Chapitre 62 : Un cadeau pour un ami

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Ally

- Vraiment ? C'est vraiment possible ?

- Oui, Greg, ris-je. Tout est ok. Tu viens en avance, par contre. Le concert démarre à 20h, sois là pour 17h. Tu dîneras avec nous, ce sera tôt, mais c'est le plus simple.

- Super ! Ah, merci Ally ! Ce n'est pas mon anniversaire, ni Noël, mais c'est un super cadeau ! Et je paie ma place, hein !

- Tu déconnes ? T'as pas intérêt à sortir cette idée saugrenue devant les garçons, ou tu vas les vexer !

- Bon...

- A la rigueur, pour les remercier, tu leur paieras une bière au Blue Limon, quand ils auront terminé la tournée.

- Même deux ! renchérit mon ami.

Je souris. Je pouvais comprendre l'enthousiasme de Greg : il avait été un des premiers à aimer le groupe, lorsque nous les avions découverts, au Blue Limon, pour leur tout premier concert. Je m'en souvenais très bien : lorsque j'avais repris place avec mes amis après avoir échangé avec Stair et Lynn au comptoir, Greg avait tout de suite été partant pour aller les écouter avec moi. Il était fan de rock et de hard rock, c'était lui qui m'avait fait découvrir certains groupes, comme Dire Straits et même certains morceaux peu connus de U2. On pouvait dire de lui qu'il était un fan de la première heure. Et lui permettre d'assister au concert depuis les coulisses, c'était en effet un vrai cadeau.

Je lui avais téléphoné deux jours avant le concert, alors que le groupe jouait ce soir à Liverpool. J'avais rappelé ce souhait de mon ami à Stair, et Gordon s'était aussitôt débrouillé pour que ce soit possible. Après quelques discussions, nous avions convenu que le plus simple serait qu'il nous rejoigne après les balances, en fin d'après-midi. Il partagerait ainsi notre repas, puis il prendrait place en coulisses, pendant que les garçons entameraient leur phase de concentration : même si Greg se faisait discret, ce n'était pas possible qu'il se trouve dans les loges avec nous à ce moment-là, ce qu'il avait très bien compris. Il ne voulait pas déranger, juste pouvoir profiter d'assister à un concert dans des conditions différentes de d'habitude. Il serait avec Gordon, Jenna et moi tout le temps du show.

- Clara, Hanna et les autres seront là aussi, dans le public, poursuivit Greg.

- J'espère qu'ils ne seront pas jaloux de toi ! fis-je.

- Non, je ne pense pas...

- On ne peut pas se permettre d'avoir trop de monde en coulisses, aussi pour des raisons de sécurité, expliquai-je. Il faut pouvoir laisser les techniciens travailler, que les accès restent libres en cas de problème.

- Je m'en doute bien. Non, t'inquiète pas, Ally ! Et puis, je leur raconterai le show côté coulisses, on comparera nos impressions, ce sera sympa !

- C'est vrai, ce sera intéressant.

- Bien, je suppose que tu as à faire, ma belle ! Je vais te laisser.

- Oui, Stair m'attend : on doit se rendre à la salle, pour les balances pour ce soir.

- Bon concert chez les frères ennemis ! me salua-t-il. Passe une bonne soirée, tu remercies bien chaleureusement les gars et Gordon de ma part !

- Je n'y manquerai pas, mais tu pourras le faire dans deux jours de vive voix ! Bises, Greg. Et tu passes le bonjour aux autres pour moi.

- Pas de souci ! Bises, Ally. A dans deux jours.

Et nous raccrochâmes. Je m'empressai de quitter la chambre et de rejoindre tout le groupe qui m'attendait dans le hall de l'hôtel. Jenna était présente, elle rentrerait directement à Manchester après le concert, Lynn serait avec elle pour faire la route. Quant à nous tous, nous dormirions dans cet hôtel cette nuit pour gagner tranquillement Manchester demain matin. Il y aurait deux concerts de donnés "à la maison", comme le disaient les garçons. Deux soirs de suite. Les billets s'étaient vendus comme des petits pains. Pour la première soirée, des places avaient été réservées par le groupe pour tous nos proches : familles, amis... Mes parents, mon frère et ma sœur seraient là, ainsi que les familles des garçons, Jack et Rosie Donovan, et même Madame Ferew, la maman de Ruggy, qui avait contacté Gordon et tenait à les voir. Elle aussi voulait payer son billet... Ce qu'ils avaient catégoriquement refusé.

Stair

Jouer à la maison.

La tournée s'achevait. Nous donnions nos derniers concerts : deux à Manchester, puis, la semaine prochaine, trois à Londres. On voyait le bout du Dark Death Tour. Je pouvais déjà dire que c'était une réussite. Nous avions découvert le public européen ; celui-ci avait été la plupart du temps au rendez-vous, parfois au-delà ce que nous pouvions imaginer comme en Allemagne ou à Athènes. Même si nous n'avions pas fait salle comble dans toutes les villes où nous étions passés, les billets s'étaient quand même bien vendus et rien que sur le plan financier, la tournée était une réussite. On rentrait largement dans nos frais et il nous resterait une belle part à partager entre nous quatre. Et Frank toucherait un beau cachet.

Gordon avait également prévu et organisé une petite fête, à Londres, à l'issue du dernier concert, en louant une salle, pour remercier tous ceux qui avaient participé à la tournée ou qui nous avaient aidés à l'organiser. Bon, quelques pontes de la maison de disques seraient présents, mais on pourrait s'en tenir au strict minimum avec eux : bien d'autres personnes plus intéressantes seraient là aussi.

Quand une tournée s'achève, on ressent un mélange de nostalgie et de joie. C'est la fin d'une aventure, mais on va aussi pouvoir se reposer, avant d'envisager autre chose. Après la première, nous n'avions pas pu éprouver ce genre de sentiments : nous étions en plein choc de l'accident de Ruggy. Cette fois, rien de semblable. Nous avions déjà convenu de retravailler avec la plupart des personnes qui nous avaient accompagnés et Andrew et Aarav en premier lieu. Speedy et Lucky avaient vu leur contrat être prolongé pour la tenue du site internet. De toute façon, ils auraient vite des infos fraîches à publier concernant le troisième album. Il fallait tenir les fans au courant, apporter des nouveautés... Ils publieraient aussi quelques petits bonus sur la tournée. De quoi faire patienter.

Ce soir-là serait donc une soirée un peu particulière, puisque dans le public se trouveraient beaucoup de nos proches, familles et amis. Je n'avais pas oublié la promesse faite à Greg, un des amis d'Ally, de lui permettre de suivre un de nos concerts en coulisses. Il assisterait ainsi à la première des deux dates à Manchester et je le soupçonnais fortement d'être aussi présent pour la deuxième, mais cette fois, dans le public. Les fans de certains grands groupes n'hésitaient pas à acheter des billets pour deux ou trois concerts, quand ceux-ci se produisaient plusieurs fois dans la même ville... Greg prenait le même chemin, et quelques autres aussi.

Ally nous avait accompagnés pour toute la fin de cette tournée, en Angleterre et au Pays de Galles. J'étais heureux qu'elle ait été avec nous au cours des derniers mois. Sa présence avait eu un effet à la fois encourageant et apaisant pour tout le groupe. Snoog était plus posé qu'en début de tournée et même Frank s'était montré moins grivois, ce qui n'était pas un petit exploit à mettre au compte de ma chérie. Sa présence avait aussi aidé Lynn à mieux supporter l'absence de Jenna. Quant à Treddy, je savais qu'il avait pu parler de sa propre situation et de Coleen avec elle. Sans oublier Andrew et Aarav qui étaient comme ses grands frères et n'hésitaient pas à l'accompagner pour des visites quand nous étions occupés à répéter ou à faire des balances et qu'on n'avait pas besoin d'eux.

Sans le mesurer encore tout à fait, nous avions créé là, au cours de cette tournée, l'ébauche d'une famille. Il y avait le groupe - nous quatre - et son entourage, toutes ces personnes sans lesquelles nous ne serions rien et qui nous aidaient, nous soutenaient chaque jour, pour donner le meilleur de nous-mêmes au public.

Ally

- Bonsoir, Greg !

- Salut, Ally ! Ca va, je suis à l'heure ?

- Impeccable. Les garçons n'ont pas tout à fait fini les balances, tu vas pouvoir y assister...

- Chouette !

- C'est un petit bonus...

Je venais de récupérer mon ami à l'arrière de la salle, un endroit qui restait marquant pour moi puisque c'était là que Stair et moi nous nous étions retrouvés, à l'issue du concert relançant la carrière du groupe, le premier qu'ils avaient donné avec Treddy. Les Dark rejouaient dans la même salle, pour deux soirs de suite afin de répondre à la demande.

J'avais un passe pour Greg et nous gagnâmes rapidement l'intérieur : aucun intérêt à rester discuter dehors, il faisait froid et humide, un vrai temps d'hiver. Je le guidai vers la cabine de l'ingénieur du son. Ils avaient terminé les réglages pour la salle, mais peaufinaient encore les retours scène, pour les musiciens.

Nous nous glissâmes à côté de lui et de Gordon. A voix basse, je présentai Greg à ce dernier, ils se saluèrent avec sympathie. Même si la séance était presque terminée, Greg ne manqua rien, observant tout. Il poserait plusieurs questions durant le repas à l'ingénieur du son, pour mieux comprendre son travail. Ce n'était pas inutile car sonoriser la scène était bien différent de sonoriser la salle. Je n'aurais pas su rentrer dans des détails techniques, mais je savais que c'étaient deux choses différentes. Les grands groupes travaillaient d'ailleurs généralement avec deux ingénieurs du son : l'un pour la scène, l'autre pour la salle, sans oublier les techniciens qui les secondaient.

Quand les balances furent terminées, nous rejoignîmes les garçons au pied de la scène. Stair avait reposé sa basse sur son support, Snoog discutait avec Lynn et Frank, Treddy s'avança aussi vers nous. Stair sauta à nos côtés pour serrer la main à Greg.

- Salut, Greg ! Ca va ?

- Aux anges ! lança-t-il en riant. Salut, Stair. Encore merci pour ce soir...

- De rien... C'est Gordon qu'il faut qu'tu remercies, c'est lui qui s'est débrouillé pour que ce soit possible...

- Sans votre accord, je ne pouvais rien faire ! fit remarquer celui-ci.

Stair sourit, m'attrapa par la taille avant de déposer un léger baiser sur mes lèvres.

- Ca va de ton côté, baby ?

- Oui, bien.

- C'tait un peu long, tout à l'heure, pour la salle...

- Oui, j'ai bien compris. Mais c'était intéressant de voir comment vous alliez vous en dépatouiller. Je pense que ce sera bien.

- Ouaip, j'pense aussi. On ajustera s'il faut pour demain.

Je hochai la tête. Puis Stair s'adressa à nouveau à Greg :

- Ally t'a expliqué comment ça s'passerait, Greg ?

- Oui, pas de souci pour moi.

- Désolé, tu resteras un petit moment tout seul, en coulisses. Enfin, tout seul... Tu assisteras au travail des techniciens, même si l'essentiel est prêt.

- Ce sera intéressant à observer. Et je comprends bien que vous ayez besoin d'être juste entre vous dans les loges.

- Ouaip. Allez, on va manger, on pourra discuter de tout cela.

- Jenna n'est pas encore arrivée, soulignai-je en jetant un regard à mon téléphone. Ah, elle vient de m'envoyer un message... Elle arrive d'ici dix minutes environ.

- Ok, ça laisse un peu de temps. Viens, Greg.

Et Stair nous guida vers les coulisses. Puis nous montâmes sur la scène que les autres venaient de quitter, Lynn ayant filé vers la sortie pour récupérer Jenna. Stair expliqua de petites choses à Greg, puis nous rejoignîmes nos amis pour le repas.

Nous le prîmes comme d'habitude avec les équipes techniques, que ce soit celle du groupe ou celle de la salle. Greg était assis à côté de moi, face à Jenna. Nous étions à un bout de la table, avec Aarav, Speedy, Lynn, Treddy et le chef éclairagiste. La discussion allait bon train, Greg se montrant curieux et intéressé par tout ce qui se passait. Puis avec Gordon et Jenna, nous lui montrâmes l'endroit où il allait s'installer. Le public commençait à entrer. Le concert devait démarrer d'ici une quarantaine de minutes. Nous laissâmes notre ami avec Aarav qui lui tint compagnie avant qu'on ne le rejoigne.

**

Le concert démarra sur les chapeaux de roue. Le public était au rendez-vous, déjà bien chaud. J'imaginais que, dans la salle, beaucoup de spectateurs se sentaient assez fiers : ils venaient voir leur groupe, le groupe de Manchester. Ca créait ici une proximité qui n'existait pas ailleurs.

J'étais contente pour Greg qu'il puisse assister au concert en coulisses et en particulier que cela puisse se faire à Manchester. Je sentais mon ami ravi. Il m'avait demandé au cours du repas, s'il pourrait me parler un peu durant le show. Je lui avais dit que oui, mais qu'on ne s'entendrait sans doute pas beaucoup, même si le son était beaucoup moins fort qu'en étant dans la salle. Il se contentait d'afficher un grand sourire heureux et de lever parfois son pouce, pour marquer son plaisir.

Le groupe avait décidé de jouer, spécialement pour le public de Manchester, quelques anciennes chansons qui n'avaient pas été enregistrées, ni sur le premier, ni sur le deuxième album et qui ne figuraient pas dans le show habituel. Parce que c'étaient des chansons que tout le monde ici connaissait bien, parfois pour les avoir entendues sur la scène des pubs où ils avaient commencé. Cela montra aussi la progression du groupe, j'en pris bien conscience moi aussi.

Il y eut aussi un moment vraiment très émouvant et je ne fis aucun effort pour retenir une petite larme. En échangeant un regard avec Jenna, je vis bien qu'elle était dans le même état que moi.

Stair

C'était toujours spécial de jouer à Manchester. C'était vraiment jouer à la maison, devant les familles, les copains. Même les spectateurs qu'on n'avait jamais croisés étaient comme des proches. Et ce soir-là, nous avions aussi pris une décision particulière. Nous abordions la deuxième partie du show lorsque Snoog s'avança un peu plus vers la scène et lança :

- Nous sommes très heureux de rejouer devant vous... Nous avons, spécialement pour vous, allongé le concert en jouant quelques anciennes chansons qu'on n'a pas interprétées les autres soirs de la tournée. Et parmi elles, il y en a une qu'on n'a pas rejouée depuis... Depuis un sombre soir de janvier. C'est la seule chanson que Ruggy avait écrite pour le groupe, paroles et musique. Et on ne peut la jouer qu'ici. Pour lui. Et pour sa maman qui est ici, ce soir, dans le public. Merci Madame Ferew de nous avoir donné l'autorisation de l'interpréter. Pour toi, mon pote !

A cet instant, un spot éclaira bien nettement la guitare de Ruggy, accrochée au mur derrière Lynn, alors que le chef éclairagiste faisait baisser la luminosité des autres, pour souligner un peu plus les propos de Snoog.

Lynn commença le morceau en faisant frémir ses cymbales avec beaucoup d'émotion, avant de lancer la cavalcade de ses toms et de la grosse caisse. Nous - seuls Treddy et moi-même, car la chanson ne possédait pas de ligne pour la guitare rythmique, Frank ne jouait donc pas -, embrayâmes, puis Snoog posa sa voix, comme du velours, sur la mélodie.

Et d'aller là où tout le monde s'en fout

Et d'aller là où tout le monde s'en fout

Le public reprit en chœur les dernières paroles, alors que nous mettions vraiment beaucoup d'émotion et de force dans notre jeu. C'était à la fois poignant et intense, car c'était une chanson très rythmée, assez inspirée par le style de Metallica, le groupe fétiche de Ruggy. Snoog l'avait d'ailleurs chantée un peu à la façon de James Hetfield.

C'était Lynn qui en avait eu l'idée, se souvenant de ce qu'AC/DC faisait pour rendre hommage à Bon Scott lorsque le groupe se produisait en Ecosse, en jouant une adaptation instrumentale de la chanson traditionnelle Loch Lomond. Nous avions alors pris la décision, en accord avec Madame Ferew, de ne jouer ce morceau qu'à Manchester, en hommage à Ruggy.

A la fin de la chanson, il nous fallut à tous les quatre marquer une petite pause. Ce n'était pas encore l'heure du rappel, mais nous nous retrouvâmes un instant dans les coulisses, avec les filles, Gordon et Greg. Et si notre émotion était palpable, la leur l'était tout autant.

Et la larme qui brillait à leurs yeux était comme un écho à la nôtre.

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