Chapitre 86 : Les petites baleines blanches
Stair
Les plaines d'Abraham.
C'était là que nous donnerions notre concert ce soir, dans le cadre du festival d'été de Québec. Ce matin, au petit déjeuner, Jenna nous avait asséné sa leçon d'Histoire habituelle, nous racontant l'origine du nom et nous expliquant pourquoi le Québec était une province francophone, comme un îlot au milieu d'un monde anglophone. C'était quasiment le seul endroit de tout le continent américain où on parlait français, hormis les Antilles et la Guyane. Nous trouvions cela assez étonnant, voire un peu amusant. Treddy, lui, se sentait assez de connivence avec les Québécois, rapport à la mainmise anglaise. En rigolant, Lynn lui avait demandé si les Québécois étaient des Celtes, ce qui n'était pas le cas, même s'il devait bien y en avoir un peu quand même, puisque certains étaient des descendants d'Irlandais, d'Ecossais, voire de Bretons.
Toujours était-il que depuis que nous avions encore changé de pays, nous passions de bons moments. Pas que les concerts aux Etats-Unis s'étaient mal passés, ça avait été très pro, mais assez loin de l'ambiance que l'on connaissait ailleurs. Au Canada, nous avions retrouvé la connivence que nous avions habituellement avec notre public. Gordon avait eu raison de nous faire garder confiance : il savait aussi que les albums et principalement le dernier s'étaient très bien vendus dans ce pays. Il s'attendait donc à ce que nous recevions un bon accueil de la part des spectateurs.
La veille, nous avions profité de l'après-midi pour repérer les lieux, faire une balade dans la ville. D'une certaine manière, Québec m'avait fait penser à Dublin, avec un côté grand village. Même si d'un point de vue architectural, la ville était très différente. Nous nous étions arrêtés au château, avions musardé dans les rues. Il faisait beau, la balade était très agréable. Ally allait bien maintenant, après les péripéties de Toronto, et avait retrouvé le sourire et tout son entrain.
Nous commençâmes les balances à l'heure prévue - un vrai luxe. Tout se déroula bien et nous en terminâmes vers 17h. Repos dans les loges, repas, puis l'ambiance commença à monter. Le public arrivait, nombreux et curieux. Speedy était parti en repérage, croisant des groupes, prenant quelques photos pour alimenter le site internet. Le soleil se coucherait derrière la scène et il put faire quelques clichés vraiment réussis, alors que nous entamions le show.
- Bonsoir Québeeeeeeeeeeeeccccccccccc !!!!
A l'habituel cri de guerre de Snoog - en français bien sûr pour ce soir - répondit une foule bigarrée et joyeuse. Je notai que, dans le public, il n'était pas rare de voir des spectateurs portant un de nos t-shirts, preuve que nous avions là de vrais fans.
- Nous sommes très heureux de jouer pour vous ce soir, au cœur de ce super festival ! Figurez-vous que le dernier festival que nous avons fait, c'était le Hellfest ! Et bien... Je suis certain que vous pouvez faire autant de bruit que le public de Clisson !
Nouveaux cris et trépignements de la foule. C'était bien parti et nous donnions déjà le rythme à fond sur Lies, more lies !. Jenna avait, comme à Carhaix l'an passé ou en France le mois dernier, fait apprendre par cœur quelques phrases en français à Snoog. Il s'amusait franchement à dire : "Vous êtes un super public ! On vous adore !"
- Scuse-me, mais... Mon français est vraiment déplorable. Je remercie mon ange bleu pour m'avoir permis d'échanger quand même quelques mots dans votre langue, mais je dois poursuivre en anglais. J'espère que vous ne m'en voudrez pas...
Encore des cris et des applaudissements en réponse. Il avait vraiment le don de mettre le public dans sa poche et de faire plaisir à tout le monde.
- Je sais... qu'il doit bien y avoir quelques Bretons parmi vous, d'ailleurs, je vois un gwen ha du là-bas... fit-il en désignant du doigt un drapeau blanc et noir. Oui, vraiment, vous êtes partout... Cette chanson, nous l'avons écrite l'an passé, pour vos amis de Bretagne...
Tonnerre d'applaudissements : pas de doute possible, les liens étaient forts entre ces deux régions et il n'avait pas tort de penser que des Bretons se trouvaient parmi le public.
- C'est une chanson qui parle d'une tragédie... Encore une. Si aucun homme n'a péri, il y eut pourtant des morts par milliers... Des morts tout petits, fragiles, blancs comme la neige, des morts qui ne pouvaient se défendre contre un poison noir... Mor Du !
La chanson rencontra un beau succès, ce qui nous fit bien plaisir. De ce que Gordon estima de son côté, elle n'avait pas été autant applaudie depuis le concert au Festival des Vieilles Charrues.
Mais nous ignorions encore que Lynn trouverait non loin d'ici l'inspiration pour écrire une chanson qui y ferait écho.
Ally
- Allez, ne faites pas cette tête-là ! Vous allez adorer !
Nous étions en train de patienter sur le quai d'embarquement, dans un petit matin brumeux et très frais. C'était deux jours après le concert à Québec. Nous étions partis la veille pour remonter le long du fleuve Saint-Laurent jusqu'à une petite bourgade qui portait le nom de Tadoussac. Jenna avait décidé d'organiser une sortie jusque-là pour nous emmener voir des baleines. J'avais trouvé l'idée géniale, les garçons étaient beaucoup plus circonspects. Mais comme Jenna et moi étions partantes, ils avaient été obligés de suivre.
Andrew s'était défilé - sous prétexte de surveiller le chargement du matériel pour le prochain trajet - et c'était Aarav qui avait fait le chauffeur. Speedy était avec nous. Tous les deux étaient très heureux de la sortie.
- Fait pas chaud, quand même, hein ? fit Snoog en tapant du pied sur le quai.
- Et encore, on aura sans doute plus froid en mer, enfin, sur le fleuve, dit Jenna. J'avais prévenu !
- Ouais, ouais, beauté brune... Le climat québécois très versatile, ok, ok... Enfin, on a crevé de chaud à Québec, en tout cas !
- Et bien, un petit tour de bateau, ça va te rafraîchir, beau blond ! lui lançai-je.
Snoog allait répliquer quand il fut interrompu par l'annonce de l'embarquement. Nous montâmes à bord tranquillement et prîmes place sur des bancs, sur un des côtés du bateau - à tribord, si j'avais bien saisi.
Nous comprîmes très vite pourquoi on nous avait précisé de nous couvrir chaudement. Je remontai la fermeture éclair de mon blouson, renouai mon écharpe. J'avais même prévu des gants, mais pour l'instant, ça allait encore.
Lorsque nous arrivâmes sur le site, après avoir traversé quelques bancs de brume, le spectacle fut de toute beauté et très émouvant. Les baleines nageaient non loin du bateau, nous ne les approchions pas trop pour les laisser tranquilles. On les voyait sortir régulièrement de l'eau, nager à la surface. C'était un vrai ballet et même Snoog ne fit pas de commentaires en les observant, tant il était lui aussi fasciné.
Ce fut vraiment un beau moment et je ne regrettai pas d'avoir fait cette excursion. Les garçons non plus, finalement. Lynn tenait fort la main de Jenna, la gardait blottie tout contre lui. J'avais bien entendu fait quelques photos des baleines, mais j'en profitai aussi pour prendre nos amis. Ce fut une jolie photo, avec le fleuve derrière eux.
Sur le retour, Aarav me confia qu'il n'avait jamais imaginé voir autant de choses différentes dans sa vie et que c'était une vraie chance :
- Je n'aurais jamais vu cela en restant en Angleterre, me dit-il de sa voix douce et de son ton toujours calme. C'est vraiment extraordinaire. Jenna a eu une belle idée !
- Je crois qu'elle a prévu quelques autres belles idées de balade quand nous serons en Amérique centrale et du Sud.
- C'est vraiment une chance d'accompagner le groupe, dit-il encore, avec des étoiles plein les yeux.
- Je suis bien d'accord avec toi. Rien que dans les villes que nous avons pu visiter, c'était bien.
- Oui.
Je lui répondis que moi non plus, je ne pensais pas voir tout cela un jour...
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