29.6
Deuxième épisode du jour !
Bon week-end tout le monde :D
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– M-m-m-mais si on attend encore six ans… bégaya Muto de sa voix grave qui contrastait avec sa timidité. Eh bien, s-s-si on attend encore six ans… Erko… il restera dans la Maison… encore six ans…
– Tonton, on est prêts, renchérit Seko. On peut aller chercher Erko. On peut se battre.
Je contemplai ces trois garçons. Droits, forts, capables de vaincre n’importe quel gars en combat singulier. Orphelins. Privés d’un frère. Nous les avions élevés dans l’idée que la Maison nous avaient réduits en esclavage et qu’un jour ou l’autre, ils devraient briser les chaînes des Ours.
Chaque jour, je me demandais si nous n’avions pas fait une énorme erreur en leur apprenant la haine. En les utilisant pour la révolte.
– Les explosifs ne sont pas tout à fait au point, dis-je à contrecœur. On n’a pas assez de monde… Ce serait du suicide.
– Du suicide ? s’exclama Sperar. Merde alors, sacré suicide. Mille gars armés jusqu’aux crocs ! Qu’est-ce qu’on s’en fout si vos explosifs pètent sur quat’ mètres au lieu de six ? Ils marchent, c’tout c’qui compte. Et mes gamins, y sont forts comme des Ours. Regarde, ‘sont déjà formés comme des grands.
Les trois gosses carrèrent les épaules à ces mots, sans même s’en rendre compte.
– Six cent cinquante-deux gars, Sperar, objectai-je calmement. Pas mille. C’est une différence de taille.
– Ouais, bon, mille, cent, c’pareil, c’est beaucoup ! Assez pour foutre l’feu à la baraque. Et puis, y aura les tourbiers et les bûcherons avec !
Je tentai de réfléchir posément. Oui, nous étions presque prêts. Oui, notre plan était travaillé, peaufiné, prévu dans les moindres détails.
En vérité, j’avais peur.
J’avais vécu quarante ans dans l’ombre de la Maison, j’avais rêvé de sa chute pendant des décennies, et à présent que mon projet n’en était plus un, que tout devenait net, précis, prêt à être exécuté, une terreur presque superstitieuse me coupait le souffle. Abattre un tel titan ne se faisait pas à la légère. Cela tenait du blasphème.
Et par-dessus tout, des visages flous flottaient devant mes yeux. Picta. Ses sœurs. Tiukka. Ecta et son caractère irascible. Erlea, la motte de tissu qui cachait un cœur grand comme le monde. Asterior et Felenk, mes frères de cœur.
« Pardonnez-moi », pensai-je. « Pardonnez-moi, vous tous. Je ne peux pas laisser régner la Maison. »
– Alors ? s’impatienta Sperar.
– On peut - on peut - on peut… eh bien, on peut f… Faire une assemblée c’soir, suggéra Muto.
– C’est vrai, tonton ! insista Raffe. On fait une assemblée et si t’arrives à ramener les autres, on s’ra vraiment nombreux !
Je connaissais des tourbiers et des forestiers qui étaient de notre côté. De là à les faire venir à la mine… Si une telle assemblée rebelle fuitait vers la Maison et ses intendants, les fouets auraient de la chair tendre à battre le soir même.
La chair de plus de six cents cinquante Ours, pour être exact.
Mais nous ne pouvions pas nous passer du soutien des autres. Plus nous serions nombreux, plus la Maison et ses mille intendants auraient du mal à nous stopper.
– Frérot, claironna Sperar. Allez, j’veux te l’entendre dire. On va faire tout péter. Dis-le !
Mes neveux me fixaient, brûlant de l’envie de se battre, d’aller chercher leur frère. Un instant, je me vis à leur place, trente ans auparavant. Je caressai le pendentif suspendu à mon cou.
– Assemblée générale ce soir. Prévenez Paz, Roc et les autres. (Je hochai la tête vers mon frère.) On va tout faire péter.
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