Chapitre 16 - Maël
J’ai dit à Isis que je l'appellerais ce matin. Mais je stress. J’ai peur qu’elle me repousse, peur qu’elle ne veuille plus me voir.
Hier je l’ai senti au bord du gouffre, quelque chose en elle s’est réouvert, c’était palpable. Sa détresse m’a foudroyé. J’ai eu soudain envie de la prendre dans mes bras, de la garder contre moi, de la protéger de cette menace que je perçois sans arriver à en comprendre vraiment les tenants et aboutissants.
Elle a l’air perdue, blessée, fragile, et c’est tellement loin de ce que je connais d’elle que ça me fait peur. Elle a été mon socle stable pendant ma première semaine chez elle, une présence rassurante, forte, quasiment inébranlable.
Les rôles s’inversent, et je doute de mes capacités à l’être à mon tour pour elle.
Je ne sais pas le faire, ou plutôt je ne sais pas si je sais le faire. J’ai toujours fuis ce genre de situations. Trop occupé par mes propres failles pour avoir envie de penser celles des autres. Mais elle, elle est différente. Et la sentir dans cet état est insupportable. Ne rien faire m’est impossible.
J’ai besoin de conseils sur comment m’y prendre, je ne dois pas me louper où je risque de la perdre sur un appel. Et je connais la bonne personne pour me conseiller : Bastien.
Je compose le numéro de Bastien. L’appel est décroché au bout de deux tonalités.
— Tu sais que c’est dimanche matin ? J’espère que t’appelles pour un Oscar ou pour m’annoncer que tu deviens moine. me répond Bastien d’une voix ensommeillée
— Bast… j’ai besoin de ton aide.
Je l’entends soupirer.
— Évidemment. Quelle catastrophe émotionnelle on tente d’éviter aujourd’hui ?
— C’est Isis. Elle va pas bien. Et je crois que j’ai jamais eu aussi peur de dire une connerie au téléphone.
— Elle va pas bien comment ? Elle t’a dit quelque chose ? me demande-t-il instantanément plus alerte
— Non. Enfin, si, un peu. Mais c’est plus ce que j’ai senti. Y’a quelque chose de brisé en elle, quelque chose qui s’est rouvert. Et je suis paumé. Elle a toujours été la forte, la solide. Et là, c’est comme si elle avait perdu ses repères. Et moi avec.
— Ok. T’as fait quoi, toi, quand t’as senti ça ? analyse-t-il.
— Rien. Enfin, j’ai voulu l’appeler, mais j’ai flippé. J’ai pas voulu l’enfoncer. J’ai peur de mal faire.
— Première chose : t’as eu l’instinct de reculer au lieu de t’imposer, c’est pas si con. Deuxième chose : t’as pas besoin d’avoir toutes les réponses. T’as juste besoin d’être là. Pour de vrai. Pas avec un discours. Avec ton écoute.
Je réfléchis une seconde et lâche à voix basse :
— Et si je suis pas assez ? Si je fais pire que mieux ?
— Alors tu feras mieux la fois d’après. C’est ça aimer quelqu’un, Maël. C’est pas être parfait. C’est être présent, même quand t’as peur. Surtout quand t’as peur.
— Tu crois que je devrais lui dire quoi ?
— Dis-lui que t’as vu qu’elle allait pas bien. Que t’es là si elle a besoin. Que t’attends rien d’elle, à part la vérité. Et que tu veux juste qu’elle sache qu’elle compte pour toi. Pas besoin d’un monologue. Juste une main tendue. Une vraie.
— Putain, t’es bien meilleur en psy qu’en agent.
Bastien ris brièvement :
— Et toi, t’es bien meilleur acteur qu’amoureux. Mais t’en fais pas, ça va s’équilibrer.
— Merci, mec.
— Va l’appeler, abruti. Et essaie de pas lui lire du Shakespeare par accident.
Il raccroche. Je prends une profonde inspiration, ris nerveusement. C’est le moment. Je dois me lancer. D’abord tâter le terrain, essayer de voir comment elle va se matin, puis proposer ma présence, sans m’imposer, sans rien forcer. Et si elle refuse…être présent à distance, la laisser décider quand elle sera de nouveau prête à me voir.
Je compose le numéro. Deux tonalités. Elle décroche d’une voix douce, légèrement fatiguée.
— Allô ?
— Salut, c’est moi. Je… j’espère que je tombe pas mal.
— Non, t’inquiète. Je viens juste de finir mon thé avec ma mère.
— Alors je te dérange pendant un moment important. J’essaierai d’être à la hauteur.
Isis lance un petit rire, fragile mais sincère :
— C’est déjà mieux que ce que je redoutais.
— Je voulais juste savoir comment tu allais. Vraiment. Si la nuit t’a un peu reposée… si tu veux parler ou juste que je t’écoute. repris-je plus sérieusement.
Isis laisse un court silence :
— Ça va un peu mieux. Être ici me fait du bien. Et mes parents sont là, c’est apaisant.
— Je suis content que tu sois entourée. Tu mérites d’être bien entourée, Isis.
Un silence s’installe, chargé d’émotion. Puis elle inspire profondément.
— Maël… Je… Je me disais… Si tu es libre… Tu pourrais venir manger ici, à la maison. Ce midi. Mes parents t’invitent. Mon père préfère que je ne rentre pas seule. Et je… j’aimerais que tu sois là.
— Évidemment. Je viens, avec plaisir. Je serai là dans deux heures, ça te va ?
— Oui. Et Maël ? dit-elle doucement.
— Oui ?
— Pas besoin d’en faire trop. Sois juste toi. C’est déjà beaucoup.
Je souris.
— Alors je viendrai comme je suis. Et je promets de ne rien casser. Même pas les silences.
Isis lance un petit rire :
— Parfait. À tout à l’heure.
— À tout à l’heure, Isis.
Est ce que je viens réellement d’accepter de rencontrer ses parents alors qu’on est pas vraiment ensemble ? Absolument. Est ce que j’ai déjà rencontré les parents de qui que ce soit ? Bien sûr que non. Je ne suis qu’un imbécile pris à son propre jeu. Un imbécile qui va devoir assurer.
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