Un lion altruiste
Au cours des jeux du cirque,
Julius, féroce lion atypique,
Rugit avec application
Les plus douces conjugaisons
Amo, amas, amat
En dépeçant les condamnés,
Qui prient pour lui échapper,
Afin d’égayer leurs pensées
Au moment de trépasser.
Amamus, amatis, amant
Blessé par tant d’ingratitude
Et si peu de béatitude,
Le fauve au grand cœur
Remise sa bonne humeur.
Deprimō, deprimis, deprimit
Récite-t-il le cœur en peine
En parcourant tristement l’arène
Devant Romains et Romaines
Avides de scènes de géhenne.
Deprimimus, deprimitis, deprimunt
Tiber, l’ours sanguinaire,
Taciturne et solitaire
Voyant le pauvre félin
En perdre son latin,
Lui grogne un beau matin :
« Julius, ça suffit !
Arrête ces comédies !
Toi, naguère, si sublime,
Te voilà qui déclines.
Allons ! Reprends-toi
Et surtout garde la foi
En croquant les chrétiens
Servis tels des petits pains.
Il est vrai que certains
Ont perdu de leur fraîcheur,
Tandis que d’autres, transis de peur,
Nous gâchent le plaisir de la dégustation
Avec leur malodorante transpiration.
Ne t’arrête pas à ces détails,
Retourne fièrement dans la bataille.
Allez, mon ami !
Aux prochains jeux, promis,
Je te mets de côté
Les plus grassouillets.
Touché par tant de bienveillance,
Le lion retrouve sitôt sa prestance.
Quand sonne l’heure du spectacle
Plus question d’entrer de mauvaise grâce,
Beatus sum, beatus es, beatus est
Il pénètre, colossal et terrifiant,
Dans l’espace circulaire sanglant
Puis déchiquette avec cruauté
Les prisonniers implorant sa pitié.
Beati sumus, beati estis, beati sunt
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