Incompréhension

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En entendant ces paroles, Cédric, submergé par ses émotions, est pris de tremblements au niveau des jambes ainsi que des mains, qu’il essaye maladroitement de cacher sous la table. Il serre très fort ses deux mains ensembles comme s’il essayait de trouver un point d’ancrage, lui permettant de reprendre possession de son corps.

Zorba marque de nouveau une pause, conscient qu’il aborde un sujet personnel et fort en émotion pour Cédric. Après quelques secondes d'hésitation et à l’aide d’un regard calme et compréhensif il demande :

— Vous n’êtes pas obligé de me répondre mais ressentez-vous encore aujourd’hui cette sensation d’ abandon ?

Cédric ne s’attendait plus à cette question et pourtant c’est bien le point de départ de toute cette conversation. Il répond néanmoins en toute simplicité, comme si après avoir autant dévoilé, il n’avait plus grand chose à cacher à son interlocuteur :

— Je n’emploierai pas le terme d’abandon, mais disons que je me sens assez souvent rejeté et j’éprouve depuis cette époque-là le besoin constant d’être rassuré….

Il marque une courte pause, comme si des myriades de souvenirs affluaient à son esprit. Il passe nerveusement une main dans ses cheveux, avant de terminer sa phrase :

— Vous allez vous moquer, c’est puérile mais si ce besoin d’être rassuré n’est pas comblé je m’imagine les pires choses. Par exemple, après avoir envoyé un SMS à ma copine et si après un certain laps de temps je ne reçois toujours pas de réponse alors je me mets à imaginer les pires choses, telles que : “Pourquoi elle ne répond pas ? Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal ? Est-ce qu’elle ne me trouve pas intéressant ? Est-ce qu’elle ne m’aime plus ? Est-ce qu’elle à trouvé quelqu’un d’autre ? Face à ce manque de réponse, je suis même parfois tenté de rompre avec elle, tout simplement parce qu’elle ne m’a pas répondu. Ce manque de retour me rend fou. Le pire là-dedans est que cela devient une spirale infernale. Moins j’ai de réponses et plus je vais être obnubilé et insister.

Cédric reprend sa respiration, conscient que c’est peut-être la première fois qu’il se livre autant, un peu comme s’il venait d’expier un péché et cette image le met légèrement mal à l’aise. Il se mord la lèvre inférieure avant de reprendre avec une voix tremblante et incertaine :

— Ca peut conduire à des extrêmes comme suivre une personne dans la rue, envoyer plusieurs dizaines de messages d’affilé, insister lourdement pour avoir une réponse à une question. Sur le moment je ne me rends pas compte de mon insistance, je suis même persuadé être dans mon bon droit… et c’est toujours après que je réalise être allé trop loin et là... je suis couvert de honte et de culpabilité. J’ai alors cette impression d’être différent, avec des réactions inappropriées, qui me semblent éloignées de celles des gens normaux.

Zorba garde les yeux fixés sur Cédric et hoche parfois la tête d’un signe approbateur, en évitant tout autre expression du visage. Il ne souhaite pas que cela puisse être interprété comme une forme de jugement. Puis de son côté il avance :

— Parmi tout ce que vous venez d’évoquer Cédric, ce qui m'interpelle le plus est cette sensation d’incompréhension….de réagir d’une manière que les gens normaux, pour reprendre vos propres mots, ne feraient pas. Ce jugement…c’est bien cela qui doit être le plus terrible et comprenez bien mon jeune ami, que si je dis cela c’est justement parce que vous n’êtes certainement pas un cas isolé.

C’est à ce moment-là qu'arrive le même serveur que toute à l’heure, surgir de nul part. Celui-ci demande poliment si ces messieurs aimeraient prendre une autre collation. Cédric le regarde à-travers un filtre, comme s’il se voyait vivre cette scène tout en se surprenant à penser qu’il a vraiment l’art et la manière de toujours se pointer au mauvais moment. Devant le manque de réaction ou de réponse de la part de Cédric, le serveur se tourne vers Zorba, lequel lui demande simplement l’addition.

Avec une confiance qui contraste avec l'honnêteté et la fragilité du message, Zorba continu en regardant Cédric droit dans les yeux :

— Rien n’est irréversible. Il suffit de faire le travail nécessaire sur soi pour avancer. Je dirais même qu’il faut transformer ce que vous pouvez parfois interpréter comme une faiblesse en force. Et n'ayez jamais peur de votre différence. Votre hypersensibilité est une grande force que vous devriez apprendre à canaliser pour ressortir grandi.

Le ton change radicalement lorsque Zorba lui glisse avec un petit clin d'œil :

— Qu’avez vous pensé de votre boisson ? Il parait que c’est ici qu’ils font les meilleurs cappuccino de tout Paris.

C’est à ce moment qu’arriva de nouveau le serveur, avec l’addition entre ses mains.

Zorba ajoute avec un sourire amical :

— Vous êtes mon invité du jour Cédric, en tendant sa carte bancaire en direction du serveur qui encaisse aussitôt à l’aide du terminal bancaire.

Il se lève, prend son manteau qu’il met sur ses épaules d’un geste vif puis se retourne vers Cédric qui commence juste à se lever, pour lui dire :

— Cela fait beaucoup d'informations Cédric. Prenez le temps d’y réfléchir, nous en reparlerons je l’espère très prochainement. Je suis désolé, je dois vous laisser, je suis déjà en retard.

Cédric se sent un peu perdu face à cette situation qui lui échappe et ce départ qu’il ne contrôle pas. Il ressent cette émotion qu’il connaît très bien et qui commence à monter en lui, au niveau de la zone épigastrique. La peur de l’inconnu, cette sensation de perte de contrôle et aussi cette peur de l’abandon, s’imaginant que c’est la dernière fois qu’il voit son ami Zorba.

Celui-ci tend sa main en direction de Cédric pour lui remettre un morceau de papier sur lequel est écrit son numéro de téléphone.

— Surtout n’hésitez pas à m’appeler. J’espère poursuivre notre petite conversation très bientôt.

Celui-ci se retrouve seul chez Camille, entouré par le vacarme étourdissant du service du soir qui résonne dans ses oreilles. Il n’a plus qu’une envie : fuir ce lieu qui est devenu insupportable alors qu’il s’y sentait si bien il y a encore quelques minutes.

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