Chapitre 6 - Maël
La matinée s'est finalement bien déroulée.
Après la petite mise au point d'Isis, j'ai réussi à me concentrer sur autre chose que l'envie de lui arracher ses vêtements.
Il faut dire que me prendre un « tu n'es pas mon style » en pleine figure a bien aidé. Je ne suis pas du genre insistant, et je peux comprendre de ne pas plaire à une femme. Surtout une femme aussi exceptionnelle qu'elle.
Je n'ai pas non plus cherché à nier quand elle a dit que je ne lui plaisais pas. Inutile de lui faire part de mon attirance pour elle.
J'ai découvert une Isis patiente, taquine, pédagogue... et surtout passionnée. Elle est captivante. Le fait qu'elle soit naturellement belle sans en avoir conscience ne fait qu'ajouter à son charme.
J'ai l'impression qu'elle aussi ressent une certaine ambivalence à mon égard. Par moments, elle semble agacée, à d'autres, attendrie.
On mange en discutant. Elle a ce don de me mettre suffisamment à l'aise pour me donner envie de parler. Elle me fait rire, et peu à peu je sens mon masque tomber. Inutile avec elle. La plupart du temps, elle voit clair dans mon jeu, et loin de se braquer quand elle décèle mes failles, elle les accueille sans jugement, se contentant de poser des limites si nécessaire.
Après le repas, elle m'emmène au rond de longe couvert et y lâche Orion.
Je les observe quelques minutes. Leur complicité est évidente — plus encore à pied que lorsqu'elle l'a monté sans rien pour le ramener du pré. Il la couve du regard. Et elle lui parle plus doucement qu'à quiconque.
Elle m'explique rapidement ce qu'elle attend de moi pour cette première séance : le faire marcher au pas sur la piste, plusieurs tours, puis le rappeler au centre.
Elle me montre les gestes, les postures à adopter, et me fait une démonstration avec un Orion parfaitement calme et connecté. On dirait qu'il lit dans ses pensées.
Lorsqu'elle me cède sa place, je suis confiant. Ça n'a pas l'air bien compliqué.
Mais son petit sourire en coin en observant Orion me fait douter.
Je lui indique la piste, en jouant le gars décontracté et sûr de lui. Pas question de perdre la face.
Orion ne bouge pas d'un millimètre. Il me fixe, la tête haute, l'air royalement indifférent.
J'insiste un peu, balance même un « il a bugué devant ma belle gueule, ton cheval », histoire de faire passer le malaise. Il me lance un regard de profond dédain qui déclenche un rire sincère d'Isis.
— Ok Maël, dit-elle, il ne bougera pas tant que tu ne te montreras pas sincère et respectueux avec lui. Et là, on sait tous les trois que tu as remis ton masque de beau gosse prétentieux parce que tu es mal à l'aise et que tu as peur d'échouer.
Je me retourne vers elle, sidéré. Pas une once de moquerie. C'était juste une consigne.
Je soupire, baisse les épaules, et me recentre sur Orion qui, enfin, m'observe.
Je lui indique timidement la piste, priant pour une réaction. Il se déplace lentement vers le bord, puis s'arrête.
Pas génial, mais un début.
J'insiste davantage. Il part au trot, secoue l'encolure : je l'agace.
— Il faut que tu demandes poliment et que tu doses, Maël. Là, tu t'es presque excusé, puis tu lui as foutu un coup de pied au cul. C'est impoli et incohérent. Baisse ton énergie.
Je souffle. Elle m'énerve à tout commenter. « Baisse ton énergie »... mais qu'est-ce que ça veut dire, putain ?
Je suis Maël Desprès, acteur reconnu, et je suis là, à me faire humilier par un cheval et sa propriétaire insupportable ?
Elle continue à m'envoyer des consignes. Plus elle parle, plus je me sens nul, rabaissé, frustré. Mon ego prend cher. Et la peur d'échouer est bien là.
— Arrête de cogiter et de t'énerver ! Détends-toi, souffle, ça va aller, Maël. Arrête de te comporter avec lui comme un petit con prétentieux. Il attend juste de toi que tu sois cohérent et juste dans ton langage corporel.
Là, c'est trop. Je lui fais un doigt d'honneur.
— Et celui-là, il est cohérent ?
Elle lève les yeux au ciel.
— Oui, cohérent, impoli, mais cohérent. Maintenant, tu veux bien essayer de m'écouter pour qu'on puisse avancer ?
Je me ferme comme une huître. Je sais qu'elle a raison, mais j'ai du mal à lâcher prise.
Elle entre dans le rond, s'approche. J'évite son regard, les sourcils froncés.
Elle pose une main sur ma joue. Je me dégage brutalement.
Ce contact me bouleverse. C'était doux. Ferme. Tendre. Et ça me fait peur.
— Maël, regarde-moi. Je suis là, avec Orion, pour t'aider. Pas pour te juger. Je ne te demande pas de tout réussir du premier coup. Juste de progresser. Échouer, ce n'est pas grave. Ce qui l'est, c'est de ne pas essayer. On essaie ensemble ?
Mon premier réflexe : fuir. Prendre mes affaires, mon cabriolet, et me tirer loin.
Mais une part de moi, de plus en plus grande, n'en a pas envie.
J'ai envie qu'elle repose sa main sur ma joue. Qu'elle continue de me parler doucement.
Qu'elle apprivoise cette part de moi que j'ai toujours cachée.
— Maël ? murmure-t-elle. Dis-moi de quoi tu as besoin. Comment je peux t'aider. Mais ne te referme pas à double tour.
— Je veux bien que tu m'aides... finis-je par murmurer. Je ne comprends pas ce que tu attends de moi. Je ne comprends pas ce que je dois faire...
— D'accord. Ferme les yeux. C'est quelque chose que tu dois ressentir. Ce n'est ni du contrôle, ni de l'image. C'est un dialogue entre ton corps et le sien. Quand je te dis d'augmenter ou de baisser ton énergie, ça vient de là, pas de ta tête.
Tout en parlant, elle pose une main sur mon torse, l'autre sur mon ventre.
Si elle commence à me tripoter, je vais avoir du mal à me concentrer.
— Je vais te montrer, d'accord ? Tu vas poser tes mains sur mon ventre et sur mon plexus. Comme ça, tu sentiras comment je respire. Et comment mon corps communique avec Orion.
— Tu veux que je... quoi ??
— Oh, ça va Maël ! Grandis un peu ! Je ne te fais pas des avances, j'essaie de t'expliquer quelque chose !
J'obéis à contrecœur, tâchant de garder un air blasé. Elle se place dos à moi, les yeux rivés sur Orion.
Je glisse une main sur son ventre, l'autre juste sous sa poitrine, au creux tiède de son plexus.
Sa peau vibre légèrement sous mes doigts. Je sens les battements de son cœur, profonds, rapides.
Et soudain, je ne pense plus à rien d'autre.
Elle inspire profondément. Son dos frôle mon torse. Ses hanches effleurent les miennes.
Tout est devenu silencieux, comme suspendu. Mon regard s'égare vers la courbe de sa nuque, la naissance de ses épaules, les mèches folles de sa queue-de-cheval.
— Concentre-toi, murmure-t-elle. Tu sens la différence ? Quand je respire ici, ça envoie un signal clair à Orion. Quand je change de rythme, il s'adapte. Tu comprends ce que je veux dire ?
Non.
Je n'entends plus rien.
Le monde s'est réduit à ses cheveux qui effleurent ma joue, à la chaleur de son corps contre le mien, à ses lèvres qui bougent à quelques centimètres de mon visage.
Elle tourne un peu la tête pour me regarder. Ses yeux croisent les miens. Son souffle frôle ma joue.
Je n'ai plus aucune défense.
Son regard glisse un instant vers mes lèvres, avant de revenir à mes yeux.
C'est minuscule. Presque imperceptible.
Mais c'est de trop.
Je perds le contrôle.
Je l'attire brusquement contre moi, mes mains enserrent sa taille, et j'écrase mes lèvres contre les siennes.
Elle se tend un instant, surprise...
Puis ses mains se posent contre mon torse. Pas pour me repousser.
Pour s'y ancrer.
Son corps se fond contre le mien. Son baiser me répond, avide, fébrile.
Le goût de sa bouche me fait chavirer.
Je suis foutu.
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