Chap 10 : Inouï
Inouï, cette entrevue. Ma mère est bien au rendez-vous, une grande première. Un choc et un soulagement à la fois, tout va tellement vite. Je m’approche d’elle, j’attends dans son dos, espère qu'elle fera le premier pas pour établir le contact. Je patiente jusqu'à ce que j’entende ses sanglots. Cette femme froide, sûre d’elle, maîtresse de ses actes en toutes circonstances, se liquefie sur le quai. Alors je ne résiste pas, je passe mes bras autour de ses épaules et accepte de l'écouter sans dire un mot. Elle fixe l'océan, cale ses paroles au rythme des vagues refoulées. J'essuie les larmes qui s’enfuient. Les rôles s’inversent. Je suis celui qui console et récolte les paroles avec respect sans émettre le moindre jugement. Ma mère s’excuse de toutes ses années d’abandon, de ne pas avoir su se montrer à la hauteur et me demande pardon. Je n’en reviens toujours pas, je vais me réveiller.
Inouï, chaque geste qu’elle me prodigue sont d’une douceur infinie, ses mains se font caresses sur mes joues. Elle ne me quitte pas des yeux et me redécouvre. La vie nous offre une seconde chance, une renaissance. Je la sers fort dans mes bras et ressens toute la détresse qui l'oppresse. Elle semble si fragile, une petite fille sortie de sa coquille. Le temps s’est figé autour de nous, nous nous sommes réfugiés dans une bulle dans laquelle nous sommes seuls au monde. J’étais brisé, meurtri, désemparé devant son ignorance et pourtant un seul baiser sur mon front a tout balayé et jeté aux vents mes errances. L’entendre énumérer ses erreurs, additionner ses regrets, multiplier ses peurs, peu à peu cela diminue ma peine, divise mes craintes et retire ma peau de chagrin. Je n’ai qu’une envie de tout lui pardonner.
Inouï, nous arrivons main dans la main dans le jardin de la maison d’hôtes. Je resserre mes doigts autour des siens. Son appréhension grandit à chacun de nos pas, je marque une pause pour lui permettre de reprendre son souffle. Il est de plus en plus saccadé, elle cherche du courage. Je ne l’ai jamais vu aussi perdu, elle qui est une vraie tigresse dans son boulot, qui mène de main de maître son entreprise. Est-ce que depuis toutes ces années, elle se cachait derrière une façade pour ne pas se laisser emporter par ses sentiments ? J’ai conscience que les souvenirs remontent à la surface et déferlent sur sa conscience. D’un autre côté, je sais qu’ici elle trouvera un accueil bienveillant, sans heurts, juste des pleurs de joie, la clé pour ouvrir une porte, celle des retrouvailles familiales. Marius, mon grand-père, son père attend ce moment depuis si longtemps. Joséphine, notre ange gardien, va trouver elle aussi sa place dans tous les cœurs. Elle reste le lien entre le passé et l’avenir, un brin de bonheur que chacun à son rythme cultivera.
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