Les amants d'antan
Du haut de la tourelle, une gentille tourterelle
Chantait une ritournelle pour la triste donzelle
Qui passait ses journées à scruter
L'horizon - avec obstination - en toute saison.
Sèche tes larmes, ma mie
Ton bien-aimé te reviendra
Sèche tes larmes, ma mie
Dans ses bras, il t'enlacera
La damoiselle au cœur en peine tremblait pour son chevalier
- Parti terrasser le dragon, sans aplomb ni compagnon -
Et priait, dès le lever du jour, pour son prochain retour
Avec une telle austérité que les fleurs, à ses côtés, se fanaient.
Réjouis-toi, ma mie
Ton adoré, tu retrouveras
Réjouis-toi, ma mie
Sur son épaule, tu t'endormiras
Peu à peu, une femme aigre à la voix de crécelle prit la place de la délicate jouvencelle.
Depuis longtemps, la tourterelle avait cessé sa ritournelle et déserté la sinistre tourelle.
Parents, dames de compagnie, gardes se cachaient dès que l'insupportable geignarde se montrait.
Avec son teint blafard, son mauvais regard, ses cheveux en pétard, elle faisait peur, même dans le noir.
Ma mie, ma bien-aimée
Je reviens aujourd'hui
Ma mie, ma bien-aimée
Je serai là cette nuit
Guilleret, le chevalier cheminait vers son royaume, sans avoir occis ni dragon ni licorne.
N'ayant point l'âme d'un guerrier, il s'était contenté de trouver un nid douillet
Avant de s'en retourner, un demi-siècle après, comme si de rien n'était.
Pour s'occuper, il avait moult fois dessiné sa dulcinée en embellissant, au fil des ans, chacun de ses traits.
Ma mie, mon adorée
Prépare-toi, me voilà
Ma mie, mon adorée
Ce soir, je dors dans tes bras
Décrépi et dégarni, tout en pestant contre sa mule qui n'avançait pas, le héros supposé bramait
À pleins poumons sa joie. Seuls ceux qui étaient enterrés ne pouvaient l'entendre arriver.
À son poste de guet, la mégère qui observait un point en mouvement se pencha plus en avant
Pour mieux voir le criard chevrotant qui avançait si lentement.
Quel est donc ce paltoquet
Qui se déplace en beuglant ?
Quel est donc ce paltoquet
Qui approche bruyamment ?
Malgré la distance, le troubadour sourd, qui possédait une acuité visuelle exceptionnelle,
Aperçut une femme âgée fort déplaisante lui rappelant vaguement une connaissance.
En pleine réflexion, il ne vit pas l'élue de son cœur s'envoler avec stupeur avant d'entamer le plongeon de l'horreur,
Et ne put éviter de se faire écraser par l'amour de sa vie qui avait certes perdu la vue, mais pas l'ouïe.
Ainsi périrent les amants d'antan
L'une sur l'autre, brutalement
Ainsi périrent les amants d'antan
D'un amour pur et fracassant
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