Chapitre 83 : Jusqu'au bout de la nuit

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Ally

J'étais comme bercée par deux voix graves, parlant bas, et des mélodies qui jouaient et se répondaient. J'entrouvris les yeux avant de replonger dans un sommeil profond. Devant moi, quatre mains couraient sur deux manches, pour sortir ces sons qui m'entraînaient vers le sommeil. Un léger sourire se dessina sur mes lèvres : Stair et Steve étaient encore en plein échange.

L'amour de ma vie était dans un autre monde. Depuis la sortie de scène, il n'atterrissait pas. Même le temps de repos, dans les loges, après le concert, ne l'avait pas fait revenir sur terre. Dans un certain sens, j'étais dans le même état que lui : moi aussi je planais et j'avais du mal à prendre conscience de ce qui s'était passé. Et d'autant plus que Steve Harris avait chaleureusement accepté la proposition de dîner avec nous. La soirée s'était prolongée dans un des salons privés de l'hôtel, autour d'un verre de whisky. Les membres du groupe nous avaient laissés, les uns après les autres, et alors que Steve et Stair avaient tous deux pris leurs basses pour poursuivre les échanges sur un autre mode, j'étais restée avec eux, blottie sur un des petits canapés du salon, à les écouter et à suivre leur discussion tant verbale que musicale.

Stair

- Je pense qu'on a dû jouer une jolie berceuse...

Je levai le nez de mes cordes pour regarder Ally. Elle dormait maintenant profondément, recroquevillée sur le canapé. Sur la table basse, entre nous, étaient posés nos verres vides. Ceux de mes amis n'avaient pas encore été débarrassés. Lynn s'était offert un verre de Jack Daniel's, forcément, et Snoog avait suivi. Treddy et David avaient préféré un bon vieux whisky des Highlands, Steve et moi un plus léger. Speedy avait hésité et avait finalement choisi une bière rousse. Il avait dû prendre quelques photos aussi. Pour la postérité. Ou simplement, pour nos souvenirs...

- Tu vas devoir la réveiller, fit encore Steve avec amusement.

- J'pense que j'devrais réussir à la ramener dans la chambre sans problème, répondis-je. Mais c'est vrai qu'il doit être tard... Merci, Steve.

- On n'a pas vu l'heure tourner, conclut-il.

Il me sourit avant de se lever pour récupérer l'étui de sa basse. Je me levai aussi, rangeai la mienne, puis je le raccompagnai dans le hall. Un taxi attendait devant la porte : il ne dormait pas dans le même hôtel que nous. On se serra la main, promettant de se recontacter quand nous serions de retour en Angleterre.

- Bonne continuation pour la tournée, me dit-il encore chaleureusement. C'est la première fois que vous allez en Amérique, n'est-ce pas ?

- Oui...

- Tu vas voir, le public sud-américain est vraiment génial. Très impressionnant. Vous allez vivre de super moments.

- Merci, c'était... vraiment géant aujourd'hui.

- N'oublie surtout pas de le dire à tes potes ! rit-il.

- C'est sûr qu'ils en entendront parler longtemps, fis-je en souriant. Et Ally aussi...

- On se fera un bœuf à Londres, à votre retour.

- Volontiers, fis-je. Bon retour en Angleterre !

Il n'ajouta rien, se dirigea vers le taxi. Un dernier signe, le signe du métal, par la fenêtre avant que le taxi ne démarre. Le même signe que lorsque j'étais minot et que je m'étais trouvé en adoration totale à ses pieds, lors du concert. J'eus l'intuition qu'à travers ce petit signe, c'était comme si une boucle se refermait. Je regagnai le petit salon, Ally dormait vraiment bien. Je m'occupai d'abord de déposer ma basse dans la chambre, puis retournai la chercher. Je passai les bras sous ses genoux, elle remua légèrement :

- Stair ?

- Dors, baby, j'vais te remonter à la chambre... J'vais t'porter...

- Hum...

Elle bascula la tête contre mon épaule et je réussis à la soulever sans trop de difficulté, puis je m'engageai dans le couloir. Un employé compatissant appela l'ascenseur pour moi.

Ally

Un éclat de lumière insistant me força à ouvrir les yeux. J'étais dans la chambre d'hôtel, allongée sur le lit, alors que je me souvenais bien m'être endormie dans un fauteuil. Je portais encore ma robe. Je tournai lentement la tête : Stair dormait à mes côtés, avec un air de béatitude totale sur le visage. J'en souris car tous les souvenirs de la veille me revinrent à l'esprit : sans doute avait-il veillé assez tard, discutant encore avec Steve Harris.

Le jour entrait à pleins feux dans la chambre, mais nous n'avions pas de contraintes aujourd'hui. Nous ne quitterions la France que le lendemain, pour un vol vers les Etats-Unis et la côte est, première étape de la tournée outre-Atlantique. Il y aurait Boston et New York, avec un concert à Central Park, dans cinq jours. Ca nous laissait un peu de temps pour nous adapter au décalage horaire.

Je me levai, passai dans la salle de bain. En jetant un coup d'œil dans le miroir, je vis que j'avais l'air aussi béat que Stair et j'en pouffai. Je décidai de prendre une douche, puis je retournai dans la chambre : Stair dormait toujours et je me glissai à ses côtés, passai mon bras en travers de son torse.

Il bougea légèrement, ouvrit les yeux.

- Baby ?

- Je t'ai réveillé...

Il bâilla, se tourna légèrement pour regarder l'heure.

- Wahou... Il est tard.

- On s'est couché tard aussi, fis-je remarquer. Ca va ?

Il passa la main dans ses cheveux, puis me regarda. Il avait encore l'air de planer totalement.

- Ouaip, fit-il. Mais... Chais pas trop où chuis...

Je souris :

- Si ça peut te rassurer, moi non plus. A part qu'on est tous les deux dans un lit...

- J'confirme, dit-il avec malice en m'entourant de ses bras.

Il m'embrassa tendrement, puis se redressa un peu, le regard lointain et rêveur.

- J'en r'viens quand même pas. J'ai rêvé, non ?

- Non. Enfin, tu en as encore certainement rêvé cette nuit, à voir l'air que tu avais quand je me suis réveillée tout à l'heure. Mais je peux t'assurer qu'hier, tu as bien joué sur scène avec Steve Harris. Et aussi dans le salon, après le repas.

- C'est quand même... Ouais, j'trouve pas les mots... T'étais au courant ?

- Non. Tout le monde était dans la confidence, même Speedy, mais moi, je ne savais rien. Ils ont dû fomenter ça tous ensemble...

- J'vois bien l'genre...

Stair

- Hé, mon pote ! Faut atterrir un peu !

- Hum ?

- Tin... T'as l'air benêt, mais benêt !

- Parle pour toi !

Lynn venait de répliquer à Snoog qui me charriait. Mon regard fit le tour de la table : en fait, tout le monde avait l'air benêt, ce midi. Même Jenna. La main d'Ally se glissa doucement sur ma cuisse, je la regardai avec attendrissement. Ses beaux yeux bleus brillaient, comme si mille étoiles s'y étaient allumées. J'eus envie de l'embrasser, mais je me retins : ça me donnerait trop le désir d'autre chose et on était en plein repas. Ce serait pour tout à l'heure. Elle eut un petit sourire complice, comme si elle avait vu clair en moi, puis se replongea dans son assiette.

Snoog leva les yeux au plafond, puis me demanda :

- Bon, t'as pas envie d'avoir le fin mot de l'histoire ?

- Ouais, quand même, répondis-je.

- Tout l'mérite en revient à Lynn, commença Snoog. C'est lui qui a eu cette putain de bonne idée. Encore une que chuis jaloux de m'être fait griller, mais c'est pas grave, j'lui en veux pas...

Lynn sourit, mais ne dit rien. Ce fut Jenna qui coupa la parole à notre chanteur :

- Tu permets que je raconte la suite, Snoog ?

- Aucun souci, beauté brune, aucun souci. Tes désirs sont des ordres et je m'y soumets avec grand plaisir...

Jenna ne releva pas, mais reprit, en me regardant :

- Lynn a eu cette idée le jour du décès de Lemmy. Comme tu le sais, il était très marqué... A un moment, il m'a dit : "Faut pas qu'il arrive la même chose à Stair. Faut qu'Gordon se démerde, mais...". Et ni une, ni deux, il téléphonait à Gordon.

- Exact, intervint ce dernier avec un petit sourire. J'ai bien compris que je n'avais pas le choix... Cela dit, c'était une très belle idée de Lynn et d'une façon ou d'une autre, il aurait bien fallu que cela arrive.

- Cela a été difficile de convaincre Steve Harris ? demanda Ally qui n'en perdait pas plus une miette que moi.

- Non, sincèrement. Joindre l'agent d'Iron Maiden n'était pas le plus difficile pour moi ; entre agents, on a forcément plus ou moins les contacts des uns et des autres ou le moyen de les obtenir aisément. Il m'a dit dans un premier temps qu'il allait voir ce qui était possible, qu'il comprenait ma demande. Deux jours plus tard, il me rappelait pour me dire que Steve Harris était tout à fait ok sur le principe. Très touché et très heureux de faire votre connaissance. Restait à trouver une date, comment on le faisait, etc... J'ai eu Steve Harris lui-même au téléphone, nous avons parlé un long moment tous les deux. Il savait que les Dark s'engageaient dans une tournée cette année et c'est lui qui a suggéré que cela se fasse lors d'un concert. A l'origine, il avait proposé que ce soit lorsque vous joueriez à Manchester. Mais les dates n'allaient pas correspondre avec les projets d'Iron Maiden. Nous avions alors quelques possibilités, au moment de la tournée en Europe. Et le choix s'est vite porté sur le Hellfest.

- J'pense... que ça pouvait pas être mieux, dis-je. Vraiment merci à vous tous et...

Je me levai alors, fis le tour de la table pour attraper Lynn par l'épaule et le forcer à se lever. On se fixa un instant, puis je lui fis l'accolade et dis :

- Je r'grette qu'une chose, mon pote... Et tu sais laquelle. Mais si ça a pu rattraper un peu le coup...

- Ca l'a complètement rattrapé, t'inquiète, me bafouilla-t-il en réponse. C'était juste... géant. Quand j'ai vu ta tête, j'me suis dit... Tu vas pas t'en r'mettre.

- Ouais, j'crains qu'ce soit le cas...

Et je m'écartai et nous rîmes alors tous les deux. Car ce n'était pas peu dire que j'avais cassé les oreilles de tous mes potes avec mon adoration pour Steve Harris, et Lynn avait certainement été celui qui en avait le plus subi. Mais sans jamais s'en plaindre et avec un plaisir évident qui venait de trouver sa consécration.

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