Chapitre 17 - Isis

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J’attends fébrilement l’arrivée de Maël. J’ai la trouille. Le seul homme que j’ai présenté à mes parents, c’était Gabriel. Et on ne peut pas dire que Maël soit le plus présentable des deux. J’espère fermement qu’il ne mettra pas son masque de petit con arrogant… pas plus que celui glacialement hautain. Ni la carte du mutisme poli… C’était une très mauvaise idée. Et s’ils le détestent ? Je pense que ma mère saura voir sous sa carapace, mais mon père… c’est une autre histoire. Il risque de le tester, de le pousser dans ses retranchements. Et je ne suis pas certaine que Maël soit assez solide pour ça.

Le crissement des pneus sur le gravier de la cour me fait sursauter. Je me dirige vers la porte d’un pas crispé. Il sort doucement de son véhicule, referme la portière sans précipitation. Un court instant, il se contente de me regarder. Pas un mot. Pas un sourire forcé. Juste la présence de l’autre, tangible, comme un souffle retenu. Maël s’approche lentement. Il s’arrête à un mètre de moi. Je relève les yeux vers lui. Mon cœur tape dans ma poitrine avec une violence déraisonnable.

— T’es venu, murmuré-je.

— Tu me l’as demandé, souffle-t-il avec une douceur rare. Il n’y avait nulle part d’autre où je voulais être.

Un silence encore. Puis, sans réfléchir, je fais un pas. Il ouvre les bras, juste assez pour que je m’y glisse, sans me tirer à lui. Je m’y niche brièvement. Pas un vrai enlacement. Juste un contact, nécessaire, fragile. Son odeur me frappe en plein cœur, familière, rassurante, troublante. Mes doigts effleurent son t-shirt du bout des phalanges, juste pour m’ancrer.

— Tu vas bien ? demande-t-il contre mes cheveux.

— Mieux maintenant, soufflé-je.

On se détache à peine, juste assez pour que nos regards se croisent à nouveau.

— Tu es prêt à affronter mes parents ? tenté-je avec un demi-sourire.

— J’ai affronté Orion au galop et ton regard le matin avant le café. Je peux survivre à ton père, non ?

Je ris, un vrai rire, léger, presque surpris. Et le poids sur ma poitrine se fait un peu moins lourd.

— Viens. Le repas est prêt. Et ma mère veut te juger en silence pendant que tu coupes ton pain.

— Parfait. J’adore les examens surprises.

On franchit la porte ensemble, côte à côte, sans frôlement ni empressement. Mais il y a une évidence tranquille dans nos gestes, comme si, malgré la tempête, quelque chose en nous s’était remis à sa place.

À peine la porte refermée, je sens la tension grimper en flèche. Maël se tient près de moi, calme en apparence, mais je perçois la crispation dans sa mâchoire. Son regard glisse rapidement sur la pièce, sur mes parents. Ma mère s’avance aussitôt, le sourire chaleureux et les yeux brillants.

— Bonjour Maël, je suis ravie de vous rencontrer enfin. Entrez, ne restez pas sur le pas de la porte !

Elle lui tend les deux mains, l’accueille comme un invité de longue date. Il sourit, sincère — ce sourire rare qu’il ne dégaine pas souvent, sauf quand il est touché. Il serre ses mains, un peu surpris par l’enthousiasme maternel.

— Merci beaucoup de m’accueillir, madame Delcourt. C’est très gentil à vous.

— Appelez-moi Hélène, voyons. Et puis, j’ai beaucoup entendu parler de vous… Vous avez marqué ma fille, à ce que j’ai compris.

Je lance à ma mère un regard mi-amusé, mi-exaspéré.

— Maman…

Mais elle s’éclipse déjà vers la cuisine, nous laissant seuls avec mon père. Et là, le contraste est saisissant. Mon père ne bouge pas d’un centimètre. Les bras croisés. Le regard fixe. Une statue de méfiance paternelle.

Maël, sans se démonter, s’avance et tend la main :

— Monsieur Delcourt.

Mon père le jauge de la tête aux pieds. Il serre sa main, mais sans chaleur. Son regard, lui, est un questionnaire silencieux.

— Vous avez des chevaux ? lui demande-t-il abruptement.

— Non, monsieur. Mais j’apprends vite.

— J’espère. Parce que ce n’est pas un rôle que vous jouez là. C’est du vivant.

Je me tends. Je déteste quand mon père fait ça. Mais Maël ne flanche pas. Il hoche la tête.

— Je sais. Et je prends ça très au sérieux. Vous avez élevé une fille impressionnante. J’essaie de me montrer à la hauteur.

Mon père plisse les yeux, sceptique, mais je sens que quelque chose, au fond, vient d’amorcer un minuscule déplacement.

— On verra, finit-il par dire.

Je souffle discrètement. C’est tout ce que j’espérais : qu’il ne le rejette pas d’emblée.

Maël vient s’asseoir à côté de moi, sans me frôler. Il respecte les distances, et ça n’échappe ni à moi, ni à mon père. Ma mère, de retour avec l’entrée, s’assied à côté de lui, visiblement ravie de sa contenance.

— Et alors, Maël, ça fait quoi de passer du cinéma aux chevaux ? C’est quand même un sacré changement de décor, non ? — C’est un défi. Mais je crois que je n’ai jamais été aussi sincère dans un rôle. Sans doute parce qu’il est inspiré d’une personne très réelle.

Je rougis aussitôt. Ma mère sourit de plus belle. Et mon père… lève un sourcil. Ça, c’est son équivalent d’un froncement de sourcils nucléaire.

— Vous avez intérêt à être sincère dans vos intentions aussi, jeune homme. Maël ne répond pas tout de suite. Il le regarde dans les yeux, sans se défiler.

— Je le suis. Et je le serai.

Silence. Ma mère croque dans un sablé. Mon père observe. Et moi, je retiens mon souffle. C’est un bon début.

Le repas se passe plutôt bien dans l’ensemble. Ma mère fait la conversation, et Maël excelle dans l’art de charmer les parents. Mon père reste sur la retenue. Ni charmé, ni braqué. Il pose une question ou deux, cinglantes mais polies, sur le métier de Maël, sur la célébrité, sur sa vision de l’engagement. Et à chaque fois, Maël répond avec calme, sans chercher à briller. Il reste lui-même.

À la fin du repas, je vais chercher mes affaires, les charge dans le 4x4. On salue mes parents, et je demande à Maël de me suivre avec son cabriolet.

Au moment de monter dans la voiture, je croise le regard de ma mère par la fenêtre. Elle me fait un petit signe de tête et un clin d’œil discret. Et ça suffit à me faire sourire. Elle a compris. Elle m’encourage.

Mon père, lui, reste dans l’encadrement de la porte, les bras croisés. Il ne dit rien, mais il observe. Il observe Maël démarrer son cabriolet avec prudence, à distance du mien, sans frime, sans geste brusque.

Je me demande comment gérer les choses. Comment parvenir à être forte pour lui, tout en contrôlant mon angoisse permanente. Mais ce que je sais, c’est qu’à cet instant, en le voyant me suivre, j’ai un peu moins peur.

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