynn et me retournai. Je vis alors un tout jeune adolescent, peut-être d'une dizaine d'années, avec son père, qui attendait, un peu intimidé. Je me dirigeai aussitôt vers eux, entraînant Ally avec moi - je ne lui avais pas lâché la main.
- Bonsoir, fis-je. Vous étiez au concert ?
- Oui... répondit le gamin avec des étoiles plein les yeux.
Et en un flash, je me revis, tout aussi minot, au concert de Maiden. Je devais avoir à peu près la même tête et le même air que ce jeune, quand nous en étions repartis. Il me tendit son billet que je pris bien volontiers, ressortant le stylo que j'avais dans la poche.
- Tu joues de la musique ?
- Oui, me dit-il. De la basse. C'est toi qui m'as donné envie d'en jouer...
- Vraiment ? souris-je, plus touché que je ne pensais l'être.
- J'écoute du métal depuis toujours, intervint son père. Et forcément, Daniel aussi... Nous vous avions vus pour le tout premier concert, quand vous jouiez encore avec votre autre guitariste...
- Est-ce qu'il va mieux ? demanda Daniel.
- Il va rester handicapé, répondis-je sans vouloir m'attarder : j'avais bien senti que ça attristerait le gamin. Alors, donc, tu nous avais vus la première fois ?
- Oui ! répondit-il avec un grand sourire. Et en sortant, j'ai dit à papa : "je veux faire de la basse comme Stair !"
Je ris. Il était touchant.
- Il a commencé, poursuivit son père.
- Et tu te débrouilles bien ?
- Je suis très assidu, répondit-il avec sérieux. Mais c'est dur... Tu es rapide.
Je ne dis rien, me concentrant un instant pour trouver une belle dédicace à lui faire. Puis j'écrivis :
A Daniel, fan de la première heure et futur grand bassiste.
Je signai aussi le billet du papa - tant qu'on y était. Puis les leur rendis. Daniel ouvrait, si tant était possible, des yeux encore plus grands.
- Wha... Merci, Stair ! J'espère que je jouerai comme toi, un jour !
- J'vais te dire un truc... J'ai appris à jouer car je voulais faire comme Steve Harris. Tu sais qui c'est ?
- Oui, bien sûr !
- Un jour, j'ai à peu près réussi à m'en sortir, sur des morceaux que j'aimais beaucoup. Et là... J'ai compris que je devais surtout jouer comme j'en avais envie. Alors oui, apprends à jouer comme moi si ça peut t'encourager et t'en donner l'envie. Et quand tu sauras... Alors, oublie tout ce que tu auras appris et mets-toi à jouer comme toi, tu en as envie. Trouve ton style...
Il me regarda un peu étonné. Je vis bien que mes paroles faisaient leur chemin. Il me dit alors, d'un ton grave :
- Je m'en souviendrai.
Je lui tapai sur l'épaule et lui dis :
- Bon courage, Daniel. C'est exigeant et difficile, mais on vit aussi de super moments. Et discuter avec toi, c'était un super moment. Bonne continuation ! A une prochaine, peut-être !
- On viendra vous voir pour la prochaine tournée ! Et on sera les premiers à Newcastle à acheter le prochain disque !
Je souris, leur fis un dernier signe alors qu'ils s'éloignaient. Puis je repris la main d'Ally et nous rentrâmes dans la salle pour récupérer nos affaires et regagner l'hôtel. Lynn discutait toujours avec l'amateur. Ils n'étaient plus que tous les deux, avec Aarav et Speedy. A mon avis, les quatre allaient finir la soirée ensemble, avec Aarav qui resterait sobre pour les ramener.
Ally
- C'était une jolie rencontre, que celle avec ce petit jeune, fis-je alors que nous regagnions notre loge.
- Très. J'adore ces moments-là.
- Je sais, lui souris-je. Il était touchant.
Stair hocha la tête. Nous récupérâmes rapidement nos affaires dans la loge. En reprenant le couloir, nous croisâmes Gordon qui discutait avec l'ingénieur du son et le régisseur de la salle, nous les saluâmes. Andrew s'approcha, portant la basse qu'il avait remise dans sa housse.
- Tiens, Stair. J'ai déjà rendu sa guitare à Treddy.
- Merci, Andrew, dit Stair. Ca va pour toi ?
- Oui, tout s'est bien passé. Aarav est dans le coin ?
- Il est encore dehors avec Lynn et Speedy. Lynn discute avec un amateur. Ils vont peut-être partir de leur côté...
Stair s'était tourné vers Gordon en disant ses derniers mots. Le manager hocha la tête d'un air entendu. Pas besoin de demander où était Snoog... Gordon l'avait vu partir, comme nous tous, avec une jolie brune. Il devait déjà être à l'hôtel.
- Allez-y, fit Gordon. Treddy vous attend dans le minibus. Vous pouvez rentrer déjà tous les trois, je fais un dernier tour ici, je vois ce que fait Lynn et je rentre à mon tour.
- Ok, fit Stair. Merci, ajouta-t-il en tendant la main au régisseur. C'était très bien de notre côté.
Je serrai aussi la main du monsieur, puis nous rejoignîmes Treddy. Andrew prit le volant du minibus pour nous ramener à l'hôtel.
Une fois dans la chambre, Stair rouvrit l'étui de sa basse, passa rapidement la main sur les cordes et sur le bois. Puis il le referma sans y toucher plus : Andrew le savait maniaque et il l'avait essuyée soigneusement avant de la ranger.
Je gagnai la salle de bain, Stair m'y rejoignit bien vite. Il était un peu songeur, lointain. Nous nous retrouvâmes cependant avec plaisir sous la douche, puis nous fîmes longuement l'amour. Je m'endormis rapidement, un peu fatiguée par cette première journée.
**
Au petit matin, je fus la première réveillée. Je m'étais endormie en me blottissant contre Stair et nous n'avions pas bougé de la nuit. Il avait passé son bras autour de ma taille et j'avais presque sa salamandre sous les yeux. Je la regardais longuement, comme si nous avions échangé un moment complice, elle et moi, avant de porter mes doigts sur elle et la caresser doucement. Stair, encore endormi, referma son étreinte autour de moi. Puis il ouvrit les yeux, s'étira.
- Hum... Baby... Ca va ?
- Oui. Bien dormi. Et toi ?
- Ouaip, ça va.
Je l'enlaçai à nouveau, il me sourit, m'embrassa tendrement. J'enroulai mes bras et mes jambes autour de lui et nous entamâmes la journée par un câlin des plus tendres et doux.
- Tu veux déjeuner avec les autres ou ici ? me demanda-t-il peu après.
- Ici, répondis-je. Il faut que je m'occupe de tes cheveux avant qu'on descende et je vais en avoir pour un moment. Alors, autant déjeuner d'abord.
- Ok, fit-il en décrochant le téléphone pour commander notre petit déjeuner.
J'en profitai pour filer dans la salle de bain, faire une petite toilette et m'habiller. Stair y passa ensuite, alors qu'un des employés de l'hôtel nous apportait le repas. Je le remerciai et commençai à tout disposer sur la table. Gordon avait pris le temps de discuter un peu avec moi, un après-midi, pour peaufiner les derniers préparatifs de la fin de la tournée. Il m'avait en effet demandé mon avis pour le choix de plusieurs hôtels. Les garçons, je le savais, appréciaient le confort, sans que ce soient des palaces. Ils avaient besoin d'être bien installés pour récupérer et ce serait d'autant plus nécessaire que les dates seraient très proches, qu'avec les ajouts, ils joueraient beaucoup plus que ce qui avait été initialement prévu. Ce serait en général deux concerts à se suivre dans la même ville, mais cela signifierait aussi d'enchaîner avec la ville suivante. Les jours sans concerts ne seraient pas si fréquents que cela, même si Gordon avait veillé à ce qu'il y ait au moins une journée off par semaine, parfois deux, notamment pour permettre à Lynn de retourner à Manchester voir Jenna. Cette dernière nous rejoindrait aussi un week-end sur deux ou sur trois. La seule coupure, si je pouvais employer ce mot, un peu longue, serait pour la semaine prochaine : durant trois jours, le groupe ne donnerait aucun concert, car Treddy serait à Glasgow pour voter. Il partirait la veille et reviendrait le lendemain. De notre côté, nous serions à Leeds où se déroulerait le premier concert post-référendum. Le groupe y jouerait deux soirs de suite. Jenna nous rejoindrait ce week-end-là. Ce serait facile pour elle, Leeds n'étant qu'à une heure de route de Manchester.
- Tu penses à quoi, Stair ? fis-je.
Je commençai à trouver intrigant son air un peu lointain. En rentrant à l'hôtel, j'avais pensé que c'était lié à la fatigue du concert, mais là...
Il me sourit doucement :
- J'repense au petit échange qu'on a eu hier, avec le jeune, Daniel.
- Ah, fis-je, soulagée, mais encore plus intriguée.
- Yep... Il m'a rappelé quelques jolis souvenirs.
- Raconte, fis-je, en tendant la main par-dessus la table pour prendre la sienne.
Il noua aussitôt ses doigts aux miens.
- J't'ai jamais raconté, c'est vrai... Mais il m'a fait penser à moi, au même âge ou presque. J'avais huit ans. Avec un copain, on avait réussi à économiser pour aller à un concert de Maiden. On en avait promené des petits chiens et lavé des voitures pour gagner un peu d'argent de poche... Ca faisait des mois qu'on avait ce concert en tête. Ses deux grands frères y allaient aussi. Heureusement, sinon, ça aurait été un peu compliqué. Mon paternel est tolérant, mais j'pense pas qu'il aurait supporté un concert de hard-rock.
Je souris : le papa de Stair me faisait un peu penser à Jack Donovan. Assez casanier, le cœur sur la main, mais il ne fallait pas le bousculer.
- On était arrivé très tôt à la salle, pour entrer parmi les premiers. Mais même en courant vite, mon pote et moi, il y avait des grands devant nous. Un des frangins était intervenu, et on nous a laissés passer sans difficulté. Je me souviens même d'un gars qui m'avait tapé sur l'épaule en me disant de me mettre juste devant lui. Mon copain et moi, on était ainsi vraiment au tout premier rang. Un peu sur les côtés. On était fou. Ravi.
- Et tu t'es retrouvé presque aux pieds de Steve Harris... en conclus-je.
- Exactement, me sourit-il. C'était... Géant. C'est ce concert, ce moment-là, qui m'a donné envie de devenir musicien et de jouer de la basse. Les guitaristes - surtout Dave Murray - étaient impressionnants, mais rien en comparaison de Steve Harris, du moins pour moi, avec mon ressenti de l'époque.
- Je comprends mieux pourquoi tu as fait une telle réponse à ce petit Daniel !
- Ouaip. Ca m'touche beaucoup, ce qu'il m'a dit, ce gamin... Donner envie de faire de la musique à quelqu'un, c'est juste... génial, en fait. Comme... une sorte de transmission, tu vois ?
- Parfaitement. Alors, c'est chouette d'avoir pu le rencontrer et échanger avec lui. Tu es son idole !
- Yep. Alors, j'me disais... P't-être qu'un jour, moi aussi, je rencontrerai mon idole.
- J'en suis certaine, dis-je avec assurance. Maintenant que vous devenez un groupe qui tourne, qui a du succès, vous vous croiserez certainement sur un festival.
- J'pense que je serais très impressionné, fit-il en écarquillant un peu les yeux.
Et dans son regard si doux s'allumèrent des étoiles, comme celles du jeune garçon croisé hier.
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