Chapitre 12 - Maël
Ça fait quelques jours que je suis parti maintenant.
Et aucune nana ne m’a jamais autant manqué.
J’ai du mal à me concentrer sur mon script. À retenir mes répliques.
Je regarde mon téléphone toutes les dix minutes comme un ado en crush. Et le pire ? Elle ne répond presque pas.
Isis n’est pas du genre à envoyer des cœurs ni à relancer. Moi qui suis habitué à être harcelé par mes conquêtes, c’est plutôt l’inverse.
Je ne me reconnais plus.
Et ça ne s’arrête pas là.
Quand elle m’a dit qu’elle allait dormir à l’hôtel pour voir un client, deux sentiments ont débarqué comme un uppercut : la jalousie et la peur.
La jalousie, moi. Et pas du bon côté.
Je me suis fermé. J’ai répondu froidement, à peine quelques mots.
Elle a compris. Et elle s’est renfermée aussi.
Et putain, ça m’a fait mal.
Alors, comme toujours quand je déconne, j’appelle mon meilleur ami.
Mon agent. Mon filet de sécurité : Bastien.
Il me connaît depuis toujours. Il a cru en moi avant que je sois quelqu’un.
Il m’a vu galérer, briller, me vautrer. Et il est toujours là.
Bastien, c’est le type multitâche, toujours un téléphone dans une main, un dossier dans l’autre, avec un humour plus sec que son café.
Il ne supporte pas les caprices de star — encore moins les miens.
C’est pour ça que je redoute autant de l’appeler que j’ai besoin de le faire.
Je compose. Deux sonneries.
Il décroche déjà blasé.
— Maël. Si c’est pour me dire que tu veux faire un film d’auteur en noir et blanc avec un cheval qui parle, raccroche tout de suite.
— J’ai déconné…
— Attends, laisse-moi m’installer. Je sens que ça va être mon appel préféré de la semaine.
— Je suis sérieux.
— Ça me fait encore plus peur. Qu’est-ce qu’il se passe ?
— J’ai un problème.
— Si c’est une MST, appelle ton médecin. Si c’est une grossesse, appelle la mère. Si c’est émotionnel… soupir ,OK, vas-y.
— J’ai couché avec elle. Enfin… non. Mais presque. Plusieurs fois. Et je crois que je perds pied. Elle me rend fou, Bastien. Et le pire, c’est que je crois que j’aime ça.
— Maël, tu veux une alarme incendie ou un seau d’eau froide ? T’es à deux doigts d’en faire un poème dans ton journal intime.
Un temps.
Elle, c’est la nana du centre équestre, c’est ça ?
— Isis. Ouais. Mais c’est pas ce que tu crois.
— Ah pardon. Je croyais que t’étais en immersion pour jouer un gars qui murmure à l’oreille des chevaux. Pas pour murmurer des conneries à l’oreille de la dresseuse.
— Elle me fout en vrac, Bastien. C’est pas juste physique. J’ai jamais ressenti ça. Elle me voit, tu comprends ? Elle grille tout. Mes masques, mes conneries, mes fuites.
— Donc, résumons. Tu vis en quasi huis clos avec une femme magnifique, tu nous fais une comédie romantique équine où t’es le héros paumé et elle, la dresseuse qui te sauve de toi-même… et tu veux me faire croire que tu gères ? Maël, tu veux que je t’envoie un coach émotionnel ?
— On a tenté de poser des règles. Un statu quo. Pas de relation, pas de couple. Juste… ce qu’il y a. Sans mettre de nom dessus.
— Ah ouais, génial. L’entre-deux affectif, la spécialité des gens qui veulent souffrir avec classe.
Et donc, vous tenez ce deal… en vous effleurant accidentellement tous les quarts d’heure, c’est ça ?
— C’est plus fort que moi. Chaque fois je me dis "je me tiens", et chaque fois je me retrouve à deux doigts de l’embrasser. Ou pire.
— Tu couches pas avec elle, tu couches presque, tu t’en veux, tu pars, tu veux revenir.
C’est pas une relation, mec. C’est une boucle Spotify émotionnelle.
— Je suis paumé.
— Non. T’es raide dingue. Et t’as peur de ce que ça implique. Comme d’hab.
Tu veux mon avis pro ?
— Toujours.
— Tu retournes là-bas. Tu fais ton taf. Tu respectes ce que vous avez posé. Et tu fais preuve d’honnêteté. Pas ton numéro de séducteur écorché. Pas le mec qui balance trois phrases profondes pour fuir après.
Tu veux pas qu’elle t’aime pour le rôle. Tu veux qu’elle t’aime pour toi.
Alors arrête de jouer.
— Et si elle veut pas de moi, au final ? je souffle.
— Alors au moins, pour une fois dans ta vie, t’auras pas fui. Tu te seras battu pour un truc réel. Et crois-moi : ça vaut le coup. Même quand ça fait mal.
Je reste silencieux quelques secondes.
Puis je soupire, longuement. Comme si je venais de poser une valise que je traînais depuis trop longtemps.
— Merci, Bast.
— Toujours là pour te foutre des claques verbales quand t’en as besoin.
Maintenant, respire. Et prépare-toi à être un peu moins con la semaine prochaine.
On se voit ce soir.
Il raccroche sans attendre de réponse.
Je fixe l’écran.
Je ne sais toujours pas comment revenir vers elle.
Mais une chose est sûre : il va falloir que je le fasse.
Et peut-être que cette fois, je le ferai bien.
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Le soir venu, je me pointe devant le rooftop où on a nos habitudes. Un mélange de resto chic et de club sélect.
Des paparazzi campent déjà devant l’entrée, prêts à mitrailler. Ils me flashent dès que je descends de voiture. Je ne leur accorde pas un regard, ne réponds à aucune question et me faufile à l’intérieur sans traîner.
Bastien est déjà installé, les yeux rivés à son téléphone, ses doigts tapant à une vitesse hallucinante sur le clavier.
Je m’assieds en face de lui et attaque direct :
— Bastien, faut que je te parle d’un autre truc… et promets de pas te foutre de moi, ok ?
— Je promets rien, mais vas-y. T’as déjà grimpé à cru sur la pente glissante du sentiment, autant continuer.
Je soupire. Puis je me lance.
— Isis m’a dit qu’elle devait voir un client, un cheval compliqué, et qu’elle allait dormir à l’hôtel. Et là… j’ai vrillé. J’ai réagi comme un con : froid, distant. Trois mots, pas un de plus. Elle l’a senti tout de suite.
— Jalousie. Le grand frisson de la maturité émotionnelle. Félicitations, t’as débloqué le niveau 12.
— C’était pas juste ça. J’ai flippé. Pour elle. Je me suis imaginé plein de trucs débiles. Et j’ai détesté cette sensation d’impuissance. J’étais à des bornes… et je pouvais rien faire.
— Donc t’as flippé, t’as fermé la boutique, et elle s’est braquée. Logique. Elle a dû croire que tu lui faisais une crise de possessivité genre “c’est qui ce client ?”.
— Exactement. Et elle l’a mal pris. Alors que j’étais juste… inquiet. Et, ouais, un peu jaloux.
— OK. Et maintenant tu veux t’excuser, lui dire ce que t’as ressenti. Mais tu sais pas comment faire sans avoir l’air d’un mec qui panique face à ses émotions.
— Voilà. Tu me connais trop bien, c’en est flippant.
— Parce que tu répètes les mêmes schémas depuis dix ans, mec. Tu veux qu’elle comprenne ? Dis-le simplement. Pas de poème, pas de scène dramatique. Juste un message clair. Genre : “Je suis désolé. J’ai réagi comme un con. C’était pas contre toi. J’ai eu peur. Et je crois que tu me touches plus que je veux bien l’admettre.”
— Tu crois que je peux lui dire ça, comme ça ?
— Si tu veux qu’elle voie l’homme derrière le masque, ouais. Sinon, continue à jouer les inaccessibles… et prépare-toi à ce qu’elle s’éloigne pour de bon.T’as le choix, Maël. Soit tu t’ouvres sincèrement, soit tu la perds.
Je hoche lentement la tête.
— Putain… je vais lui écrire.
— Bien. Et fais court. Pas de roman. Pas de double lecture. Juste toi, brut, sans fioriture. Et pour l’amour du ciel, évite les emojis.
Je souris faiblement, puis sors mon téléphone.
Aucun message d’Isis évidemment. Mon pouce hésite, tremble presque. Puis je tape :
Je crois que j’ai réagi comme un con l’autre jour.
Je n’ai pas su te dire ce que je ressentais.
Tu m’as manqué cette semaine.
J’aimerais rattraper ça. Quand tu seras prête.
Je l’envoie sans attendre.
Et reste là, téléphone en main, la boule au ventre.
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