Encore de jolis moments partagés, mais l’heure du départ a sonné. Nous pourrions rester, Hector nous l’a proposé, insistant sur le fait que rien ne pressait. Ernest s’en est mêlé, nous vantant les bienfaits de son secteur. Avec Victor, nous étions charmés d’autant d’attention. Après cogitation et délibération, nous avons décliné leur invitation. Par contre, nous ne pouvions nous éclipser sans leur promettre de leur donner de nos nouvelles. Ils ont été notre premier point de chute dans notre échappée. Sans le vouloir, chacun d’eux est devenu un des personnages privilégiés de ma future bande dessinée. Avant notre départ, je leur ai donné une copie de ma planche de croquis sur laquelle se trouvait le dragon endormi, le papillon virevoltant dans son sillage et les pieds dans le sable deux nouveaux personnages. Ernest a pris l’apparence d’une tortue ancestrale avec les vertus d’un grand sage. Hector sous les traits d’un goëland, plane au gré des vents, libre à présent.

Ernest, au moment de nos aurevoirs, nous a conseillé le circuit entre Talmont-sur-Hilaire et Jard-sur-Mer. D’après le grand-père, la balade devrait nous plaire. Nous avons validé avec enthousiasme cette destination à quelques pâtés de maison. Nos vélos nous attendent accrochés à l’arrière sur leur porte-bagage. Hors de question de laisser les chaînes se gripper et nos muscles rouiller. De ma place de conducteur, j’observe Victor tapoter sur son écran de portable. Son visage se crispe puis se détend. Je le connais, il cherche des informations pour ne pas être pris au dépourvu.

• Et si nous partions dans l’inconnu, suggéré-je.
• Pourquoi ne suis-je pas surpris ? Tu ne veux pas connaître les essentiels du parcours ? me sourit-il, la météo, les kilomètres, les difficultés et les détours ?
• Soleil, une trentaine, faux plat descendant et le tour est joué.
• Tu me charries, tu avais pris les informations en amont ?
• Disons que Ernest m’a un peu aiguillé, en guide précieux.
• Alors je ne te dirai pas que nous allons remonter le temps ? me taquine-t-il.
• Comment ? l'interrogé-je, surpris par sa révélation, éveillant mon appétence pour l’histoire.
• Je serai muet comme une carpe, finit-il par lâcher en me tirant la langue, gare toi sur la place de l’église, nous sommes arrivés.

Ulysse ne tient pas en place et Victor suit ses traces. Ils courent dans tous les sens et finissent par se retrouver nez à nez, l’un cherchant la balle qui s’est faite la malle quand j’ai ouvert le coffre. L’autre, qui sait toujours où me trouver, dès que je m’égare dans mes pensées, s’est pris les pieds dans le câble d’électricité. Dois-je m'inquiéter ou juste prendre un peu de distance pour m’amuser du spectacle qu’ils me proposent avec élégance ? Le maître les quatre fer en l’air éclate de rire pour mon plus grand plaisir. Le compagnon à quatre pattes administre une pluie de léchouilles pour quémander des papouilles.

Je m’éclipse un instant pour étudier le plan mis à disposition des voyageurs. Notre chemin sera balisé de bordeaux. Facile à retenir. Nous connaissant, nul doute, nous nous écarterons de notre route pour découvrir avec curiosité les beautés qui pourraient la jalonner. Je prends une photo de l’itinéraire, au cas où, je ne sais par quel mystère nous viendrions à nous éloigner un peu trop du sentier. Avant de se lancer, je fais un crochet par la boulangerie pour remplir nos sacs à dos. Nous serons bien heureux de les avoir à portée de main quand l’effort fera gargouiller nos estomacs affamés. Je m’arrête à la fontaine pour remplir nos gourdes sans oublier celle d'Ulysse. Plus de temps à perdre, une belle aventure nous attend.