Chapitre 21 : le Eubronte Veillonensis
Le vent se lève avec force et rage, le ciel s’assombrit féroce au large. Une étrange sensation m’envahit, l’orage avance à grand pas, devancé par une silhouette campée sur ses pattes arrières. La vague grossit sous mes yeux ébahis, la montagne au loin rugit. La déferlante se rapproche, rugissante. Sa bouche béante avalera chaque parcelle de terre s'érigeant en dernier rempart. Plus le temps de réfléchir, nous devons fuir ce monstre. Mon dragon doit ouvrir ses ailes pour protéger son papillon de ce raz-de-marée. Le sol tremble, le géant aux dents acérées se rapproche, la lueur dans ses prunelles m’électrise, me tétanise. Mes membres ne répondent plus à aucun de mes ordres. Où sont Samy et Ulysse ? Tous les deux ont disparu de mon champ de vision depuis bien trop longtemps. Je ne les entends plus. Je voudrais crier mais les mots butent sur le bord de mes lèvres. Mes mains tâtonnent le sol, mes doigts s’enfoncent dans une cavité en trois parcelles.
La pluie ruisselle sur mes joues, la scélérate est brûlante. Des larmes en fusions se déversent du ciel. La plage douce et bienveillante se métamorphose en un champ de mines. Le sable fin cède sa place à un tapis incandescent, des étincelles crépitent dans tous les sens. Le lagon aux eaux turquoise s’évanouit dans un souffle. Une explosion ébranle les derniers frontières, le serpent de feu se fraie un chemin entre les dunes. Ses ondulations projettent des écailles au quatre coins. Elles fusent et diffusent une odeur pestilentielle. Dois-je fuir ? Suivre le flot des réfugiés ? Courir, ramper, me terrer ou patienter et laisser filer le tsunami.
- Victor, réveille-toi, me dit une voix dans le lointain.
Trop tard, le velociraptor va ne faire qu'une bouchée de moi, me gober. Je peux déjà sentir sa bave se répandre sur mes joues. Le liquide chaud et visqueux sera mon dernier souvenir. À choisir entre finir dans son gosier ou brûler vif dans le brasier du volcan déchaîné, quel est le pire ou le moins douloureux ?
Ses pattes me maintiennent au sol, la grosse bête prend un malin plaisir à le faire mijoter, sa langue rugueuse me lèche le visage avant de me croquer. S’il tarde trop, le dinosaure finira griller avant de me digérer. Je gesticule pour me défaire de son étreinte. Je me débats pour ne pas être un vulgaire encas. Pas moyen de m’extraire de ses griffes, une vraie galère de se retrouver seul sur une île si peu hospitalière.
- Victor, tout va bien, je suis là, insiste la voix.
D’un coup, le poids du monstre disparaît, libérant ma cage thoracique qui s'emplit d’air frais. Le vent tempétueux se métamorphose en une bise légère. Les embruns chassent l'odeur de brûlé. Mes paupières se soulèvent pour se noyer dans la prairie de tes yeux.
- Il y avait longtemps que tu n’avais pas fait de cauchemar, s'inquiète Samy.
- Celui-ci était différent, réponds-je encore grogui.
- En quoi pourrait-il l'être puisque tes cris m'ont fait souci ?
- Parce que tu es à mes côtés tout simplement et les dinosaures ont quant à eux disparu depuis bien longtemps.
- Pardon Victor, tout ça est de ma faute.
- Ne dis pas de bêtises et puis j’ai là un support pour une nouvelle histoire.
- Celle d’un fou amoureux endormi sur le sable qui a découvert que les traces dans lesquelles il s'était empêtré remontaient à deux cent millions d'années en arrière quand le Eubronte Veillonensis, un dinosaure bipède d’environ trois mètres de haut fréquentait la même lagune, me taquine-t-il en ébouriffant mes cheveux.
Ulysse nous accompagne dans notre exploration des cavités qui ont intrigué plus d'un curieux. Les empreintes pour certaines large de quarante centimètres sont particulièrement bien conservées dans la roche et restent la mémoire d’un monde animal disparu.
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