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Les ambulanciers étaient arrivés. Ils l'avaient embarquée. Tous les autres élèves du lycée avaient ri du suicide de la jeune fille. Je les avais tous roués de coups, je les avais tous insultés et menacés. Je récupérai le sac d'Elloa et refusai de le lâcher pour n'importe quelle raison. Je ne laissai personne m'approcher et je dis clairement à la bande qui m'avait conduite à ce drame ce que je pensais et ce que je ressentais pour Elloa. Pourquoi avais-je fait cela si tard ?
On enterra Elloa la semaine suivante. Il n'y eut que ses parents et moi pour lui dire adieu. Ses parents n'avaient rien de commode et c'était à peine s'ils semblaient attristés. Moi, je pleurais comme une madeleine et suscitai même quelques rires. Mais je m'en fichais bien.
À la nouvelle année, je changeai de lycée. Je me fis de nouveaux amis qui peu à peu me fient reprendre confiance en moi. Je ne laissai plus jamais personne se faire traiter comme j'avais traité Elloa. Dans le sac que j'avais récupéré, je trouvai son journal. Je le lus. J'en appris plus sur elle, je me sentis plus proche d'elle. Ce fut une aide pour mon deuil. Ma seule ambition fut alors de le faire publier, un jour.
Chaque année, le dixième jour de décembre, j'amenais une rose sur la tombe de la défunte et lui demandais une fois de plus pardon, même si aucune excuse n'arrangerait jamais ce que j'avais fait. C'est un même dix décembre que j'avais fait publier le Journal d'Elloa Parker, en prenant soin d'y changer mon nom tout de même. Le jour de sa sortie, en revenant du cimetière, je décidai d'aller l'acheter. Et c'est ce jour-là que je rencontrai Vic. Et peu à peu, en apprenant à la connaître, je sus que j'étais enfin pardonnée, que j'avais droit à une nouvelle chance et je décidai de ne pas la laisser passer une seconde fois.
Je dépose quelques pièces sur le comptoir. La fleuriste me donne deux roses. Elle paraît étonnée, je n'en prends qu'une seule d'habitude. Aussitôt mes fleurs en main, je m'en vais au cimetière. Je m'accroupis devant la tombe d'Elloa, je la salue, je m'excuse encore. Je dépose délicatement la rose sur la pierre, et je lui dis :
- Aujourd'hui, je vais être sincère, Elloa.
Je souris. Je sais que c'est le mieux à faire, Elloa doit penser la même chose de là où elle est.
- Elloa Parker, lance quelqu'un derrière moi, alors elle existait bien ?
Je me retourne. Que fait Vic ici ? Ce n'est pas le moment de me laisser surprendre, je me relève et l'embrasse.
- Tiens, comme c'est étrange, remarque-t-elle, Elloa est décédée le dix décembre. Son journal ne s'arrêtait-il pas le neuf ?
- Je l'ai retrouvée morte dans les toilettes du lycée. Elle s'est suicidée.
- Suicidée ? À cause de cette fille dont elle parle, Thandie ?
- Oui, cette fille-là. J'ai menti à Elloa ce jour-là, c'est pour ça qu'elle est à six pieds sous terre aujourd'hui. Si j'avais été sincère rien ne serait arrivé. Alors je vais être sincère avec toi aujourd'hui, j'aurais dû te dire ça dès notre premier rencard...
- Me dire quoi ? Pourquoi te sens-tu coupable de sa mort ?
- Thandie, c'est moi.
Vic paraît surprise. Je m'étonne qu'elle n'ait pas un mouvement de recul. Elle me regarde, et elle regarde la tombe. Elle m'adresse un sourire compatissant et hausse les épaules. Elle semble me dire « Tu as déjà bien été punie, n'est-ce pas ? » et intérieurement je réponds « Oui, tu n'imagines même pas ! ». C'est une habitude avec Vic, on se comprend sans rien se dire. Elle prend ma main et se saisit de la seconde rose.
- Celle-ci est pour moi, dit-elle.
Vic m'entraîne en dehors du cimetière. Elle ne semble pas m'en vouloir. En serait-elle seulement capable ? Dire qu'Elloa est quelque part au-dessus de nous ! Peut-être veille-t-elle à mon bonheur, qui sait. « Tu vois, j'ai changé. Maintenant j'ai du cran. Et je ne le dois qu'à toi, Elloa. »
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