Message du passé

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Il me fit faire presque un quart du tour de la citadelle vers le levant, m’attirant de bouquets d’arbres en géants esseulés, d’oasis touffues en parterres floraux — Dieux que notre domaine était beau en cette période de l’année. Par amusement je suivis scrupuleusement ses pas, par quelque passage qu’il décidât d’emprunter. Je me retrouvai rapidement des pétales multicolores plein les sandales et mes franges parsemées de pollen parfumé.

De peur d’effaroucher Fantôme je préférai garder mes distances. La tâche était rendue aisée par le fait qu’il m’attendait à chacun de mes ralentissements. Cette balade impromptue hors des sentiers battus me permit de m’émerveiller de détails que je n’avais relevés jusque-là. Je remarquai par exemple plusieurs terriers bien camouflés. Des terriers dont je n’avais d’ailleurs jamais croisé les habitants. Peut-être étaient-ils eux aussi rompus aux bonnes mœurs, et par respect évitaient de souiller nos pelouses ?

Étrange pensée, qui me fit sourire alors que je contournais un orme centenaire. Dans son empâtement, certaines de ses branches chatouillaient les épaisses fondations de la courtine ouest. L’une de ses racines m’interpella de sa poigne sournoise et je faillis m’étaler. Ma chute avait-elle fait peur à mon guide, lorsque je me redressai je ne le vis nulle part. Je tentai bien de l’appeler par de ridicules miaulements imités — je n’ose imaginer la traduction qu’il en eût faite s’il les avait entendus —, il ne reparut pas. Déconcerté, j’avançai de quelques pas dans l’espoir de découvrir un défaut blanchâtre se détacher de la nature en éveil, sans résultat. Mon nouveau compagnon avait sans doute dû se fatiguer à m’attendre.

Aussi, attristé de l’avoir perdu, je me résignai à faire demi-tour avec le pressentiment de la difficulté qui serait mienne de me replonger dans mes lectures .

Je ne ferai pas de mystère : je revis Fantôme le lendemain, et au même endroit. Dire que je n’avais pas espéré sa venue aurait été mentir. Du reste, voir reparaître sa statique tache neigeuse dans la végétation frisotante eut sur moi un effet euphorisant. Non pas que suivre un animal inconnu fût devenu ma nouvelle passion mais, d’une façon que je ne pouvais m’expliquer, je remarquai que sa seule présence me mettait en joie. Un peu comme si était née entre nous, de notre unique et brève rencontre passée, une forme d’amitié. Et qu’on me flagelle si ce ne fut pas le cas, je crus voir se dessiner sur ses babines un semblable sourire de contentement !

Sans attendre qu’il ne m’invitât je me levai et fis le premier pas, auquel il répondit identiquement à la veille. Il me fit emprunter le même chemin, je pense, car il me sembla reconnaître ces terriers masqués, ses buissons embrouillés et ses protecteurs boisés. Je tombai d’ailleurs sur l’orme, que je reconnus également à sa vicieuse patte légèrement soulevée. Quels mystérieux passages allaient m’être dévoilés à partir d’ici ?

Je fus, à cet instant, importuné par un son impromptu. Il me provint de la droite, par-delà les étendues herbeuses où s’étendaient les profondeurs de notre domaine. Il se répéta et j’y discernai l’écho de lointains aboiements. Probablement les chasseurs de père, qui avaient débusqué du gibier pour le dîner. Évidemment, à cette distance je ne pouvais les voir. Je me demandais d’ailleurs pourquoi j’avais eu le réflexe de tourner mon regard dans leur direction.

Un regard que soudain je n’osai plus détourner, pris du désagréable pressentiment que si je refaisais face à…

Et mon intuition avait été bonne : Fantôme n’était plus là !

Affirmer que j’étais déçu serait euphémiste : je rageais ! Stupides chiens ! De dépit, je cognai l’orme du poing. Il n’en eut cure. Il avait raison, à quoi bon m’irriter. Le mal était fait et je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même. Quoique, j’étais aussi en droit d’en vouloir à ce guide par trop froussard !

Par contre cette fois, j’en étais certain, il me faudrait plus que quelques minutes pour réussir à me reconcentrer sur mes livres…

Le lendemain je décidai de prendre de l’avance sur Fantôme — j’étais persuadé que nous nous reverrions —, et me posai directement sous l’arbre témoin de mes deux déconvenues. Que ce fût par sa canopée majestueuse ou par l’imposante muraille qui nous bordait, l’endroit était trop ombrageux pour permettre une lecture aisée. J’en fis cependant mon affaire et patientai.

Une patience que je n’eus pas à éprouver bien longtemps. Cinq minutes après m’être installé il était déjà là, à me toiser du pied du mur. Plus près de moi d’ailleurs qu’aux occasions précédentes, détail que j’appréciai. Nous étions visiblement en train de nous apprivoiser mutuellement.

Me plaisant à penser être devenu son ami, je pris moins de précautions pour me lever et m’avancer dans sa direction. Il fit aussitôt un bond vers des fourrés voisins dans lesquels il disparut. Sa réaction m’avait surpris, mais moins que le fait de ne pas l’en voir ressortir. Intrigué, j’allai fouiller les buissons dans l’espoir de l’y déloger. Je ne réussis qu’à débusquer une famille de musaraignes apeurées.

Fantôme s’était volatilisé, de nouveau !

Contrairement à la veille, cette constatation cette fois m’amusa : après tout, quoi de plus naturel pour un animal portant ce nom ! Cela dit je n’étais pas plus avancé. Que m’avait-il pris de montrer tant de fougue ? J’en avais oublié qu’il s’agissait d’un chat sauvage, en dépit des liens qu’il eût voulu créer avec moi.

Oscillant entre frustration de devoir à nouveau attendre le lendemain et plaisir de constater qu’il m’était revenu une fois de plus, je reculai de quelques pas et me laissai choir dos à la maçonnerie. D’une manière générale je ne peux dire que je me sentais seul — après tout, j’étais constamment entouré d’une valetaille conséquente — mais, étant fils unique d’une famille plus que cossue, je manquais de ce qui pouvait s’appeler un véritable ami. Or, dans ce contexte, je n’aurais certes pas décliné la fidélité d’un animal de compagnie, même sauvage. C’était là l’une des seules récréations qui m’avait toujours été refusée par père.

Perdu dans mes pensées, il me fallut quelques instants pour ressentir la douleur provenant de mes reins. Lorsqu’elle en vint à me déconcentrer, je passai machinalement une main à sa source et sentis le moellon saillant qui la causait. Je me retournai pour le contempler. Il n’était pas que saillant, il était également déchaussé ! J’essayai de le remettre en place en le poussant mais il ne bougea pas. Alors, sans surprise, j’entamai le mouvement inverse… dont la facilité fut déconcertante ! Quelques instants plus tard, l’enfant qui sommeillait encore en moi fut ravi de voir la pierre massive délogée de son alcôve : il avait l’impression d’avoir déshabillé la citadelle sans qu’elle s’en fût rendu compte !

Le bloc extrait, je déposai sa dizaine de livres sur le sol et me penchai pour ausculter le trou béant. Le soleil, déjà caché par le décor, n’y pénétrait que timidement, et seulement sur quelques pouces. La blessure me semblait profonde, plus en tout cas que n’en laissait présager la taille du moellon qui l’avait obstrué. L’obscurité du fond y étant totale, je n’eus d’autre choix que d’y avancer la main, puis le bras, pour en sonder les mystères.

Mes yeux s’écarquillèrent au moment où mes doigts effleurèrent une surface qui n’était ni de la terre ni de la pierre. Je pensai aussitôt à un objet en métal ! Soudain pris par la fièvre de la découverte, je l’agrippai et le tirai à moi.

Une boîte ! Une vieille boîte rouillée, qui n’avait plus dû voir la lumière depuis une éternité !

Que faisait-elle là ? Mais plus encore, parmi les millions de blocs de la citadelle, par quel miracle avais-je bien pu tom… Non, il ne s’agissait pas d’un miracle. J’en eus la certitude au moment de me poser la question : Fantôme. Ce n’était pas un hasard si par trois fois il avait disparu dans les environs. Il m’avait conduit ici à dessein. Il avait voulu que je trouvasse cet endroit, que j’en excavasse le secret !

Je secouai la tête — quelle idée folle ! — avant de me focaliser sur ma trouvaille. Elle n’était pas cadenassée, mais sa décrépitude m’empêcha de l’ouvrir aussi promptement que je l’aurais souhaité. À force de presser cependant, son couvercle finit par céder, mais avec une telle brusquerie que je faillis lâcher prise. Son intérieur, expulsé en gerbe de petits objets, chuta dans l’herbe. Impatient, je déposai le contenant maintenant vide et partis à la recherche du contenu. Je retrouvai un dé à jouer en ivoire, un petit cheval de bois ciselé et une série de boutons bigarrés.

J’avais de toute évidence découvert un trésor : celui qu’un enfant avait caché là il y avait fort longtemps, probablement bien avant que je fus né !

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