Chapitre 7 - Arrivée et départ

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 Dehors, l'atmosphère pesait sur les épaules du mercenaire, aussi lourde que du plomb.

 À l'horizon, des nuages effilochés fuyaient une masse sombre menaçante. Un orage approchait.

 Dans la ruelle, passants et baguenaudeurs s'agglutinaient sur la place du parvis, quelques mètres plus en avant, puis nourrissait un agrégat informe. Le brouhaha s'infiltrait dans les allées jusqu'à s'éteindre en chuchotements lointains.

 Intrigué par tant de remue-ménage, Lass se faufila au pied d'un commerce, déroula son grappin, puis l'élança à la rencontre d'une gouttière. En quelques gestes habiles, il se hissa sur la toiture branlante et rongée de lichen.

 L'alizé qui y soufflait lui apporta un peu de fraîcheur. Ainsi qu'une odeur de sang.

 Les tuiles d'ardoises grinçaient, craquaient parfois sous ses pieds, tandis qu'il rejoignait le rebord qui dominait l'esplanade.

 La foule s'y pressait en cercle autour d'une jument à la robe baie, dont les hennissements incessants expulsaient une écume blanchâtre qui s'écoulait sur le poitrail de la bête. Un périmètre délimitait un espace que nul n'osait outrepasser.

 Tous les regards s'orientaient vers le cavalier affaissé, son visage enfoui sous une crinière crasseuse. Il était vêtu d'une simple tunique enserrée d'une ceinture et deux plaies béantes parallèles s'étendaient sur l'extérieur de sa cuisse droite.

 Malgré les injonctions à son égard, aucun mouvement ne trahissait son apparente quiétude.

 À l'horizon, un éclair zébra un mastodonte intangible.

 En contrebas, la populace tonna, impatiente.

 Un téméraire franchit la zone proscrite, s'aventura à la rencontre de l'inconnu. Il l'interpella, puis à défaut de réponse, saisit le bras crispé sur la bride en quête d'une réaction.

 Le contact devint choc. Le corps était froid et la peau était pierre. Il relâcha aussitôt son emprise.

  • Il est crevé ! gueula-t-il, si fort qu'il couvrit le tapage de l'assemblée.

 Trop fort.

 Le cheval, paniqué, se cabra, projetant son fardeau avec fougue en arrière. Celui-ci s'écrasa au sol en un bruit sourd et roula sur plusieurs mètres avant de s'immobiliser, dans la même position que sur sa monture. Son visage tuméfié révéla une expression figé en agonie.

 Tous les spectateurs de ce morbide spectacle eurent un mouvement de recul, et le silence s'imposa brièvement pendant qu'ils contemplaient l'étonnante statue de chair. Puis, le bourdonnement reprit de plus belle.

 Les uns s'enfuirent à l'abri de leur foyer, chassant ce qu'ils venaient de voir comme un moucheron gênant au coin de l'oeil, les autres spéculèrent sur le pourquoi du comment, les plus pessimistes arguèrent un mauvais augure.

 Mais personne ne prêta attention au froissement d'un faîtage qui cédait, au-dessus d'eux.

 Un mercenaire était passé au travers d'une toiture.


 ***

 Après un instant d'errance à la limite de la conscience, Lass se réveilla le crâne douloureux.

 Il porta une main à sa tempe meurtrie. Du sang séché s'effritait sous ses doigts et il ressentit la courbure disgracieuse d'un hématome en bordure de son cuir chevelu. Cela faisait un moment qu'il était inconscient.

 Il se redressa, puis constata avec amertume où il se trouvait. Sous les verrous.

 Son fourreau-lamé avait disparu, ainsi que ses bottes, sa ceinture, son grappin, sa bourse et ses bandages avaient été remplacés par une tunique en lin.

 La cellule, faiblement éclairée par la torche murale d'un couloir mitoyen à toutes les autres, ne payait pas de mine. Dépourvue de fenêtre et de paillasse, elle se résumait à trois murs austères, des barreaux et une odeur d'égout mêlé d'eau stagnante.

 Le mercenaire soupira. Au moins, l'endroit était frais.

 Un raclement sourd sur sa gauche attira son attention. Une pierre avait été descellé et une moitié de visage dévoré par la crasse d'une barbe châtain clair le dévisageait.

  • Eh, alors, le petit nouveau, qu'est-ce que tu viens faire ici ? commença l'inconnu d'une voix vieille et fluette, mais joyeuse, tout sourire aux lèvres.

 L'assassin se rapprocha du parloir improvisé et s'agenouilla à sa hauteur.

  • J'espérais que tu puisses me le dire toi-même. Les gardes n'ont rien dit lorsqu'ils m'ont jeté là ?
  • Mais, t'y est pas un petit peu con, hein ? Les gardes nous racontent pas leurs vies, ça non. Si tu sais pas pourquoi qu't'es là, faut leur demander à eux, pas à nous autres.

 Il éclata d'un rire franc qui dévoila des dents noircies. Son haleine fétide s'aventura par le trou et Lass réprima son envie de s'éloigner.

  • Et, on est où, là, exactement ? demanda-t-il.
  • Ben, en prison, pardieu ! C'est sous le château du seigneur. Quand j'étais dehors, on racontait plein de trucs, à son sujet. Comme quoi qu'il aurait fait construire la prison sous chez lui parce qu'il aimait bien taper dans les prisonnières et torturer les hommes pour s'amuser.
  • Vraiment ?
  • Oui ! Enfin, non. Parce que, depuis qu'j'suis ici, bah, il a emmené personne. On attend juste jusqu'à ce qu'ils nous foutent dehors.
  • Et, il est plutôt sévère dans son jugement, le seigneur ?

 Le prisonnier hésita et fronça les sourcils.

  • Hein ?
  • Toi, qu'est-ce que tu as fait et combien de temps tu as pris ? grogna Lass en grinçant des dents.
  • Oh ! J'étais chasseur de tombes, avant.
  • Pilleur, tu veux dire ?
  • Non, non. Chasseur. Je chassais les tombes sauvages. Dans l'pays, on n'aime pas trop que les morts roupillent dans des trous paumés. Alors, quand on en croise une creusée à la sauvette, on ramasse les restes et on les ramène dans un vrai cimetière. C'est pas toujours joli joli, mais ça paye bien ! Bon, sauf que, de temps en temps, j'récupérais quelques richesses en douce, pour payer la bibine aux copains, tu comprends ?
  • Je comprend, pilleur.

 Le vieil homme se détourna, cracha à terre, puis reprit.

  • Pilleur, pilleur... Les morts, ils ont plus besoin de rien de toute façon ! Pas besoin que leurs affaires pourrissent avec eux, autant que ça serve à nous autres.
  • Bref, depuis combien de temps tu es ici ?
  • Euh... J'ai pas compté.

 Le mercenaire portait une main à son visage, pour se retenir d'incendier son interlocuteur, lorsque des échos de pas dans un escalier voisin s'invitèrent dans la conversation.

 Aussitôt, le détenu renfloua le mur.

 Un geôlier, trousseau de clefs et fourreau à la ceinture, parchemin dans les mains, s'arrêta devant la cellule de Lass.

  • Toi, l'assassin. Bon sang, t'as vraiment la gueule comme une meule. Arrestation pour dégradation de biens publics, dégradation de biens privés, trouble à l'ordre de public, intrusion et tentative de cambriolage, voyeurisme, naturisme, braconnage de sel d'ondine et meurtre du trappeur Buyart, de sa femme, de sa fille et de deux voyageurs non identifiés, récita-t-il, monotone.

 Un sifflement s'éleva de la loge voisine.

  • C'est qu'y s'est bien amusé, le petit nouveau !
  • La ferme, vieux débris ! vociféra le garde en se saisissant de son porte-clef.

 Il déverrouilla la porte en fer, puis amena une main sur le pommeau de son épée.

  • Allez, suis-moi, ordonna-t-il.

 Lass obéit sans mot dire.

 Ils traversèrent le cachot, puis gravirent un escalier de pierre en colimaçon. En haut, ils débouchèrent sur un second couloir, bien plus luxueux.

 Les murs en pierres claires et lisses soutenaient candélabres, tapisseries et tableaux de portraits ou de paysages. Poteries et bustes en marbre trônaient sur des vitrines en bronze, tandis que des tapis soyeux recouvraient le sol.

  • Où va-t-on ?
  • Le marquis veut te causer. Il a du boulot pour toi.
  • Du boulot ?
  • Ouais. Les gars dans ton genre ont pas mal de ressources en réserve, tu pourrais être utile. Avec toutes les charges contre toi, c'est la seule chose qui t'évite la potence. On a retrouvé le contrat dont tu t'es occupé sur le bord du lac. À partir de ça, on a mené notre petite enquête à la maison des mercenaires. J'y étais, ta copine la demi-elfe nous a gentiment raconté tes aventures. Tu vas nous servir pendant quelques années, rester bien sage et rentrer dans le rang. Je sais pas d'où tu viens, mais ici, on aime déjà pas que les citoyens fassent justice eux-mêmes, alors, qu'un étranger vienne mettre le boxon...
  • Vous savez donc que...
  • La ferme. C'est moi qui cause.

 Tandis qu'ils discutaient, ils arrivèrent devant une grande porte en bois sculpté à la poignée d'argent.

  • C'est là. Reste respectueux, ou je veillerais à ce que ton séjour ici soit plus désagréable encore qu'une visite chez l'arracheur de dents. Tu t'adresseras au marquis que lorsqu'il te l'autorisera, en l'appelant par son titre et tu feras une révérence quand on entrera. C'est compris ?
  • Dois-je aussi lui cirer les bottes et lui lustrer le derrière ?

Le soldat se retourna, puis empoigna la mâchoire du mercenaire. Leurs regards s'accrochèrent.

  • Joue pas au con avec moi, il pourrait me prendre l'envie de te rosser pour t'enseigner les bonnes manières. Tu te crois malin car tu vends ton épée au plus offrant, comme une putain qui offre son cul, mais ici, t'es rien du tout, rien qu'un sent-la-pisse qui...

 Lass plongea au plus profond des yeux de l'homme. Ses pupilles se rétractèrent et les ravins dans l'ambre de ses iris se creusèrent alors qu'une teinte émeraude les encerclait. Le flot des paroles du garde se tarit dans sa gorge, sa poigne s'affaiblit.

 Il se perdait. Il se perdait dans les canyons sombres de cette montagne ocre ceint d'une jungle sauvage. Au sommet, un cratère béant, ténébreux. Profond, sans fin. Affamé.

 Puis, une sensation s'éveilla en lui. Un instinct de survie. Elle s'amplifia jusqu'à paralyser son corps et son esprit. Une seule pensée réchappa de ce monstre rugissant. Un ordre qu'il exécuta sans hésiter.

 Il lâcha le mercenaire, le bras tremblotant, puis recula jusqu'à heurter un présentoir.

  • Je... Que... balbutia-t-il, le teint pâle.
  • Mes affaires, dicta l'assassin.
  • C'est l'marquis qui les a, y a que lui qui sait où elles sont !
  • Ton épée.

 Le garde s'empressa de défaire la ceinture retenant son fourreau, puis s'en délesta.

  • Merci, mon brave.

 Lass saisit l'homme par le col, puis le planta au seuil de la porte.

  • Nous avons rendez-vous. Avance.

 Sur la tempe du mercenaire, les dernières traces de sang séché s'étaient évaporées.

***

Petite aparté qui n'a rien à voir avec le récit, ou presque :p


 Salut les loulous !

 J'ai eu énormément de mal à écrire le premier bout de ce chapitre (avant les premiers ***), malgré sa courte durée, j'ai dû le recommencer au moins 6 ou 7 fois. Au final, j'en ai eu marre, et je me suis dit que j'allais le laisser tel quel, rien ne sert de forcer quand ça ne vient pas ;).

  J'y reviendrais plus tard, ou le recommencerais lors de la réécriture, pour me concentrer sur la suite du récit.

 Cependant, j'aimerais beaucoup un ressenti approfondi de votre part, en attendant, chers lecteurs. J'ai une étrange appréhension, peut-être dû à la difficulté que j'ai eu à l'écrire, mais je crois bien qu'il sera difficile, voir pénible, à lire pour vous. Ou alors qu'il lui manque un quelque chose. Bref, j'aimerais connaître vos avis.

 Merci à vous ! Des gros poutous.

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