Chapitre 18 : Une poignée de palourdes
Nous rejoignons nos hôtes avec notre trésor. Nous pourrions utiliser la plaque de cuisson de notre camping-car, mais après mûre réflexion, nous optons pour la méthode primaire. Samy donne un coup de pouce à Hector pour ramasser du petit bois. De notre côté avec Ernest, nous construisons un foyer avec les galets glanés sur la plage. L’un et l’autre, nous assurons de mettre en sécurité la zone de pique-nique. Hors de question de mettre le feu à ce bout de littoral. À cette pensée, je revois mon dragon fuyant le brasier de la gironde, il poussait son vélo sous l'œil attentif du caméraman qui réalisait son reportage. Moi, pendant ce temps-là, je découvrais en vrai titi parisien, ayant connu seulement le confort de la ville, les joies de la vie à la ferme, J’avais fini ma course dans un tas de fumier en croisant la route d’un tracteur puis j’avais tenté de traire un taureau sous le regard amusé des petits fils de l’agriculteur.
Ernest, assis sur un tronc, échoué sur le sable lors de la dernière tempête, me raconte ses souvenirs d’enfants. Le vieux loup de mer relate sa première virée en bateau avec son arrière-grand-père. Il m’avoue avoir été malade à peine à bord. Son petit déjeuner n’avait pas attendu la sortie du port, la brioche de sa grand-mère était passée par-dessus bord et nourrissait les poissons. Le vieux monsieur éclate de rire, poursuit et m’assure que depuis il a le pied marin.
Ses anecdotes font échos aux miennes. Je me revois aux côtés de Joséphine, je venais de fêter mes dix ans. Pour l’occasion, elle avait choisi l’île de Beauté pour me faire oublier l’absence de mes parents. Nous avions opté pour une ancienne ferme, dans la garrigue, sur les hauteurs de Bastia. Elle avait omis de préciser que nous ne prendrions pas l’avion. Arrivé sur la rade de Marseille, je ne faisais plus le malin. À bord du ferry, je n’attendais qu’une chose, mettre mes orteils sur la terre ferme. Comme souvent dans ces cas-là, Joséphine usa de son sourire bienveillant. Et après m’être délesté de mon quatre heure dans les toilettes, j’eus le privilège de me tenir à la droite du capitaine pour la fin de la traversée.
Tout en étalant les vestiges de nos passés plus ou moins lointains, nous donnons un dernier bain aux palourdes pour éliminer les traces de sable. Joséphine m’avait montré cette technique de nettoyage lors de notre passage à la Rochelle pour mes dix-huit ans. Nous allions sur le port, à la criée pour acheter les coquillages qu’elle adorait. Je comprends mieux pourquoi, maintenant que j’ai appris son histoire privilégiée avec cette ville et qui plus est son amour de jeunesse. Je suis fier de pouvoir montrer mon expertise. Bon ok, j’avoue, le seul que j’impressionne à cette heure n’est autre que mon dragon. Forcément, nos hôtes maîtrisent le sujet.
Le chef cuistot, Ernest, confie à ses commis, une mission. Il sort de sa boîte à mystère, les ingrédients. Dans ses mains, un objet bien plus précieux que tous les autres, un carnet aux pages jaunies. Il me le prête pour que je puisse découvrir chacune des étapes. Je feuillette avec précaution le livret afin de ne pas l'abîmer. Sur la page de couverture, des fleurs séchées. J’interroge du regard Ernest.
- Des Lagures ovales et une immortelle des dunes, me répond-il, la dernière a une odeur particulière, épicée proche du curry.
J’épie Samy. Sa main plonge dans son sac à dos, ses doigts saisissent son carnet. Pas besoin de zieuter par-dessus son épaule pour savoir qu’il laisse libre cours à son imagination. Il croque à coup sûr la prochaine planche de sa bande-dessinée et plus tard je viendrais y parsemer mes mots. Je décide de m’occuper d’éplucher les échalotes et l’ail à sa place pour offrir à mon cœur cet espace de liberté. J’avais oublié comme il est fort désagréable de peler cette plante bulbeuse qui nous tire les larmes à la moindre occasion. Les subterfuges quels qu'ils soient ne sont que des leurres pour les cuisiniers en herbe. Je les cisèle et transmets le tout à Ernest qui les fait revenir dans vingt grammes de beurre salé dans le wok. Je lis les consignes à voix haute :
- Nous devons attendre que chaque morceaux deviennent tendres et translucides avant de verser quinze centilitres de vin blanc et laissez mijoter trois minutes.
Samy, toujours plongé dans son croquis, relève la tête en attendant le crépitement de l’alcool au contact de la matière grasse. J’adore son sourire empli de gourmandise. D’un œil distrait, il découvre les palourdes que nous jetons dans la poêle. Sa langue passe sur ses lèvres, mes poils se dressent.
Hector retire les coquilles fermées, impropre à la consommation et agite la poêle sur laquelle il a posé un couvercle. Je poursuis la lecture de la recette, quelques taches parsemées sur la feuille cachent des passages de l’étape suivante. Ernest vient à ma rescousse.
- Il nous faut sortir les palourdes avec l’écumoire et les réserver dans le plat posé à côté du foyer. Attention ! me prévient-il juste avant que mes doigts soient brûlés au troisième degré.
Hector me jette le torchon accroché à sa ceinture, j’ouvre le récipient et dépose les coquillages. Pendant ce temps, il reprend le jus de cuisson dans lequel il ajoute le beurre coupé en morceaux et le persil. Ernest nous tend des bols, un délicieux parfum fait se redresser Samy, il est grand temps de goûter notre pêche.
- À table, nous lance Ernest.
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