Chapitre 85 : Au secours, Jenna !

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Stair

Soucieux, je traversai le couloir et allai frapper à la porte de la chambre de Lynn et Jenna. Il était environ 15h de l'après-midi, nous étions à Toronto depuis la veille pour un concert que nous donnerions demain soir. Et j'avais un gros, gros souci à l'esprit.

Ce fut Lynn qui m'ouvrit aussitôt :

- Stair ?

Il vit tout de suite à mon expression que ça n'allait pas, ouvrit la porte en plus grand pour m'inviter à entrer dans la chambre. Jenna était assise à la table du coin salon. Depuis que nous étions en Amérique du Nord, nous avions pu constater que les chambres étaient bien plus spacieuses qu'en Europe et encore, nous n'avions pas à nous plaindre. Gordon, Alice et toute l'équipe avaient toujours trouvé de très bons hôtels. Jenna regardait un livre - sans doute un dépliant touristique ou quelque chose du genre, car elle cherchait toujours à nous faire faire des balades ou à découvrir des trucs intéressants quand nous n'étions pas pris par la tournée elle-même, les balances, les répétitions, les trajets...

- Stair, qu'est-ce qui se passe ?

- Est-ce que tu peux venir, Jenna, s'te plaît ? Moi, chais plus quoi faire, chais plus quoi dire...

Elle me regarda avec sérieux durant quelques secondes, puis me dit :

- Ok, reste avec Lynn.

- Merci.

Une fois la porte fermée, Lynn me dit :

- Tu veux une bière ?

J'hésitai un instant, puis me souvenant que la Bud était insipide, mais peu alcoolisée, j'acceptai. Au moins, ça me désaltèrerait à défaut d'autre chose. Lynn ouvrit le petit réfrigérateur de la chambre, en sortit deux bouteilles qu'il décapsula avec dextérité. Nous trinquâmes en silence, puis je m'écroulai dans un des fauteuils. Il s'assit face à moi, attendit un moment, puis finit par demander :

- C'est quoi le 'blème avec Ally ?

Je fis un vague geste du bras avant de lâcher :

- Elle a peur d'être enceinte. Elle a du r'tard, ne comprend pas... Elle est en mode panique totale. J'peux rien dire, rien faire sans qu'elle se mette à pleurer ou à dire que c'est une catastrophe. Pourtant, elle a fait gaffe avec les voyages et le décalage horaire, elle avait tout calculé pour prendre sa pilule à la bonne heure...

Lynn hocha simplement la tête. Ce ne serait que quelques semaines plus tard que je comprendrais pourquoi il n'avait pas dit quelque chose de rassurant comme "Ouais, je vois, Jenna a fait pareil".

- Alors j'me suis dit que Jenna trouverait sans doute mieux les mots que moi...

- T'as bien fait. Elle va même faire mieux : elle va trouver une solution.

Ally

Cela faisait deux jours que j'étais sur des charbons ardents. Deux jours que j'aurais dû avoir mes règles et elles n'étaient pas du tout au rendez-vous. Le premier jour, je m'étais raisonnée, je ne voulais pas inquiéter Stair parce que le groupe donnait son dernier concert aux Etats-Unis, à Détroit, avant qu'on ne passe la frontière pour le Canada et le Québec. Gordon n'avait pas voulu placer trop de dates aux Etats-Unis où le groupe n'était pas encore très connu, même si le concert à Central Park avait rencontré un beau succès. Il avait préféré consacrer une partie plus importante de la tournée en Amérique du Nord au Canada où les disques se vendaient mieux.

Or depuis la veille, mon inquiétude grimpait en flèche. J'avais mal dormi, me tournant et me retournant dans le lit. Heureusement que c'était un lit King Size, le genre où on se perd, car cela avait évité que je réveille Stair trop souvent. Et depuis ce matin, c'était la panique. Toujours rien et toujours aucun signe, alors que j'étais réglée comme une horloge.

Stair avait finalement quitté la chambre, ce qui valait mieux car j'étais sur les nerfs et j'aurais pu dire quelque chose que j'aurais regretté toute ma vie. D'autant qu'il m'agaçait profondément avec son côté placide et ses mots réconfortants. Alors que c'était une vraie catastrophe qui nous tombait dessus !

J'entendis frapper à la porte. Je ne dis rien, craignant une visite impromptue, voire le passage d'un employé de l'hôtel. Stair avait dû bêtement oublier de tourner le petit carton demandant à ne pas être dérangé... Nouveaux coups à la porte, puis la poignée tourna et là, je vis Jenna qui passait la tête par l'entrebâillement. Je soupirai :

- Entre, Jenna...

Elle entra, ferma soigneusement la porte avant de se diriger droit vers moi. Elle n'était pas encore en mode walkyrie, telle que Lynn l'avait gravée sur son bras gauche, mais ça n'allait pas tarder, je le sentais déjà.

- Ally, fit-elle en prenant place dans le fauteuil face à moi, là où Stair était assis quelques instants plus tôt et qu'il me caressait la main en tentant vainement de me calmer. Qu'est-ce qui se passe ?

- Une catastrophe.

- Mais encore ? insista-t-elle.

- Je suis peut-être enceinte ! lâchai-je en un cri avant de fondre en larmes.

Il en fallait plus pour démonter mon amie. Elle me prit contre son épaule, me laissa pleurer un moment avant de dire :

- Tu as du retard ?

- Deux jours. Et aucun signe...

Elle soupira :

- Bon. Tu as fait un test ?

- Non... Pas eu le temps.

- Alors, on va commencer par ça. Va te rafraîchir un peu, change-toi si tu as besoin et on y va.

Je demeurai un instant amorphe, dans le fauteuil. Son regard aigu ne me lâchait pas. Quand je disais que la walkyrie n'était pas loin... Je n'avais plus le choix et elle avait raison : il fallait que je trouve un test de grossesse avant de paniquer totalement. Je me levai donc, gagnai la salle de bain. Je me passai un peu d'eau sur le visage, me recoiffai. Puis je revins dans la pièce où Jenna m'attendait.

- Allez, on y va.

Nous sortîmes de la chambre, puis elle poussa la porte de celle d'en face - la leur.

- Lynn, Stair, on sort.

- Vous allez où ? entendis-je Stair demander.

- On va chercher une pharmacie, dans un premier temps. On n'est pas en plein désert, ça devrait se trouver sans trop de difficulté...

- Ok. Tu veux qu'on vienne avec vous, baby ? demanda Lynn.

Jenna se tourna vers moi et je hochai la tête à l'affirmative.

- Oui, répondit-elle simplement en regardant à nouveau vers l'intérieur de la pièce.

Les garçons nous rejoignirent. Je voyais bien que Stair ne savait pas quoi faire, qu'il était même très hésitant à me toucher. Or, j'avais besoin de lui aussi. Je tendis légèrement la main vers lui, il me prit alors dans ses bras et me dit :

- On va trouver.

Nous gagnâmes le rez-de-chaussée. A cet instant, on vit Snoog, Treddy et Speedy sortir du bar et se diriger vers nous.

- Vous allez où ? demanda Snoog, répétant la même question que Stair quelques instants plus tôt : au moins, ils étaient toujours raccord.

- On va chercher une pharmacie, dit Jenna en se dirigeant avec autorité vers la sortie.

Ils embrayèrent aussitôt derrière nous et Snoog demanda, avec un soupçon d'alarme dans la voix :

- Quelqu'un est malade ?

- Non, répondit Jenna, mais il faut qu'on trouve une pharmacie.

Une fois sur le trottoir, mon amie tourna la tête à gauche, puis à droite et dit :

- Bon, Snoog, Speedy et Treddy, vous partez à gauche. Nous à droite. Les premiers qui mettent la main sur une pharmacie préviennent les autres.

- Et on doit prendre quoi, à la pharmacie ? demanda encore Snoog.

Les deux autres avaient suivi le mouvement ; je décelai une pointe d'inquiétude dans leurs regards, surtout dans celui de Treddy et plutôt de l'étonnement dans celui de Speedy.

Jenna me jeta un regard, prit une profonde inspiration, puis lâcha :

- Un test de grossesse ! Et on ne plaisante pas !

- Hé ! s'insurgea Snoog. On peut être sérieux parfois ! C'est pour laquelle des deux ?

- Devine ! lâchai-je avec hargne.

- Toi, beauté blonde ?

- Oui, putain, moi ! hurlai-je alors que quelques piétons se retournaient vers nous, intrigués.

- Ok, ok, m'étripe pas, j'y suis pour rien...

- Oh, zut, flûte, Snoog ! Allez, à gauche, j'ai dit ! rappela Jenna avec fermeté devinant que j'étais prête à sortir les griffes et à me ruer sur le chanteur.

Et elle nous entraîna, Stair, Lynn et moi vers la droite, laissant en plan les trois autres qui n'avaient pas d'autre choix que de partir de leur côté.

Stair

Ally n'arrêtait pas de pleurer. De soulagement. Je la tenais dans mes bras et la berçais autant que je le pouvais. L'expédition pharmacie menée sous les ordres de la générale Jenna avait porté ses fruits : dix minutes plus tard, nous étions de retour à l'hôtel. Ally avait fait le test qui s'était révélé négatif, ce qui avait eu au moins le mérite de faire baisser la pression. Puis Jenna l'avait entraînée vers une des annexes de l'hôtel où se trouvait toute une offre de spas, massages et soins divers. Un coin spécial filles. Elles y étaient restées un bon moment, Lynn et moi étions partis courir pour évacuer ma propre tension, avec Aarav sur les talons. A notre retour, tout le monde allait mieux. Et les règles d'Ally étaient arrivées dans la soirée.

Plus de peur que de mal, enfin façon de parler... Car en début d'après-midi, quand elle avait fini par me cracher le morceau, alors que je voyais bien que quelque chose n'allait pas du tout, j'en étais resté un bon moment abasourdi. Elle était peut-être enceinte !

J'avais fini par lâcher un :

- C'est pas grave...

Elle m'avait alors regardé avec des yeux ronds, le visage ravagé, et j'aurais presque pu voir sortir de la fumée de ses oreilles. Elle m'avait lâché toute sa peur, toute sa colère, toute sa tension d'un coup, à tel point que j'étais bien incapable de me souvenir de ce qu'elle avait dit. Ca n'avait pas grande importance de toute façon : elle avait surtout besoin d'évacuer, je l'avais bien compris. J'étais resté avec elle, essayant de la calmer comme je le pouvais, de la réconforter. Jusqu'au moment où j'avais senti que j'allais avoir besoin d'aide. Jenna était alors venue à notre secours.

Et maintenant, il fallait retrouver de la raison.

Nous étions assis sur le lit, moi dos au mur, calé avec les oreillers. Ally était tout contre moi, la tête contre mon torse. Elle avait fermé les yeux, mais je savais qu'elle ne dormait pas. Je passais ma main dans son dos, dans ses cheveux, en ces gestes que je savais apaisants.

- Stair ?

- Hum, baby ?

- Merci.

Je souris.

- Pourquoi, merci ?

- J'ai été ignoble depuis ce matin. Invivable. Merci de ta patience...

- C'est normal, baby. T'étais vraiment pas bien et j'le comprends... J'ai fait c'que j'ai pu, même si j'pense que celle qui a fait le plus, c'est Jenna en démêlant la situation. Maintenant, faut que tu te calmes, t'es rassurée...

- Pas toi ?

- Si aussi, bien sûr...

- Mais ?

- J'ai pas dit "mais"...

- Non, mais tu l'as pensé tellement fort que je l'ai entendu.

Je soupirai : Ally me connaissait trop bien. Je n'avais pas envisagé qu'on ait cette discussion dès ce soir, ça me rassurait cependant : ça voulait dire que la crise était passée, qu'elle reprenait le dessus et que la fonceuse en elle était en train de revenir.

- Baby... J'voulais dire que... Non, vraiment, ce n'était pas une catastrophe. Si c'était arrivé... On aurait fait avec. Même si, en pleine tournée, c'est sans doute pas le mieux...

- Tu es en train de me dire que tu voudrais bien d'un bébé ?

Elle s'était redressée et me fixait maintenant de son océan infini. Je soutins son regard avec détermination.

- Oui, c'est bien ce que je suis en train de dire. Que si ça arrive, non, ce ne sera pas une catastrophe. Et que oui, ça me plairait bien. Et toi ?

Elle posa sa main sur mon torse, juste sur mon cœur :

- Je n'y ai pas vraiment pensé jusqu'à présent. J'ai plutôt tout fait pour éviter que ça n'arrive.

- Je sais. Je sais bien que tu es très vigilante... Comme l'a dit Jenna, il ne faut pas oublier qu'on a beaucoup pris l'avion, qu'il y a eu les décalages horaires. Ces dernières semaines, on a changé souvent de fuseaux... Ca a pu te fatiguer, te perturber... Perturber ton cycle, comme elle l'a rappelé.

- Oui, certainement. J'ai paniqué pour rien...

- C'est pas pour rien, baby. Mais maintenant, tu es rassurée. Et puis, si tu veux, on peut se protéger autrement pour la fin de la tournée. Tant qu'on sera en Amérique, on va beaucoup prendre l'avion, même s'il n'y a pas trop de décalage horaire. Ce sera surtout quand on va passer en Australie, puis revenir en Europe. Tu peux continuer ta pilule, bien sûr, mais on peut prendre les capotes aussi... Y en a plein les tiroirs...

- Ca t'embête pas ?

- Mais non, ça m'embête pas, si j'te propose...

- D'accord, fit-elle en reprenant place tout contre moi.

Je refermai mon étreinte autour de ses épaules, penchai un peu la tête vers elle. Et elle finit par s'endormir ainsi, à mon grand soulagement : elle avait vraiment besoin de repos et de récupérer. Et par ricochet, moi aussi, car on donnait quand même un concert demain soir.

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