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Vingt-et-une heures, environ. Je suis enfermée dans un placard, au beau milieu de ce qui est indéniablement la pire soirée de ma vie. Depuis que nous sommes rentrées, Melanie m'a suivie partout, aussi bien dans mon bain qu'aux toilettes. L'intimité, c'est une chose que je ne connais déjà plus. En ce moment-même, elle est de l'autre côté de la porte. D'un moment à l'autre, elle va surgir à mes côtés de je-ne-sais-quelle-manière. Alors, elle recommencera à me parler. D'argent, peut-être. Ou bien, de la façon dont je l'ai envoyée dans la tombe. Quelque chose dans ce genre-là.
— Lauren, si tu ne veux pas que mon corps débordant de vers et de larves se retrouve collé au tien, je te suggère de quitter ce placard sur le champs.
Je ne peux rien face à ces arguments. J'ouvre la porte et sors de ma cachette.
— C'est bien, je vois que tu commences à coopérer.
Je prends ma tête entre mes mains et l'interroge, exténuée :
— Combien de temps ce petit jeu va-t-il encore durer ?
Une fois de plus, ma cousine éclate de rire.
— Combien de temps ? Enfin, Lauren, ne me fais pas croire que tu ne l'as pas compris ! Je suis morte, ma chérie. J'ai l'éternité devant moi. Si tu savais comme c'est long, l'éternité. Je vais rester avec toi jusqu'au restant de tes jours. Et quand tu seras morte... Nous verrons cela le moment venu.
L'éternité ? C'est inenvisageable ! Je ne peux pas la supporter jusqu'à la fin de mes jours ! Il va falloir trouver une solution, appeler un médecin ! Un prête ! Un exorciste !
— Ne t'en fais pas, me chuchote Melanie, tu vas t'habituer à moi.
Non, je ne crois pas. Je ne m'habituerai jamais à ça. Plutôt crever ! Pour le moment, j'ai surtout besoin de repos. Avec une bonne nuit de sommeil, je devrais être capable de tenir un peu plus longtemps avant de trouver quoi faire. À présent, je sais que ma cousine n'est pas ici dans le but de m'égorger, alors je n'ai plus à rester sur mes gardes. Si elle avait décidé de me tuer sans préavis, néanmoins, elle m'aurait épargné bien des souffrances. Mais non, mettre un terme à mes jours, ce n'était pas une vengeance suffisamment satisfaisante ! Me hanter jusqu'à la fin de ma vie devait paraître nettement plus attrayant !
Me voilà dans mon lit. Je ferme les yeux. Demain. Demain, je trouverai quoi faire. Le sommeil commence à m'emporter. Une douce torpeur s'empare de mon corps et je sombre lentement dans le monde des rêves. Une secousse. Mes yeux s'ouvrent tout grand, m'arrachant à mon premier sommeil. Melanie vient de se jeter dans le lit. Elle s'installe à côté de moi.
— Tu sembles avoir du mal à trouver le sommeil, Lauren, se désole-t-elle faussement.
— Tu sais très bien que c'est faux, je râle. J'étais en train de le trouver avant que tu ne me bondisses dessus comme une sauvage !
— Vraiment, je suis désolée. Est-ce que tu veux que je te raconte une histoire, pour t'aider à t'endormir ? Tu te rappelles, quand nous étions petites ? Tu adorais que je te lise des histoires. Il faut dire que toi et la lecture, ça faisait deux ! Pendant longtemps, tout le monde a pensé que tu resterais illettrée toute ta vie !
— C'est bon ? Tu as fini ?
Je me retourne sur le matelas, dos à elle. Si seulement le fait de ne plus la voir pouvait m'empêcher de l'entendre ! Elle continue :
— Mais maintenant tu sais lire, c'est plutôt rassurant. D'ailleurs, je ne serais pas étonnée que tu aies lu un bouquin comme Le guide du parfait assassin. Non, ce n'était pas ça, le titre ? C'était quoi, alors ? Comment se débarrasser d'une héritière encombrante ? Ah, non, c'est vrai, tu n'avais pas de quoi investir dans les livres, en ce temps-là. Tu devrais, aujourd'hui, d'ailleurs. Ce n'est pas la culture qui te tuera ! Donc, tu t'es probablement rendue dans un de ces cybercafés où tu avais l'habitude d'aller jouer au poker en ligne avec je-ne-sais-quel-argent. Et tu en as profité pour faire une recherche Google sur comment éliminer sa cousine. Non ? Ça ne te dis toujours rien ? Dans ce cas, je suis particulièrement fière ! Ça veut dire que tu as échafaudé toute seule ce plan terrible. C'est vrai qu'arranger ma mort accidentelle, c'était plutôt futé de ta part ! Quand je disais que tu étais débrouillarde ! Le truc, tu vois, c'est que, se débarrasser d'une personne vivante, c'est plutôt facile. Maintenant, tu joues dans la cours des grands. C'est une morte, une vraie, que tu as sur le dos. Ça ne va pas être aussi aisé !
Je m'enfonce plus profondément sous la couette et colle mes mains contre mes oreilles. Je donnerais n'importe quoi pour qu'elle se taise enfin !
— Il y a une solution, Lauren. Tu le sais, n'est-ce pas ? Une seule solution. Oh, ça sera un tant soit peu douloureux. Mais, au moins, tu ne seras pas en aussi piteux état que moi. Je peux même te donner des conseils, si tu veux. Quoi que, vu la technique de meurtrière que tu as, je doute que tu en aies besoin, petite maligne !
Je n'y tiens plus. Aucun médecin, aucun prêtre, aucun exorciste ne viendra à bout de cette chose, je le sais. À bout, en revanche, moi, je le suis. Je me lève d'un bond et quitte la chambre. Melanie ne bronche pas. Pour une fois, elle ne me suit pas.
Vingt-deux heures treize. Je suis dans la salle à manger, parfaitement apprêtée. J'ai enfilé un somptueux ensemble dont j'ai fait l'achat cet après-midi, ainsi que tous les bijoux que je suis capable de porter. Je grimpe sur la chaise. Je tire trois fois sur la corde que j'ai suspendue au lustre. Le nœud semble résistant. Ça devrait faire l'affaire. C'est la seule façon d'échapper à la morte qui me hante, je le sais. Je suis prête à n'importe quoi pour cela. Je passe la corde autour de mon cou et serre le nœud. J'inspire un grand coup, expire brièvement. Avec détermination, je donne un coup de talon dans le dossier de la chaise, qui tombe à terre. La chute est immédiate. Pendant une fraction de seconde, je vois ma vie défiler sous mes yeux et Melanie entrer dans la pièce. Elle se met à parler, extrêmement vite.
— Bravo, tu as fait le grand saut, Lauren.
Elle éclate de rire.
— Tu n'avais pas tort, peut-être que je suis juste le fruit de ton imagination. Peut-être que je suis plus exactement le fruit de tes remords. Du moins, si tu es capable d'en avoir. Tu sais, tu n'as pas fait de testament. Je me demande bien où va finir tout cet argent ! Tu t'es fait belle, à ce que je vois. C'est vrai, tu as raison. Une fois sous terre, tu n'auras plus grand chose à quoi te raccrocher. Tu vas te faire ronger par des tas d'asticots, tu vas pourrir, moisir. Je veux dire, au sens propre, cette fois. Tu vas voir, c'est une vraie partie de plaisir !
Je porte mes mains tremblotantes sur la corde et tente désespérément de la desserrer. Je crois que j'ai changé d'avis. Si je l'ai imaginée, j'ai fait tout ça pour rien. Et je ne veux pas perdre tout cet argent. Je ne peux pas partir sans testament ! Je veux être incinérée avec tous mes biens ! Je ne veux pas moisir ! Je ne veux pas être un sac d'os grignoté par les vers ! Mais ce nœud, je l'ai fait trop solide.
Melanie secoue son doigt devant moi.
— Uh, uh. Et quand tu seras morte, tu pourras passer l'éternité avec moi !
Un rire effroyable, voilà la dernière chose qui me parvient.
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