Chapitre 4 - Maël

6 minutes de lecture

J'ai hésité une seconde en refermant la porte, et j'ai bien vu son regard. Un mélange étrange d'interrogation... et de soulagement.

Je n'ai jamais vu ce genre d'expression chez une femme à qui je refuse l'accès à ma chambre. Mais elle, elle me désarçonne complètement.

Elle vise juste. Rien ne lui échappe.

Je savais qu'elle lisait les chevaux comme des livres ouverts — elle l'a prouvé avec Obsi. Mais je n'avais pas envisagé qu'elle puisse aussi lire les humains avec la même précision.

Elle a vu mon geste de fuite. Compris que mes approches "séduction" étaient du bluff. Et respecté mon retrait pendant le dîner.

C'est déroutant. Presque inquiétant.

Ma façade, d'ordinaire impénétrable, ne fonctionne pas avec elle. Comme si elle captait mes émotions en direct.

Heureusement, pas toutes. Elle n'a pas senti à quel point j'ai eu envie d'elle... ou elle a fait semblant de ne pas voir. Parce que si elle avait répondu, ne serait-ce qu'un peu... je ne sais pas si j'aurais tenu.

Elle me fait ressentir un spectre d'émotions que je pensais avoir enterré.
Elle m'attire. Elle me fait peur.
J'ai la sensation qu'elle pourrait voir au travers de moi, s'immiscer dans ces zones verrouillées depuis des années.

Pas de sentiment. Pas d'attachement.
Je suis toujours clair : mes relations sont superficielles. Du sexe, du bon sexe, défoulant.
Pas de baisers tendres. Pas de câlins. Je ne dors pas avec elles, je ne m'inquiète pas de savoir si elles sont bien rentrées.
Je demande l'exclusivité, oui. Par précaution, pas par jalousie.
Leurs rêves ? Je m'en fous.
Dès que je vois qu'elles s'attachent, je coupe court.

Et je n'ai pas l'habitude qu'on me résiste. En général, je n'ai même pas besoin de jouer au charmeur.
Mais elle... Isis... sa réaction a été plus violente qu'une gifle.
J'aurais préféré une claque, honnêtement. Là, elle est restée calme, posée, ferme.
Et moi, j'ai joué au con. J'ai voulu remettre mon masque, mais trop tard. Elle l'a vu.
Alors j'ai opté pour le repli. Froid. Distant. En espérant qu'elle ferait un pas vers moi.
Mais non. Elle a respecté mon silence, me laissant cogiter dans mon coin. Comme une punition.
Et le pire... c'est qu'elle avait l'air parfaitement sereine.

Elle n'y pense probablement déjà plus, pendant que moi, je suis assis sur son lit, perdu dans mes pensées.

J'hésite à envoyer un message à Franck. À lui dire que je ne pourrai pas bosser avec elle.
Mais je connais sa réponse : "Prends sur toi. Elle est la meilleure pour ce job. Tu fais un caprice."
Et il aurait raison. Ce rôle, je l'ai voulu. J'ai insisté.
Franck a pris un risque en me choisissant, il me l'a dit. Je n'ai pas le droit de le planter.
C'est peut-être ma seule chance de casser cette image de playboy vide.
Je dois rester pro.

C'est ma résolution ce soir.
Arrêter de penser à ses lèvres. À son t-shirt trop fin. À l'odeur de sa crème. À sa peau.
Je secoue la tête pour faire taire ces pensées.
Non, Maël. Zéro contact visuel. Surtout pas de contact physique.

Je pourrais lui demander de porter un scaphandre pendant une semaine.
Elle le ferait peut-être...

Un rire m'échappe. Un vrai. Brut. Incontrôlé.
Ça fait longtemps que je n'ai pas ri comme ça. Et ça me trouble.
Comment elle peut provoquer tout ça en quelques heures à peine ?
Elle va me prendre pour un fou, à rire seul dans sa chambre.
Et depuis quand ça m'importe, ce qu'on pense de moi ?

Non. Je dois juste être fatigué. Ça doit être ça.

Je retire mon t-shirt et me glisse dans les draps.
Son odeur est partout.
Étrangement, elle m'apaise.
Et pour une fois... je m'endors sans peine.

_________________________________________________________________________

Ma nuit a été calme, sans rêve.
Des bruits de tasses et l'odeur du café me réveillent. Le soleil tape déjà contre la fenêtre. Combien de temps ai-je dormi ? D'habitude, je dépasse rarement les cinq heures par nuit. Je me lève tôt, je vais courir, je bois mon café, je prends une douche et j'attaque ma journée. Mais ici... je perds tous mes repères. Et étrangement, ce n'est pas désagréable.

Une légère boule au ventre me rappelle qu'elle est là, quelque part dans cette maison. Et que je vais devoir lui faire face. Je ne sais pas comment me comporter. Je devrais sans doute m'excuser pour hier soir. Mais je n'ai jamais su faire ça. S'excuser, c'est admettre une faute. Une faille.
Et les failles, je les garde bien enfouies.

Je décide de sortir de la chambre comme si de rien n'était. Laisser le contrôle, pour une fois. La laisser, elle, décider du ton. Si elle est froide, je l'accepterai. Je tenterai d'arrondir les angles dans la journée, de lui prouver que je suis ici pour apprendre. Peut-être qu'elle se contentera d'une relation strictement pro, sans chercher à creuser plus loin.

Je passe un jean, rien d'autre. Un petit avantage stratégique : si la vue de mon torse peut la troubler, elle gardera peut-être ses distances.

Dans la cuisine, elle prépare un petit déjeuner digne d'un brunch. Tartines, café, jus, œufs.
Le soleil éclaire ses cheveux aux nuances brunes, relevés en un chignon lâche. Quelques mèches échappées caressent ses joues, et j'ai une folle envie de les replacer derrière son oreille. Elle est dos à moi, écouteurs dans les oreilles, en train de fredonner doucement.

Je m'installe en silence sur un tabouret du bar, la regardant sans qu'elle ne m'ait encore repéré.
Ses gestes sont posés, maîtrisés. Aucune trace de nervosité. Elle n'est donc pas tendue à l'idée de passer la journée avec moi ? À croire qu'elle n'attend même pas que je me lève.

Elle s'étire doucement, dévoilant un bout de dos nu sous son t-shirt. Je déglutis. Elle porte un legging de sport qui épouse chaque courbe de ses cuisses et de ses fesses. Mon regard est attiré malgré moi. Impossible de décrocher.

"— Quand tu auras fini de mater mes fesses avec la subtilité d'un orang-outan, tu me diras si tu préfères le café ou le thé."

Je sursaute, pris la main dans le sac. Pourtant, son ton n'a rien de véritablement énervé. Juste une pointe de moquerie. Elle me fixe tranquillement en buvant une gorgée. Elle attend ma réponse.

"— Bonjour Isis. Je bois du café le matin."

J'ai tenté de paraître détendu, sûr de moi. Mais je sens bien qu'elle n'est pas dupe. Elle se retourne et me sert une tasse, sans un mot. Et moi, au lieu de regarder ailleurs, je laisse encore une fois mes yeux glisser là où ils ne devraient pas.

Je ferme les yeux. Reprends-toi, Maël. Reste pro.

L'odeur du café me ramène à la réalité. Quand je les rouvre, elle se tient devant moi, la tasse à la main. Elle attend que je la prenne. Sérieusement ? Elle ne pouvait pas la poser sur le plan de travail comme tout le monde ?

"— Allô, Maël ? Tu comptes la prendre ou faut que je la dépose avec une sous-tasse et un chocolat comme au resto ?"

L'agacement est léger, son regard doux. Elle n'est pas en colère. Elle veut juste une réaction. Je tends la main, mes doigts frôlent les siens. Trop longtemps. Je me recule aussitôt, un bras croisé sur la poitrine. Je me sens idiot de ne pas avoir enfilé de t-shirt.
Qu'est-ce que je croyais ? Que mes abdos allaient la désarmer ? Elle ne leur a même pas jeté un œil. C'est presque vexant. Elle, elle regarde dans les yeux.

— Quand tu auras fini de petit-déjeuner, et que tu seras habillé décemment, tu pourras me rejoindre en bas. Je serai à l'écurie, je sors les pensionnaires au paddock pour la journée. Ensuite, on ira voir mon troupeau, je fais un check chaque matin. Puis les box. Prends une tenue à laquelle tu ne tiens pas trop. Tu vas te salir. À tout à l'heure !

Elle siffle Tess, qui surgit aussitôt, et me laisse là sans attendre de réponse.

Je n'ai visiblement pas voix au chapitre.
Et pour un accro du contrôle comme moi, c'est un vrai défi.

Annotations

Vous aimez lire A Srd ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0