47.4

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Bonsoiiir ! Désolée, ce chapitre est long mais je trouvais ça nul de couper trois paragraphes avant la fin de la scène xD

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– Il fera ce qu’il pourra pour nous aider, conclut Auroq. Pour faire descendre les tiennes et les mettre en sécurité. Mais c’est une tâche difficile…

Et il risque d’échouer. Il ne l’avait pas dit à voix haute, mais ces mots flottèrent entre nous. D’un coup, je me sentis lasse et épuisée. Dans ce monde où régnaient les Ours, je n’avais aucune chance de les sauver moi-même. Je ne pouvais rien faire. Ni remonter seule pour aller les chercher, ni les défendre. Ni envoyer Auroq les chercher et contraindre Sachi, Téa, Mina, Hazi et toutes celles qui m’avaient accompagnée à rester sur place pendant deux jours, à subir les rebelles et leurs odieux comportements. Ni les faire remonter elles aussi… puisque personne ne nous laisserait faire.

Il n’y avait aucune issue. Aucune autre issue que la pauvre proposition d’Auroq. Je fermai les paupières. Si seulement nous étions toutes descendues à la fois… Si seulement nous avions su…

Il m’effleura la joue.

– Picta, tu n’es pas toujours obligée de penser aux autres. De veiller sur les autres… Tu n’es plus une jeune fille idéaliste… Tu as déjà bien assez souffert.

Je baissai la tête. Sans prévenir, deux larmes énormes roulèrent sur mes joues.

– Je ne sais pas.

Il les essuya avec tendresse, puis embrassa mes paupières.

– Chacun de nous a beaucoup donné aux siens… en bien et en mal. Je pense qu’à nos âges, il faut savoir s’arrêter… Il faut être capable de s’avouer vaincu.

– Est-ce vraiment toi qui dis une chose pareille ?

Il hésita un peu.

– Mon frère me dit que je m’assagis bizarrement avec le temps.

– Ce même frère qui n’est plus jamais revenu dans la Maison ? demandai-je doucement.

– Oui. Celui-là. Il est… Il vit toujours à la mine… Mais il viendra avec nous. Il s’en ira avec nous…

Je sentis une résistance dans la voix d’Auroq, une sorte de douleur, et je n’appuyai pas davantage sur cette petite fêlure. Je pris appui sur ses épaules, maladroitement, pour réussir à me remettre debout. Engourdie par le contact dur du plancher, ma mauvaise jambe me lançait.

– Fais ce que tu peux pour nous sauver toutes, dis-je à contrecoeur. Toi, Erko, Asteior, Dagnor… et Maya aussi… vous êtes notre seul espoir, à présent.

C’était une réponse positive et Auroq le comprit très bien. Il me tendit ma canne en silence. Mais sitôt que j’eus posé la main dessus, il se leva à son tour et me serra fort contre lui.

– Je suis heureux, dit-il dans un souffle chaud à mon oreille. Rien ne dit que nous parviendrons à sortir… Mais je suis si heureux que tu acceptes d’essayer.

Il sentait la poussière et une odeur mâle qui m’avait étrangement manquée. Je levai le menton sans m’abandonner à son étreinte.

– Tu ne m’as pas répondue tout à l’heure. M’aurais-tu forcée si j’avais refusé de partir ?

– Certainement, avoua-t-il d’une voix lasse. Et tu m’aurais détesté pour ça… Mais quel autre choix as-tu, de toute façon ? Tu penses pouvoir remonter au soixante-cinquième, toute seule ?

Malgré la douceur de sa voix, cette question me heurta. Elle me rappela mon impuissance, mon handicap, mon nouveau statut de race dominée par une autre, tout cela à la fois.

– Peut-être bien, rétorquai-je sèchement.

Il baissa la tête pour cacher un sourire.

– Seule contre tous les Ours… Je t’y vois très bien. Une infirme armée d’une canne, voilà qui les aurait fait trembler !

Cette réplique aurait dû me mettre en colère, mais sa tendresse me fragilisa.

– Tes congénères ont des testicules, à ce qu’il me semble. Et une canne peut constituer une arme tout à fait utile contre ce genre d’organes.

Un rire un peu enroué lui échappa.

– Quelle terreur !

Il me fit pivoter par jeu, sans doute pour me montrer à quel point j’étais faible, et je me retrouvai plaquée dos au mur. Son allégresse retomba aussitôt. Nous nous fixâmes un long moment, en silence. Ses hanches pesaient contre les miennes. Quand je m’en rendis compte, une honteuse vague de chaleur monta dans mon ventre. Le désir d’Auroq pulsait entre mes cuisses, violent et impossible à ignorer, mais son regard n’avait rien de lubrique. Il m’observai, attentif. Je posai les mains sur son torse, sachant que je n’avais pas le choix : je devais le repousser.

– Retournons dire adieu à Maya, dit-il d’une voix étrange. Grenat et les autres nous attendent toujours… Elles doivent être inquiètes pour toi.

Mais quand il voulut faire un pas en arrière, je le retins d’un geste involontaire. Il me dévisagea, perdu. Aussi perdu que moi.

– Auroq, ma vie s’est arrêtée ce jour-là, chuchotai-je. Je ne suis pas comme Maya. Je n’arrive pas à…

À oublier, à tout pardonner. Je ne pouvais pas mettre de mots sur l’abîme qui s’était creusé en moi lors du massacre. Puis sur la trahison que j’avais ressentie lorsqu’il nous avait promenées parmi les rebelles, lorsqu’il m’avait menti encore… Je ne devais pas lui rendre cet amour que je voyais luire dans ses yeux. Ma morale me l’interdisait, et pourtant… pourtant mon corps traître ne le comprenait pas. Comme je restais immobile, Auroq finit par prendre mon visage entre ses mains.

– Picta, je ne te demande rien. Ni ton cœur, ni ton corps, je te l’ai déjà dit. C’est à toi de décider. Uniquement à toi.

Son odeur, sa voix rugueuse et ses paumes un peu rudes provoquaient une vague de sensations contradictoires en moi. Quinze ans que personne ne m’avait touchée ainsi. Que je n’avais laissé personne me toucher ainsi. Après des années de froid et de solitude austère, sentir mon corps si brûlant, si vivant m’émerveillait et m’apeurait à la fois. Auroq réveillait quelque chose en moi… Lui qui avait détruit ma vie et celle de mes semblables, il me rappelait que je n’étais pas morte.

– Il faut que tu comprennes, dis-je d’un ton qui me parut très froid une fois sorti de ma bouche. Je n’ai plus saigné depuis ce jour-là. Je suis restée figée à l’intérieur…

– Saigné ?

Il ne comprenait pas. J’allais devoir me forcer à clarifier mes propos, à exposer au grand jour ce que j’avais toujours considéré comme une honte, comme une faiblesse… comme une maladie.

– Mon sang menstruel. (La compréhension fit jour dans ses yeux, puis l’inquiétude.) C’est le cas de Grenat également. Et de nombreuses autres… Après la grande catastrophe… Nous nous sommes mises à craindre les Ours, à vouloir les oublier… Et je crois que nos corps ont fait de même.

– Je comprends.

Il eut un rictus qui, à cause de son visage, lui donna réellement l’air d’un monstre.

– Encore un beau succès à ajouter à mon tableau de chasse, n’est-ce pas ? Je commence à les collectionner.

Je ne répliquai pas. Je posai simplement des mots sur ce qui couvait dans mon ventre, entre mes cuisses, dans mon cœur.

– Mais tu dénoues quelque chose en moi… Quelque chose qui était grippé depuis très longtemps.

Il me fixa. L’intensité de son regard me bouleversa. L’une de mes mains se leva d’elle-même, impulsivement, et caressa son visage grave avant de descendre sur son torse. Son cœur battait très fort sous ma paume, de manière folle et erratique, comme un animal sauvage enfermé. Comme s’il attendait que je le libère de sa cage. Mon autre main dénoua la ceinture de mon kimono. Qu’étais-je en train de faire ? Les pans s’écartèrent, dévoilant des fragments de mes cuisses, de mon ventre maigre, de mes seins – mes seins qui pendaient, d’après les dires de Maya. Le regard d’Auroq descendit sur eux et ne les quitta plus.

J’aurais dû le repousser. J’avais honte de ce désir, honte de l’amour si fort que j’éprouvais encore pour lui. Tant de gens étaient morts autour de nous… Je me sentais étrangement coupable et sale à l’idée que ma vie se poursuivait malgré tout, que je continuais de ressentir toutes ces choses, que j’avais peut-être une chance de vivre aux côtés d’Auroq, de rire avec lui, m’accoupler encore avec lui, alors que Pali, Felenk et tous les autres en étaient privés à jamais. S’ils nous avaient vus, nous en auraient-ils voulus ? Avions-nous vraiment le droit d’essayer de quitter la Maison, de laisser tout cela derrière nous ? De vouloir atteindre le bonheur alors que tant d’autres souffraient, pleuraient, ou reposaient dans la terre froide des jardins ?

À cet instant, la culpabilité me rendait malade et pourtant je ne voulais pas qu’Auroq s’en aille. Je voulais le sentir contre moi, en moi, plus que jamais, comme si nous étions encore jeunes, comme si la grande catastrophe n’avait jamais eu lieu.

Les yeux d’Auroq remontèrent vers les miens. Ils étaient presque noirs, assombris par le désir, ce qui fit battre mon cœur plus vite. Je fis glisser mes mains sur son torse, lentement, pour suivre la ligne poivre et sel qui descendait vers son bas-ventre. La pression de son sexe s’accentua, se fit exigeante, désespérée. Je sentis son odeur changer subtilement, devenir prégnante et musquée, comme cette unique nuit où nos désirs mutuels nous avaient fait perdre la tête… Ce souvenir me fit gémir.

Comme si ce son infime avait été un signal, Auroq m'agrippa les cuisses et me souleva puissamment contre le mur. Je nouai mes jambes autour de lui, maladroite et fébrile, stupéfaite de sentir le plaisir m'inonder déjà. J'avais oublié cette sensation, celle de deux corps qui se jettent l'un vers l'autre, qui se heurtent avec une sorte de désespoir brûlant... Le monde ne nous voyait pas, ne nous entendait pas, et nous étions pareillement aveugles et sourds à tout ce qui nous entourait. Auroq m'observait. Je voyais bouillonner le feu à l'intérieur, sous ses muscles bandés, retenu par sa seule volonté. Quand je me frottai à lui, le barrage céda. Il murmura mon nom, me mordit le cou et m’engloutit sous son corps d’ébène. Une même plainte nous échappa quand il se fraya un chemin en moi. Nous commençâmes à bouger lascivement, noyés dans les ombres du couloir, comme ces couples qui m’avaient tant rebutée.

Je savais que plus tard, je me détesterais pour cela. Que je me reprocherais de ne pas être restée digne, comme devait l'être une Dame respectable et endeuillée. Mais c’était trop tard. Moi aussi, parfois, je faisais de mauvais choix.

Il nous restait quelques heures… Juste quelques heures avant de trahir tout ce qui avait autrefois compté pour nous.

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