Adorable (2010)

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Marla sonna à la porte. La nouvelle voisine avait emménagé la veille; la fillette l'avait vue par la fenêtre. Elle avait observé la voisine un certain temps. C'était une jeune femme bien proportionnée, avec de doux traits, un teint laiteux, des cheveux blonds brillants comme des fils d'or, de grands yeux bleus turquoises, des lèvres bien roses, un maquillage si léger qu'il était à peine remarquable et pourtant si raffiné. Elle avait une allure à la fois fière et modeste, une démarche pleine de grâce et un regard pétillant. Marla brûlait d'envie de faire la connaissance de cette jeune femme étonnamment belle.

Alors qu'elle décollait son index de la sonnette, la petite fille lut sur la porte «Miss Badorable». C'était un nom étrange pour une étrange inconnue !

Marla avait l'habitude de venir souhaiter la bienvenue à ses nouveaux voisins. C'était une charmante enfant; elle connaissait tout le monde dans son immeuble et ne manquait jamais une occasion de rendre un service. Mais, bizarrement, elle avait peur de déplaire à cette soi-disante Miss Badorable et se sentit soudainement ridicule. Elle était pourtant très mignonne, même totalement adorable. Mais à cet instant, il lui vint à l'esprit qu'elle était trop petite, trop brune, trop frêle, trop curieuse, que ses yeux étaient trop foncés, son teint trop terne, que le ruban dans ses cheveux était peut-être trop rouge, que ses oreilles étaient peut-être trop décollées, son nez était peut-être trop retroussé, ses lèvres étaient probablement trop fine et ses bottes trop hautes,... Devait-elle sourire ou rester de marbre ? Avait-elle bien choisi sa jupe ? Et son chemisier ? Il ne fallait surtout pas qu'elle se mette à rougir !

La porte s'ouvrit et la gracieuse Miss Badorable apparut devant Marla.

— Bonjour, balbutia la fillette, je...

— Bonjour, la coupa la jeune femme, tu arrives pile à l'instant où j'allais me servir une tasse de thé. Tu aimes le thé ? Entre donc; nous le prendrons ensemble.

Marla s'exécuta, pénétrant dans l'appartement de sa voisine. Tout était de tons pâles, de porcelaine et de cristal. C'était d'un goût sobre et raffiné, en parfaite harmonie. Sa voisine invita Marla à s'asseoir et apporta le thé avec des gâteaux. Puis elle s'assit à son tour dans l'un des fauteuils de son charmant salon.

— Je pense que tu es ma jeune voisine. N'est-ce pas ? fit-elle à l'attention de Marla. Je t'ai aperçue hier depuis la fenêtre.

— Je ne...

— C'est fort aimable de venir me saluer. Quel est ton nom ?

— Marla, je m'appelle Marla.

— Marla, c'est un joli prénom que voilà ! Eh bien, Marla, appelle-moi Kelly. Mon nom est Kelly Badorable.

Kelly versa le thé dans la tasse de Marla. Le breuvage dégageait un peu de fumée et une délicieuse odeur de caramel. Marla se sentait comme envoutée, autant par la grâce de Miss Badorable que par sa demeure chaleureuse et les mets sucrés qu'elle proposait à la fillette.

Lorsque Marla eut terminé son thé et englouti une demi douzaine de gâteaux, elle se leva et salua poliment son hôte, prête à la quitter. Mais Kelly agrippa avec délicatesse le poignet de l'enfant. Elle lui dit d'une voix douce :

— Tu ne vas pas me quitter si tôt, Marla. Il faut encore que je te montre ma salle de jeux.

— Vous jouez encore à votre âge ?

— Bien évidement. Je hais ces adultes grincheux qui ne jurent que par l'argent et le travail !

— Ça décrit pourtant bien mes parents.

— Raison de plus pour que tu restes encore un peu jouer avec moi !

Sans lâcher le poignet de Marla, Kelly l'entraîna dans sa chambre. La gamine écarquilla les yeux en découvrant ce petit univers enfantin et décalé. Dans un coin, sous la fenêtre, trônait un matelas douillet et moelleux. Partout sur le sol s'agglutinaient des peluches en tous genres douces et colorées. Il y avait aussi une grande maison de poupées. Alors que Marla se précipitait dans la pièce, Kelly revisitait ses souvenirs douloureux. À chaque fois qu'elle voyait un enfant venir jouer chez elle, elle se rappelait de la cour de récréation.

La petite Kelly n'avait même pas dix ans. Tous les enfants riaient et s'amusaient, tous les enfants avaient plein de beaux jouets et les montraient fièrement à leur camarades, tous les enfants avaient une maman qui leur faisait des bisous et leur lisait des histoires avant de dormir. Tous, sauf Kelly. Elle était toute petite, toute mince, ses cheveux blonds étaient ternes, son teint pâle, presque livide; elle avait des cernes profondément marquées. Elle marchait tête basse, l'air penaud, le regard absent. Ses habits étaient sales et ses chaussures trouées. La petite Kelly avançait et tous riaient sur son passage; tous lui lançaient des cailloux, la pointaient du doigt. Un jour, se disait-elle, elle aurait les plus beaux jouets du monde et tous voudraient être ses amis.

Kelly regardait Marla. Cette petite était tout à fait captivante ! On sonna à la porte. Miss Badorable fit volte-face et sortit de la pièce en prenant soin d'en fermer la porte à clé. Marla sursauta : Kelly venait de l'enfermer. La fillette bondit sur la poignée de la porte mais ne parvint pas à l'ouvrir malgré son acharnement. Elle aperçut alors une autre porte, au fond de la chambre, derrière la maison de poupée. Marla se précipita dessus, croyant pouvoir s'enfuir.

Miss Badorable ouvrit la porte. Une femme apparut dans l'entrebâillement.

— Bonjour, dit-elle, nous sommes voisines ! Je suis la maman de Marla. Je parie que ma fille est déjà venue vous souhaiter la bienvenue. Elle n'est pas chez nous, vous l'avez vue ?

— Oui, elle est venue prendre le thé avec moi cet après-midi. Mais elle est partie d'ici il y a plus d'une demi heure.

— Bien, excusez-moi pour le dérangement.

La mère de Marla repartit. Kelly s'empressa de refermer la porte et courut dans la chambre. Elle tourna la clé dans la serrure, entra,... La porte du fond avait été ouverte !

Marla progressait dans cette étrange pièce, profonde et étroite. Les murs étaient cachés par d'étranges personnages; uniquement des enfants. Marla avançait devant eux, les observant. Il y avait une gamine vêtue de noirs, les cheveux bruns et épais, avec pour yeux deux grosses billes et un petit chapeau noir épinglé à son crâne. Il y avait un petit garçon bien mignon, avec une étrange crinière rousse. Il portait un habit de marin et tenait une longue vue de sa main gauche. Ses lèvres fines étaient cousues et deux gros boutons remplaçaient ses yeux. À ses côtés, une fillette blonde dans une belle robe rose pâle, un diadème dans les cheveux, les paupières closes, semblait entrouvrir les lèvres pour dire quelque chose. Mais une poupée n'aurait pas pu décrocher un mot. Ils étaient des dizaines ainsi exposés. Ces étranges figurines intriguaient Marla. C'est alors que, loin d'être au bout de ses surprises, l'enfant remarqua une tache sur la chemise d'un garçonnet dont les orbites semblaient remplis de cire. Marla avança vers lui et effleura la tâche de son index. Son cœur fit un bond dans sa poitrine et se mit à palpiter plus bruyamment qu'un tambour. La fillette eut un mouvement de recul et se tourna, regardant avec horreur les autres enfants. Du sang. Ce n'étaient pas de simples poupées mais bien les cadavres de petits naïfs qui, comme elle, étaient un jour venus jouer chez Kelly. Les larmes, subtil mélange de rage et d'effroi, montaient aux yeux de Marla. Elle entendait déjà Miss Badorable s'approcher en l'appelant de sa voix mélodieuse :

— Marla, où es-tu ? Tu joues à cache-cache, c'est ça ?

Marla reculait lentement vers le fond de la pièce. La porte s'ouvrit, laissant la lumière envahir les visages des cadavres. Kelly souriait, son regard était si aimable. L'apparence charmante de la jeune femme évoqua soudain à Marla un profond dégoût. Cet ange démoniaque s'avançait vers l'enfant en chantonnant :

— Je vois que tu as fait la connaissance de tous mes amis. Je suis sûre que tu t'entends déjà à merveille avec eux ! Ne voudrais-tu pas rester ici, Marla ? Rester à tout jamais avec nous et n'avoir que des amis et des jeux ?

La douce voix de Kelly raisonnait dans la tête de la fillette, lui glaçait le sang. Marla ne tenait pas à se faire empailler pour devenir la poupée de cette psychopathe. Elle continuait à reculer, les yeux terrifiés.

— Viens ma puce, murmurait Kelly en lui tendant sa main pleine de grâce, je vais te montrer un nouveau jeu.

Marla se trouvait à présent contre deux cadavres. Elle était bloquée. N'ayant plus le choix, elle saisit la main que lui tendait Miss Badorable et laissa la jeune femme la guider vers la chambre. Un frisson glacial parcourut le dos de la fillette. Au milieu de la pièce, était dressée une table avec, posés dessus, du fil, une aiguille et deux verres bien remplis. Marla se souvint du garçon aux yeux en boutons.

— Goûte ça ! lança Kelly en lui tendant l'un des verres.

Marla s'en saisit, donnant au passage un léger coup de coude dans une bobine de fil qui roula à terre. Alors que Kelly se baissait pour la rattraper, Marla échangea son verre avec celui resté sur la table. Lorsque Miss Badorable se redressa, la fillette lui montra le verre :

— Vous d'abord.

Kelly, ignorant que les verres avaient été échangés et que par conséquent elle avalait le poison destiné à son invitée, vida le breuvage en à peine deux gorgées. Elle tomba immédiatement, le souffle coupé.

Marla coupa le fil entre ses dents et traîna Kelly avec les autres cadavres. Bien habillée et coiffée, les lèvres soigneusement cousues et les yeux remplacés par ceux d'une de ses poupées en plastique, Miss Badorable achevait le morbide tableau. Le dernier cadavre, pensa Marla fière de son travail sur la défunte Kelly.

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