Chap 22 : Le prince de Talmont
Mon carnet posé sur mes jambes, j’esquisse les voiles d’un navire marchand déchirant les brumes vaporeuses d’une aube naissante. Lentement, l’échassier essaye de remonter l’estuaire du Payré livré aux quatre vents. J’imagine l'effervescence accompagnant l'arrivée des bateaux, les cales garnies, prêtes à se déverser sur les quais. Pour faciliter l'accès au port, les marchandises transitent sur des gabarres à fond plat.
À son bord, un invité de marque, son histoire l’a devancé. Mes doigts s'agitent sur la toile à la perspective de donner vie à Richard cœur de lion. Les courbes du corps de Victor me serviront de modèle pour l'occasion. Je frémis à chaque trait que je dépose sur le papier. Jusqu'à présent mon cher et tendre prenait l’apparence d’un papillon. Avec douceur, je déployais ses ailes sur la page blanche. Dessiner en chair et en os, l'homme de mes nuits, m’offre l’occasion de sublimer chacune de ses formes.
Face à mon regard rêveur, j’aperçois Victor, de l’eau jusqu'aux genoux. Il rejoint Ulysse et les deux pataugent dans l’océan. Notre berger australien nage, récupère un morceau de bois et le pose sur le sable en prenant soin d'éclabousser son maître. Leurs jeux m'inspirent une nouvelle scène que je reproduis pour garder en mémoire ces instantanés de bonheur.
Puis, je reprends là où je m'étais arrêté pour admirer mon prince de Talmont, vêtu de sa tenue d'apparat se présenter aux portes du château, accueilli par une horde de seigneurs. Le roi d’Angleterre prend ses aises sur les terres françaises. Après avoir franchi le clocher-porche, un imposant donjon, le maître des lieux se rend au centre de la forteresse où se dresse une tour en pierre qui épouse avec délicatesse le rocher. À l'époque, coincé entre deux rivières, le bâtiment était isolé deux fois par jour lors des marées hautes.
Aujourd'hui, les murs millénaires retrouvent de leur splendeur après des années de pillage. Quand nous nous présentons pour le visiter, un homme d’une trentaine d'années nous invite à entrer pour compléter une équipe d’aventuriers. Notre mission: retrouver une relique laissée dans le souterrain par la mère de Richard, Aliénor d’Aquitaine. Avant de débuter l’expédition, nous pénétrons dans une boutique d’antiquités, lugubre. Nous nous asseyons autour de la table. Sur la grande planche en chêne, nous apercevons un grimoire, des fioles, une plume dans un encrier et une couronne. Une marmite boue dans la cheminée au fond de la pièce. L’ambiance contraste avec la quiétude de l’extérieur.
Curieux, avec Victor nous observons chaque détail qui décore la pièce à la recherche d’un potentiel indice. Je ne peux contenir un sourire en découvrant le portrait de Richard sur le mur au-dessus du grand miroir et ne peux résister à l’envie de le comparer à mon prince de Talmont, alias Victor mon bien aimé. Je ferme les yeux pour me projeter dans cette époque médiévale. Comment aurions-nous pu vivre notre amour ? Sûrement caché parce que contre nature.
Patient, chaque participant attend les règles du jeu. Ulysse, allongé à mes pieds, semble inquiet. Aussitôt, je pose ma main sur sa tête pour le rassurer. À nos côtés, deux adolescentes, accompagnées de leur père, soupirent. L’expérience médiévale n’a pas l’air de les combler. Et le pire de tout, aucun réseau, adieu les connexions avec le monde entier. Le père, un sourire en coin, se réjouit de la situation. Son aînée lui adresse un regard furibond avant de ranger son portable dans son sac à dos. Pour faire baisser la tension, j’engage la conversation quand la porte par laquelle nous sommes arrivés, claque et les bougies s’éteignent.
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