Chapitre 10 - Maël
Je suis réveillé depuis l’aube, allongé dans ce lit où flotte encore son odeur. J’ai les nerfs à vif, les muscles tendus, comme si j’avais couru toute la nuit. Le désir me tord les tripes, mais ce n’est pas juste du désir. C’est plus sale. Plus compliqué. C’est ce foutu mélange entre la frustration, la peur de l’avoir perdue, et cette certitude insupportable qu’elle m’a déjà échappé.
Je repense à la veille. À son souffle contre ma joue. À ce moment suspendu où j’aurais pu l’embrasser, où elle ne m’aurait pas repoussé. Mais elle a reculé. Et je suis resté là, con, à fixer une porte qui se refermait doucement.
Elle a eu raison, bien sûr. C’est ce qui m’agace le plus.
Je descends sans bruit. Torse nu, juste un jogging, le cœur battant plus vite que je ne veux l’admettre.
Elle est là, comme prévu. Toujours debout avant moi. L’eau chauffe, Tess à ses pieds. Elle ne s’est même pas retournée en m’entendant descendre.
Elle est en legging et t-shirt, les cheveux relevés à la va-vite. Son dos nu se devine par la transparence du tissu. Elle a ce port, cette posture naturelle qui me rend fou. Forte, droite, ancrée. Et pourtant, tout en elle appelle le contact. Ma main me démange.
J’avance. Un pas. Puis un autre.
— Bonjour, dis-je, la voix plus grave que je ne l’aurais voulu.
Elle tourne à peine la tête.
— Salut.
Son ton est neutre. Pas froid. Mais pas accueillant non plus.
Je me rapproche encore. Juste assez pour sentir la chaleur qui émane d’elle. Je pourrais tendre la main. La poser sur sa hanche. L’embrasser dans le creux de l’épaule.
Mais je me retiens.
Pour une fois.
— Tu n’as rien dit, hier soir.
Elle s’immobilise. Puis repose la cuillère en bois sur le plan de travail avec un soin presque théâtral. Elle se retourne, lentement.
Nos regards se croisent.
Un frisson me traverse de la nuque au ventre.
— Il n’y avait rien à dire, Maël.
Mais ses yeux la trahissent. Il y a ce quelque chose en elle que je commence à connaître : ce calme qui masque le chaos. Ce silence qui crie. Ce contrôle qui la protège… et me repousse.
— Tu crois vraiment ça ? Que ça ne voulait rien dire ? Ce qu’il s’est passé ? Ce qu’il aurait pu se passer ?
Je fais un pas. Elle ne recule pas.
Mes doigts effleurent son bras. Sa peau est chaude, douce, vivante. Elle me brûle rien qu’à l’effleurer.
Je cherche ses yeux. Elle soutient mon regard. Ne cille pas. Mais elle a cessé de respirer.
Je pose ma main sur sa hanche. Tout doucement.
Pas pour prendre. Pas pour provoquer. Juste pour la sentir.
— Dis-moi non, soufflé-je.
Rien. Juste ce putain de silence.
Mon autre main remonte, frôle ses côtes, se pose sur sa nuque. Je penche la tête, lentement, millimètre par millimètre, jusqu’à ce que nos lèvres soient si proches que je peux sentir son souffle se mêler au mien.
— Dis-moi d’arrêter, Isis.
Mais elle ne dit rien.
Alors je l’embrasse.
Ses lèvres sont d’abord immobiles. Mais en une seconde, elle répond. Et tout s’accélère.
Son souffle s’accroche au mien, sa main glisse le long de mon torse nu. Elle se hisse légèrement sur la pointe des pieds pour mieux m’atteindre, comme si soudain, il n’y avait plus d’espace, plus de raison, plus de retenue. Juste l’instinct. Juste nous.
Je glisse mes mains sous son t-shirt, caressant cette peau tendue sous mes doigts. Ses muscles frémissent à mon contact, et son ventre se contracte quand mes pouces remontent doucement vers sa poitrine.
Elle gémit dans ma bouche, un son presque inaudible, mais qui m’enflamme.
Je me recule d’un pas, l’entraînant avec moi, jusqu’à ce qu’elle vienne se coller contre moi, sa poitrine écrasée contre mon torse, nos souffles mêlés.
Je la plaque doucement contre le plan de travail. Ma main s’aventure sous son legging, frôle la courbe de sa hanche. Elle attrape ma nuque, agrippe mes cheveux, répond à chaque geste avec une ardeur contenue, tendue. Elle est là, entière, sans calcul.
Je sens ses ongles s’enfoncer dans ma peau. Ses lèvres quittent les miennes pour venir glisser contre ma mâchoire, puis sous mon oreille. Je ferme les yeux, en apnée, la gorge serrée. Je pourrais exploser rien qu’à cette caresse-là.
Ma main glisse sur sa hanche, vers la courbe de sa fesse. Je la soulève légèrement, la faisant basculer contre moi. Son souffle devient plus rauque, son bassin s’aligne au mien dans un frisson qui me laisse à vif.
— Dis-moi de m’arrêter, Isis… soufflé-je contre sa gorge.
Mais elle ne dit toujours rien. Alors je continue.
Je glisse ma bouche dans le creux de son cou, là où sa peau est fine, où son parfum est plus présent. J’y dépose un baiser, lent, appuyé.
Elle se cambre. Et je sens qu’elle est au bord. Elle va basculer.
Alors, je vais plus loin. Mes mains quittent sa taille et remontent sous son t-shirt. Je le fais glisser doucement, lentement, dévoilant son ventre, puis ses côtes. J’ai les doigts qui tremblent.
Je relève les yeux vers elle.
Et c’est là que je le vois. Le doute. La fracture. L’ombre qui passe dans son regard.
Elle repose ses mains sur mon torse. Son souffle est encore chaud, son regard encore embué… mais ses paumes deviennent fermes.
Elle ferme les yeux une seconde. Inspire profondément.
Et me repousse. Doucement. Mais fermement.
— Stop, Maël. Arrête.
Je fige. Son t-shirt retombe. Mes mains s’immobilisent sur ses hanches.
Je recule d’un pas, le cœur en vrac, le corps encore en feu. Elle ne m’a pas frappé. Elle n’a pas crié. Mais je sens chaque mot comme une gifle douce.
— Je peux pas… pas comme ça. Pas maintenant.
Elle détourne le regard. Elle remet une mèche de cheveux derrière son oreille. Elle évite mes yeux comme si elle n’arrivait pas à respirer en me regardant.
— Tu crois que j’en ai pas envie ? Tu crois que j’ai pas envie de me perdre là, tout de suite, avec toi ?
Elle serre les poings.
— Mais si je le fais… je perds le contrôle. Et j’en ai trop payé le prix, Maël. Tu comprends ?
Je hoche lentement la tête. J’ai la gorge serrée. Je suis au bord d’un “pardonne-moi” que je retiens de justesse, parce que je ne sais même pas pourquoi m'excuser exactement.
Elle se recule encore, me contourne, attrape un verre d’eau. Bois une gorgée. Pose le verre.
— J’ai besoin d’espace, dit-elle simplement. Je vais prendre l’air. Occupe-toi d’Obsi ce matin. Je t’ai laissé les consignes sur la table.
Et elle s’en va.
Pas brutalement. Pas fâchée. Mais fermée. Rattrapée par quelque chose que je ne maîtrise pas.
Et merde… je ne sais pas si je l’ai fait fuir ou si je viens, malgré moi, de la blesser encore plus.
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