La Rencontre
Le soleil, déjà haut, éclaire un ciel que les nuages traversent lentement. Les arbres, parés des couleurs chaudes de l’automne, laissent tomber peu à peu leurs feuilles. Le temps semble suspendu : il n’y a pas un souffle de vent et les températures sont plutôt fraîches pour la saison.
Une journée classique et sans intérêt se dit Cédric en marchant au hasard des rues de Paris. Il marche avec une sorte de détermination brute, les yeux rivés sur le sol, sans prêter attention à son environnement, comme un bulldozer traversant un terrain vague
Au terme de cette longue marche, apparaissent les rues plus étroites du quartier du Marais. Il remonte la rue des Francs Bourgeois puis la rue Payenne et quelques pas plus tard se retrouve face au portillon d’un petit parc typique de la capitale.
Le Square Cain s’impose à lui comme une invitation à se poser quelques instants avant de reprendre sa pérégrination.
Il se voit pousser machinalement le portillon, puis pénètre dans l’espace vert. La place circulaire autour de la statue 'Île-de-France' est couverte d’un tapis de feuilles mortes. Le ciel voilé laisse filtrer une lumière tamisée, douce mais presque étouffée, qui rend les couleurs du square plus ternes, presque fanées.
Une fois le portillon refermé, Cédric prend le temps d’observer cet endroit de quiétude qui tranche radicalement avec la ferveur de la ville. Les feuilles mortes craquent sous ses pas alors qu’il déambule autour de la place centrale. Il est seul, comme si la grisaille du jour décourageait toute autre âme de s’aventurer ici. Instinctivement, il se dirige vers un banc à l’écart, s'assoit puis regarde droit devant lui. Il se laisse emporter dans ses pensées, les yeux vides, comme absent au monde qui l’entoure. Au bout de quelques minutes, il reprend ses esprits et remarque la présence d’un homme plus âgé assis à côté de lui.
Tous les autres bancs étant libres, Cédric affiche une mine agacée tout en prétendant ignorer la présence de cet individu. Au bout de quelques minutes, malgré lui, il jette des regards en coin à son voisin, lequel semble absorbé par la lecture d'un livre, insensible à la présence de Cédric.
Soudain, le vieil homme tourne lentement son visage dans la direction de Cédric, un sourire espiègle aux lèvres, comme s’il avait attendu ce moment depuis longtemps :
— Je pense que ce livre devrait vous plaire.
Ces mots, prononcés à l’improviste et dans la quiétude du parc, résonnent lourdement dans la tête de Cédric et finissent par le ramener brutalement dans le moment présent.
Bien qu’il soit étonné que l’homme s'adresse à lui, sa surprise réside surtout dans cette phrase, comme s’il connaissait ses goûts littéraires. Sa stupéfaction grandit lorsqu’il découvre le titre du livre, écrit en gras sur la première page de couverture : 'L’Étranger' de Camus.
Sa première réaction serait d’envoyer promener cet inconnu un peu trop familier à son goût, puis il se reprend, tourne lentement la tête en direction de son voisin et, n’ayant pas les mots à l’esprit, finit par lui sourire maladroitement. Il en profite pour le scruter quelques secondes et remarque alors un personnage d’une grande élégance, dans la soixantaine, son regard intense et sa barbe blanche finement taillée accentuant son charisme naturel. Apparemment de grande taille, mince et élancé, il dégage une allure sobre et distinguée, vêtu d’un costume raffiné, avec un chèche en lin autour du cou.
Cédric ne peut s’empêcher de comparer l’élégance de cet étranger au chaos des feuilles mortes qui jonchent le sol.
Au bout de quelques secondes supplémentaires, il arrive finalement à lui répondre en balbutiant :
— Merci bien, mais pourquoi me conseillez-vous ce livre ?
— Cela fait quelques minutes que je suis assis à côté de vous, et bien malgré moi je vous observe. Vous me semblez tellement perdu dans vos pensées que je trouvais l’idée amusante de vous parler de mon livre. J’espère que vous ne m’en voulez pas ?
Cédric continue de le regarder avec un air absent, alors l’inconnu du banc finit par lui demander :
— Si vous souhaitez partager avec moi ce qui vous tracasse, je serais ravi d’en discuter avec vous. Vous savez, à mon âge, on est riche d’une chose en particulier : le temps, et je serais heureux de le partager avec vous.
Ce sur quoi Cédric lui répond d’un air résigné, lent et monotone :
— Vous savez, ma vie et mes pensées n’ont pas beaucoup d’intérêt ; il n’y a rien d'intéressant là-dedans…
— Permettez-moi d’en juger par moi-même, jeune homme. Et puis, je vous fais la proposition suivante : si au bout de cinq minutes je suis encore là à vous écouter, c’est que, probablement, votre vie et vos pensées auront eu le mérite d’attirer l’attention de quelqu’un !
Cédric resta là, figé, un peu comme un enfant pris sur le fait. Qu’est-ce qu’il attendait de lui ? Un défi, une invitation, un prétexte pour le faire réfléchir ? Ou bien tout cela n’est-il qu’une farce à ses dépends ?
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