Chapitre 3 - Isis

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Une semaine s'est écoulée depuis l'évaluation d'Obsidienne, et je dois accueillir sa co-star dans quelques heures, sans grand enthousiasme, je dois l'admettre.

Comme je le fais avec certains chevaux que j'accueille, j'ai décidé de ne pas faire de recherches sur ce Maël. J'ai besoin de me faire ma propre opinion sur lui, sans être influencée par les médias.

Je n'ai rien changé non plus dans mon petit appartement situé au-dessus des écuries. J'ai prévu de lui laisser ma chambre et de dormir sur mon canapé convertible. Comme je l'ai fait avec chaque personne que j'ai hébergée dans mon petit chez-moi.

Petit est vraiment le mot qui définit mon appartement.

Un escalier au fond de l'écurie mène à ma porte d'entrée. Mon appartement est minuscule, coincé au-dessus des écuries, mais il me suffit.

Un escalier en bois au fond du couloir mène directement à la porte. Passée l'entrée, on tombe sur le salon-cuisine : parquet brut, canapé convertible, petite télé fixée au mur. Une grande baie vitrée donne sur les boxes, et mon bureau est stratégiquement placé pour que je garde un œil sur tout : mes chevaux, les écrans de surveillance, et parfois, mes pensées.

La cuisine est simple et fonctionnelle. Un bar fait office de table à manger. Une fenêtre de chaque côté éclaire l'ensemble d'une lumière douce. Ma chambre, elle, est modeste mais douillette, avec un grand lit et le panier de Tess posté entre la fenêtre et moi.

J'y ai accueilli pas mal de monde, déjà. Ce n'est pas grand, mais c'est ici que je veille, que je soigne, que je vis. C'est mon centre nerveux.

J'ai actuellement cinq chevaux en pension, dont Obsidienne, en plus de mon troupeau personnel composé de chevaux invendables ou non adoptables. Ce sont mes rescapés, dirigés par mon tout premier cheval, Orion. Mon maître d'école. Celui qui m'a donné l'idée de cet endroit, et la volonté de sortir des méthodes traditionnelles.

C'est avec lui que Maël commencera son apprentissage. C'est un parfait juge de nature humaine. Un véritable comportementaliste, avec un don particulier pour pousser les humains à explorer des facettes d'eux-mêmes qu'ils ont enfouies.

La journée passe à toute vitesse. J'en ai presque oublié que j'attends quelqu'un, lorsqu'un cabriolet se gare à côté de mon 4x4 dans la cour, déclenchant les aboiements de Tess.

— Tess, au pied, la rappelai-je, avant de marmonner entre mes dents : Lui bouffe pas un morceau de mollet, je suis pas sûre que la production apprécierait.

Maël descend de son cabriolet sans un mot, des lunettes hors de prix sur le nez.
Il ne me regarde pas. Il se regarde dans la vitre.

Mon estomac se serre. Rien qu'à le voir, je sens que cette semaine va être longue.
Je me force à garder le visage fermé. J'essaie de rester neutre. Mais j'ai déjà envie de l'évaluer comme un cheval mal éduqué : trop de fierté, pas assez de respect.

Il finit par se tourner vers moi.

"— Bonjour Isis. Merci de m'accueillir chez vous pour cette semaine de test. Où est-ce que je peux déposer mes affaires ? La route a été longue, j'aimerais prendre une douche si c'est possible."

C'est poli. Distant. Un ton de standard téléphonique.

Je le fixe. Longuement. Il soutient mon regard, mais sa mâchoire se contracte. Je perçois le micro-mouvement, ce petit repli nerveux qui trahit plus qu'un discours.

Il me fatigue déjà. Et pourtant il n'a rien fait. Pas encore.

— Bienvenue. Bien sûr, je vais vous montrer votre chambre et la salle de bain. Suivez-moi.

Nous montons à l'appartement sans un mot. Il me suit simplement, son sac toujours sur l'épaule, lorsqu'il entre dans ma chambre. Je ne suis pas sûre qu'il ait compris qu'on va partager l'appartement.

— Je vous laisse ma chambre, je dormirai sur le canapé durant votre séjour. J'ai vidé la commode pour que vous puissiez y ranger vos affaires. La salle de bain est en face, et les toilettes juste à côté. Je vous laisse vous installer. Si vous avez faim ou soif, servez-vous. Faites comme chez vous, d'accord ?

— On pourrait peut-être se tutoyer ? Nous avons à peu près le même âge...

— Si tu veux. Le tutoiement est plus naturel pour moi aussi. Si c'est bon pour toi, je descends. Je serai dans les écuries si tu me cherches. La fenêtre du salon donne dessus. Tu me repéreras facilement.

— Merci pour la chambre, se contente-t-il de répondre.

Je hoche la tête et quitte la pièce. Son énergie est déplaisante. Il n'est pas franc. Il a une apparence froide, mais je sens qu'il est bien plus complexe. Je n'ai pas pour vocation de devenir sa psy, mais il va devoir se montrer plus vrai face à Orion, sinon il risque d'être mis à mal.

Je vaque à mes occupations, Tess sur les talons. Elle est tendue. Elle n'aime déjà pas quand j'accueille des gens qu'elle connaît, alors un inconnu...

Je passe de box en box, vérifiant que mes pensionnaires vont bien avant la nuit. J'arrive au dernier box quand Tess se met à grogner dans le couloir. Je passe la tête hors du box et aperçois Maël, hésitant au pied des escaliers.

— Tess, couchée, ça suffit ! Tu peux venir, elle ne te fera rien.

— J'ai l'impression que ma présence vous met toutes les deux aussi mal à l'aise, observe-t-il d'un ton neutre.

Je le fixe, surprise. Il ne me met pas mal à l'aise. Sa présence me dérange, oui. Son paraître et son manque de franchise me dérangent. Mais de là à me mettre mal à l'aise...

— Tess est simplement méfiante avec les inconnus. Elle n'a pas l'habitude que je reçoive du monde. Elle sera plus calme dans quelques jours. Et elle n'attaquera jamais, sauf si elle me sent en danger ou si je lui donne l'ordre.

— C'est une menace ?

— Crois-moi, mes menaces sont bien plus claires que ça. J'ai terminé pour ce soir. Demain, je te montrerai les tâches quotidiennes pour t'aider à cerner la journée type de ton personnage. Et je te présenterai également ton professeur. Avant de travailler avec Obsi, tu dois apprendre comment on se comporte avec un cheval.

— Mon professeur ? Je croyais que c'était justement pour l'être que Franck te paie.

Je me mords la langue pour ne pas lui balancer qu'aucune somme ne compenserait sa présence pendant sept jours.

— Remontons. Je vais faire à manger. Tu dois avoir faim.

— Effectivement, je meurs de faim. Mais comme tu m'accueilles chez toi et me laisses ton lit, je propose de cuisiner.

— Tu sais cuisiner ? lui demandai-je, dubitative.

— Eh bien oui, Miss Delcourt, je sais cuisiner.

— Très bien. Dans ce cas, je vais prendre une douche, et je te confie le contenu de mon frigo. Ne donne rien à Tess. On ne nous achète pas avec de la nourriture.

— L'idée ne m'avait pas effleuré, répond-il avec un sourire charmeur.

Je hausse un sourcil. Il essaie vraiment de me séduire ? Je contracte la mâchoire, siffle Tess et monte chercher des vêtements propres pour filer à la douche. J'en profite pour faire un shampoing et même me crémer le corps. En réalité, je retarde le moment de le rejoindre dans la cuisine. Mais je ne vais pas passer la soirée enfermée dans la salle de bain.

Je passe par-dessus Tess postée devant la porte, et m'installe sur un tabouret du bar, curieuse de voir ce qu'il a préparé.

Il me tourne le dos et remue des légumes dans une poêle, avant d'en faire glisser le contenu dans deux assiettes. Ratatouille, riz et brochettes de poulet. Parfait pour un soir.

— Je ne savais pas trop ce que tu aimais, ni si tu mangeais de tout. Je n'ai pas pris de risque, dit-il en me tendant mon assiette.

Je la saisis et nos doigts s'effleurent. Je n'aurais rien relevé si je n'avais pas perçu la tension immédiate dans son corps. Il est en apnée, ramène son bras vers lui un peu trop vite. Il a fui ce contact, pourtant innocent. Il ne donne pas l'impression d'être timide. Je détaille son langage corporel : son poing est fermé, les jointures blanchies, la mâchoire contractée, tout son corps tendu. Habituellement, c'est un signe de colère, mais son regard ne reflète rien de tel. Je plante mon regard dans le sien, cherchant à comprendre ce qu'il dissimule.

— Tu peux arrêter de me fixer comme ça ? grogne-t-il.

— Si tu m'expliques ta réaction, oui.

— Quelle réaction ? N'importe quoi ! J'ai pas eu de réaction particulière !

— Ton corps raconte autre chose, lui.

— Ah ouais ?

Il abandonne son air contrarié pour une posture de défi, contourne le bar, fait pivoter mon siège vers lui et se penche jusqu'à frôler mon nez, le regard planté dans le mien.

— Et tu aimerais que mon corps te raconte autre chose ?

Je reste parfaitement calme. S'il pense me mettre mal à l'aise comme ça, il se trompe lourdement. Tess grogne de plus en plus fort.

— Tess, couchée. Tu comptes me tester à chaque fois que je relève un truc qui t'échappe ? J'espère pour toi que tu as d'autres techniques d'intimidation, parce que là, clairement, tu ne m'impressionnes pas.

Il recule, surpris. Il m'observe, puis baisse les yeux, reprenant cette attitude hautaine que je commence à identifier comme une armure.

— Prends une assiette et assieds-toi, ou on va manger froid. Et ce serait dommage.

Il ne dit plus un mot pendant le repas. Son assiette devant lui, son téléphone en main, le corps légèrement tourné vers le mur. Le message est clair. Il est inutile d'insister, il ne veut plus me parler pour ce soir.

Quand il a fini, il se lève, met son assiette au lave-vaisselle, et lâche un simple :

"— Bonne nuit, Isis."

Il hésite une demi-seconde à refermer la porte de la chambre derrière lui.

Je reste seule, face à l'odeur encore tiède de la ratatouille et au vide qu'il laisse en quittant la pièce. L'atmosphère devient plus respirable. Je retrouve enfin la solitude et le calme que j'affectionne tant.

Ce type est un champ de mines. Et je sens que la semaine va être explosive.

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