La Peur de l'Echec

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Le soleil, réchauffant et caressant le visage de Cédric, apporte cette bonne humeur qui fait rapidement oublier les journées grises et froides qui ont précédé. Il est debout, les mains dans les poches, et observe la gestuelle ample et passionnée de Zorba, sans véritablement prêter attention à ce qu’il dit.

En l’observant, il réalise qu’il a parfois tendance à perdre le fil. Le temps semble s’être arrêté à chaque fois qu’il le voit. Une douce chaleur l'envahit, car il commence à comprendre que ces moments sont privilégiés, intenses, mais aussi que rien n’est éternel. Les sujets défilent, tout comme les journées dans ce square qui lui est devenu si familier. Il fixe mais n’écoute plus vraiment Zorba. A la place, il semble réaliser que la vie réserve parfois des surprises. Les grains de sable peuvent s’écouler lentement du sablier, sans que absolument rien ne se passe durant des jours et des semaines. Et puis, tout d’un coup, une rencontre inopinée change profondément sa vie avec cet homme qui allait devenir progressivement un fidèle confident.

Finalement, une intonation plus appuyée de la part de Zorba le ramène à la réalité :

— Au fait…je vous ai jamais demandé ce que donnait votre projet d’écriture ?

Pris de court, Cédric a bien du mal à formuler une réponse. Visiblement gêné, jouant nerveusement avec un bouton de son manteau et les yeux rivés par terre, il finit par murmurer :

— Je réfléchis à un sujet qui m’inspire beaucoup.

Les yeux de Zorba pétillent en entendant cette réponse. Il tape fortement dans ses mains, les laisse ainsi jointes comme s’il était en train de prier, puis s’exclame avec un sourire malicieux :

— C’est génial ! Vous avez donc commencé à écrire quelques pages ? Et ce sujet alors…vous pouvez m’en dire un peu plus ?

Cédric est surpris par la posture et l’agitation enfantine de Zorba, mais à du mal à se livrer aussi rapidement. Aucun mot ne sortant de la bouche de son voisin, Zorba accentue sa demande, toujours les deux mains serrées:

— Vous n’allez quand même pas me faire languir toute la journée ?

— Je n’ai pas encore écrit une seule page, Zorba. Pas encore. Mais…j’y réfléchi et je veux être sûr du sujet avant de me lancer complètement. Vous comprenez ?

Résigné, presque déçu, celui-ci lui répond :

— Oui bien sûr et cela semble naturel de passer par cette phase. Mais peut-être que vous lancer, même si le style n’est pas parfait, permettra de créer l’histoire progressivement….Avez-vous essayé ?

L’insistance bienveillante de Zorba met Cédric mal à l’aise comme si sa gêne se transformait en quelque chose de plus profond. La pointe de ses pieds dessinent des formes arrondies sur le sol poussiéreux du square, trahissant un tumulte intérieur. Il finit par lâcher, presque dans un souffle :

— Et…si je n’étais pas à la hauteur ? Cette phrase si fragile raisonne comme un aveu qu’il tente de partager.

— Je n’ai jamais rien écrit de ma vie sauf lorsque j’étais au lycée et….mes notes n’étaient déjà pas très encourageantes, dit-il d’une voix légèrement plus assurée.

— Et puis, si ce que j’écris n’intéresse personne ? Ou pire encore, si les gens se moquent de moi ?

Surpris par le silence de son voisin, Cédric tourne la tête en quête d’une expression, ou un autre signe qui trahirait un sentiment. Zorba est impassible et ne laisse rien filtrer. Mi-honteux et mi-fier d’avoir dévoilé sa peur de l’échec, Cédric choisit de se terrer dans son mutisme. Les deux hommes fixent ainsi l’horizon de concert, donnant l’impression de communiquer en silence.

Un mouvement inopiné vient troubler le silence et la quiétude qui règne en maître. Aux aguets, Cédric remarque la dame élégante pénétrer dans l’enceinte du square, venue distribuer des morceaux de pain. Sa présence les ramène à la réalité du moment présent. Zorba est le premier à rompre le silence en disant calmement, sur un ton paternel :

— Si je ne vous connaissais pas aussi bien, je dirais que vous utilisez la première excuse venue pour vous défausser ou repousser l’effort de commencer votre ouvrage, mais…

Elle déchire entre ses mains les épais morceaux de pain avant de les distribuer au loin.

— Ecrire c’est avant tout une affaire personnelle, Cédric. Vous devez le faire pour vous, sans vous soucier de l’avis des autres.

Une bonne dizaine de volatiles attirés par la perspective d’un déjeuner facile et gratuit, se rapprochent de la dame, puis de plus en plus jusqu’à donner l’impression d’une masse compacte prêt à tout engloutir sur leur passage

— La vérité, Cédric, est que ni vous, ni moi, ne le sauront jamais…sauf si vous décidez d’arrêter de vous tourmenter. Je pense sincèrement que vous avez plusieurs qualités requises pour écrire quelque chose de bonne facture. Vos émotions, votre sensibilité, votre parcours de vie…vous avez là tous les ingrédients nécessaires pour confectionner une très belle recette ! Et puis…vous savez, une recette, ça évolue. On la teste, on y ajoute une pincée de ceci ou cela. On brûle parfois le plat, mais c’est ainsi qu’on apprend. Pardonnez-moi cette image, surtout que je sais à peine me faire cuire un œuf !

Avoir cette conversation sans filtre procure ce sentiment mitigé et désagréable chez Cédric, qu’il ressent parfois lorsqu’il lutte pour accepter et refuser en même temps l’idée que les choses puissent se passer de manière différente. Un peu comme si son esprit se détachait de son propre corps pour se réfugier ailleurs et fuir la réalité du moment présent.

Il tente néanmoins de reprendre le contrôle, en disant d’une voix mal-assurée et tremblante :

— Peut-être que ce n’est pas l’écriture elle-même qui me terrifie, mais ce qu’elle dira de moi. Et si mes mots révélaient qui je suis vraiment ? Ou pire, que je ne suis qu’un imposteur, un rêveur sans talent ?

Zorba regarde fixement son voisin et reste concentré sur les émotions palpables de Cédric, se manifestant à-travers ses gestes, son intonation et ses propos.

— Et qui êtes-vous vraiment, Cédric ? Qu’avez-vous à cacher que les autres ne doivent pas savoir ? Il marque un nouveau temps de pause puis termine d’une voix plus douce : Et puis, il ne faut pas oublier le plus important dans tout ça : l’effet tout simplement bénéfique que vous tirerez à écrire. Pour vous. Tout simplement.

Le sac de pain est pratiquement vidé et la dame est maintenant entourée d’une multitude de pigeons.

— Regardez ces oiseaux en train de se battre pour un festin de pain. Ils ne se posent pas tant de questions quand ils volent ou se posent. Certains tombent, se cognent, mais ils se relèvent…et aujourd’hui ils se régalent.

Les deux hommes regardent passivement le spectacle qui s’offre à eux.

— Avez-vous déjà considéré tout ce qu’écrire pourrait vous apporter ? Pensez une minute à l’accomplissement personnel que cela représente…et tout ce qui va avec : la création artistique, la fierté, la paix intérieure, la liberté, que sais-je encore !

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