Chap 43 : Trop haut !
Le bateau file sur l'eau, chacun vaque à ses occupations. Jules, du haut de ses dix ans, ne déroge pas à la règle. Il prend un malin plaisir à faire tourner en bourrique le matelot qui le surveille. Le gamin se lance dans l’escalade d’un des mâts pour converser avec un des hommes chargés de réparer les voiles.
- Victor, si ça te dit, monte.
Je tente de le rejoindre mais une main sur mon épaule me retient.
- Avant de jouer les casse-cou, la capitaine souhaiterait s’entretenir avec toi, m’annonce Juste.
- Ce serait avec plaisir mais j'ai promis à Jules de l’accompagner.
- Je comprends, je vais prévenir sa mère que tu auras un peu de retard si d’ici là tu ne t'es pas brisé les os.
Je l’observe entrer dans la cabine d’Anne avec une encyclopédie sous le bras. À mon tour, je monte avec peine l'échelle de corde. Le vaisseau tangue et je me retiens pour ne pas verser. Je ne m’attendais pas à ce que cela soit aussi périlleux et suis admiratif de voir les marins se déplacer sans le moindre ancrage. Je me souviens avoir croisé le chemin d’un cordiste qui pour son travail n'hésitait pas à escalader des coins improbables mais toujours avec le matériel adéquat pour ne prendre aucun risque. Il aimait son boulot mais pas pour autant sacrifier sa vie. Ce matin, je ne sais pas si cette pensée effleure un seul instant l’esprit des marins.
À peine arrivé au sommet, Jules me propose de prendre place à ses côtés.
- C'est vachement haut, laché-je en regardant le ponton.
- D’ici je pourrais peut-être apercevoir mon frère, souffle-t-il la main en visière au-dessus de ses yeux.
- Il te faudrait une longue vue, suggèré-je.
- Mais oui je suis bêta, j’aurai dû emprunter celle de ma mère.
- Enfin à part une étendue bleu, je ne sais pas si tu aurais pu voir autre chose pour l’instant.
- Là regarde, s'écrie-t-il sans quitter la surface de l’eau.
À ma grande satisfaction, un dauphin surgit puis un second dans le sillage du bateau. Une gerbe d’eau les précède. Le spectacle est somptueux, je ne m’attendais absolument pas à découvrir un tel ballet aquatique. Ils jouent à saute vague.
- Tu sais que Samy aime graver sur des morceaux de bois les animaux qu’il rencontre. Parfois il me raconte des histoires en leur donnant des noms farfelus.
- Comme je ne suis pas étonné, réponds-je enthousiaste, cela lui ressemble tellement.
- Tu l’as rencontré comment mon grand frère ? me demande-t-il les yeux brillants.
- Par le plus grand des hasards, je partais en voyage.
- Oh toi aussi tu aimes l’aventure.
- Disons que la vie prend des chemins que l’on ne s'attend pas à emprunter.
- Oula pas sûr de comprendre ce que tu veux dire.
- Par exemple, je me suis rendu dans une librairie ce matin que je ne connaissais pas pour voir si je pouvais trouver un bouquin.
- Logique quand on rentre dans un tel estaminet. Tu sors rarement avec un poulet.
- Oui, éclaté-je de rire. Revenons à nos moutons, donc je rentre dans cette boutique somme toute ordinaire et par je ne sais quel mystère je me retrouve sur un bateau.
- Après c'est sûr que si tu as mis les pieds chez Juste, parfois il se passe des trucs bizarres. Donc c'est ça emprunter des chemins auxquels on ne s'attend pas.
- Tu as tout compris, tu es sacrément malin pour ton âge.
- Samy me le dit aussi. Alors tu es tombé sur lui dans la boutique de Juste ? Avant qu’il soit enlevé ?
- On y est entré ensemble et après je ne sais pas trop ce qui c'est réellement passé.
- Alors il était avec toi tout ce temps là. Maman m'avait dit qu’il était parti en exploration pour découvrir la France. Ça fait deux ans que je ne l’ai pas vu.
Je ne sais pas ce que je dois répondre, tout est si confus de mon côté. Les histoires semblent avoir tant de points communs.
- Victor, j’ai peur, je suis sûr que maman me cache des choses.
- Rassure-toi la dernière fois que je l’ai vu, Samy allait très bien, dis-je pour me rassurer tout autant.
- Tu crois aux fantômes ?
- Bonne question et toi ?
- Juste parle souvent de ses êtres qui rôdent dans la nuit pour nous rappeler que nous devons être prudent.
- Donc ils sont gentils ?
- Pas toujours parce qu’il y en a qui tente de voler notre âme surtout si on est méchant. Tu sais que je vois souvent ma seconde maman se promener sur le pont les nuits sans lune. Elle me sourit.
De nouveau, ses prunelles brillent, prêtent à déverser un torrent de larmes. Il vient se coller contre mon épaule.
- Je ne veux surtout pas voir Samy déambuler à ses côtés.
À mon tour de me sentir fébrile, mais tout au fond de moi je sais que mon dragon est en sécurité, enfin j'essaie de m’en convaincre.
- Nous allons le retrouver.
- Promets moi, me supplie-t-il.
- Je mettrai tout en œuvre.
- Tu l’aimes ? me demande-t-il avec une petite voix.
- Bien plus que ma vie, il est mon tout, mon essentiel.
- Maman avait raison, c'est toi le papillon tatoué sur son épaule.
Il y a bien trop de coïncidences pour qu'il en soit autrement.
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