4) Vert
Ce jour-là, Natacha intégrait l'école d'art où elle allait passer les prochaines années. Elle n'y connaissait encore personne. Elle s'assit dans la salle de cours, seule. Bientôt, un jeune homme vint prendre place près d'elle.
- Salut, dit-il. Je suis Lionel, je viens de Paris.
Le fameux Lionel avait un air un peu efféminé, mais il avait l'air plutôt joyeux et futé.
- Et toi, qui es-tu ? lui demanda-t-il.
- Natacha. Je suis née dans cette ville.
- Et qu'aimes-tu faire, Natacha ?
- Ce que je préfère, c'est la peinture. Pas toi ?
- Pour ma part, je préfère sculpter.
- La plupart des sculptures manquent de couleurs. C'est dommage.
- Pas toutes. Je veille toujours à faire des sculptures vives et colorées. Je pourrais t'en montrer quelques unes un jour, si tu veux.
- Si tu penses être assez doué et si tu es prêt à recevoir mes critiques, pourquoi pas.
- Je tenterai de ne pas vous décevoir, chère amie.
- Dis-moi, tu parles comme cela durant tout le cours ?
- Bien sûr que non, je me tais lorsqu'il commence. Si je voulais parler, j'irai dans un square et j'accosterai les passants. Je suis ici pour étudier. Trêve de bavardages, voilà le professeur.
Natacha trouvait Lionel intéressant. Ils auraient pu être amis. Seulement, elle refusa de venir voir ses sculptures après les cours, prétextant une course urgente à faire. En réalité, elle était obsédée par l'idée d'ajouter une troisième âme à son arc-en-ciel. Encore fallait-il trouver le détendeur de cette âme et le meilleur moyen de le tuer. Natacha avait entendu parler d'une boutique dans une partie mal fréquentée de la ville où l'on vendait des objets de sorcellerie, mais également du poison. Elle trouvait qu'il pourrait être intéressant de tuer une victime avec une seule goûte d'un liquide à l'apparence inoffensive. Aussi se précipita-t-elle dans le sordide commerce et en ressortit quelques minutes plus tard avec le précieux breuvage en poche. Alors qu'elle arrivait aux abords de son immeuble, Natacha croisa un de ses voisins, un vieil homme grincheux, qui était en pleine dispute avec une adolescente. Alors que Natacha passait devant eux, la jeune fille criait à l'homme :
- Vous n'êtes qui vieil égoïste ! Vos enfants, vos petits-enfants et vos arrière-petits-enfants vivront dans un monde de merde et ils vous maudiront, parce que tout cela sera de la faute de vieux débiles dans votre genre !
Natacha s'approcha de l'adolescente et lui tapota l'épaule. Elle demanda :
- C'est pour une pétition ?
- Oui, répondit la jeune fille, énervée.
- Ne fais pas attention à ce monsieur, ce n'est pas le genre de choses qui l'intéressent. J'aimerais beaucoup entendre ce que tu as à dire, moi. Tu veux monter chez moi ? Tu pourras m'expliquer tout cela au calme.
- C'est que... Je n'ai pas l'habitude de rentrer chez des inconnus comme ça.
- Allons, je ne vais pas te manger. Crois-moi, j'ai bien mangé ce midi et je me réserve pour ce soir.
L'adolescente se laissa convaincre et monta chez Natacha. La jeune femme l'invita à s'asseoir dans le canapé. Elle ouvrit une boîte de biscuits et en offrit à son hôte.
- Quel âge as-tu ? lui demanda-t-elle.
- Seize ans, bientôt dix-sept en fait.
- Et tu te prénommes ?
- Adèle.
- Enchantée de faire ta connaissance, Adèle. Je t'en prie, appelle-moi Natacha.
- D'accord.
- Alors, Adèle, parle-moi un peu de ta pétition.
- Je milite pour une association qui voudrait stopper la production d'énergie nucléaire et la remplacer par les énergies renouvelables. D'abord nous faisons circuler des pétitions, ensuite nous récolterons des fonds pour mener à bien notre projet, petit à petit.
- Mais c'est très intéressant. Je me ferai une joie de signer.
Adèle lui tendit la feuille et demanda :
- Vous êtes impliquée dans l'écologie ?
- Oui, évidemment. D'ailleurs, viens voir un peu.
Natacha se dirigea dans la salle de bain. Adèle s'approcha.
- Qu'y a-t-il ?
Natacha actionna le bouton d'eau et se mit à remplir le lavabo.
- Attends un peu. Tu vas voir.
L'adolescente se planta devant le lavabo, attendant un phénomène extraordinaire. Lorsque le lavabo fut presque rempli, Natacha arrêta de faire couler l'eau.
- Je ne voix rien, se plaignit Adèle.
- Regarde mieux. Penche-toi un peu. Tu vois ?
- Non. Non, je...
Elle ne pu achever sa phrase, Natacha lui avait enfoncé la tête au fond de l'eau et la maintenait fermement, l'empêchant de se redresser. Elle ne la tua pas complètement. Elle attendit qu'Adèle perde connaissance avant de la sortir de l'eau, mais s'assura que son cœur battait encore. Elle la conduisit dans la salle blanche puis alla chercher la boîte sur la table du salon. Elle bourra la gorge de l'adolescente de biscuit pour l'étouffer. Adèle mourut lentement. Natacha la regarda agoniser avec passion. Quand elle vit la nuée verte s'élever au plafond, elle éclata de rire. Elle rangea le corps de la jeune fille sous le drap avec ceux de ses précédentes victimes puis brûla la pétition. Dommage, elle penserait à l'écologie un autre jour.
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