Chapitre 23 - Isis

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Je termine mon tour des chevaux, le ventre légèrement noué. Je n’aurais peut-être pas dû dire tout ça à Maël. Je ne sais pas s’il est capable de le gérer émotionnellement. J’ai peur qu’il se mette une pression irraisonnable.
Et en même temps, je ne pouvais pas le lui cacher. Que se serait-il passé si je m’étais figée, si j’avais fondu en larmes, ou pire, fait une crise d’angoisse ?

Et puis, il y a eu cette phrase. « Je t’aime comme tu es. »
Si simple, et pourtant... elle soulève tant de questions.
Est-ce qu’il voulait dire je t’apprécie telle que tu es ? Ou plutôt je t’aime, peu importe ce que tu as vécu ?

Je doute que ce soit des mots qu’il prononce souvent. Et je ne suis même pas sûre qu’il les ait vraiment conscientisés.

J’ai hâte de le retrouver, et peur à la fois.
Si je ne ressentais rien pour lui, ces mots ne me bouleverseraient pas autant.
Mais ça va vite. Trop vite. Et j’ai peur qu’on se brûle. Je ne veux pas me perdre avec lui pour quelque chose d’éphémère.
Et je sais qu’il ne me promettra rien. J’ai besoin d’un engagement, clair.
Sinon, il ne doit plus me toucher — ni physiquement, ni émotionnellement.

C’est sur cette décision que je remonte vers l’appartement.

Quand je monte les marches, l’odeur d’épices et de sauce tomate vient m’envelopper. La lumière chaude de la cuisine, les casseroles encore tièdes, Maël qui s’agite à essuyer un plan de travail déjà propre — tout m’indique qu’il a tenté de bien faire. Et je suis touchée, sincèrement. Mais je n’ai pas le cœur à faire semblant. Pas après ce qu’il s’est dit.

Il me lance un sourire incertain, puis détourne les yeux en attrapant deux assiettes. Je m’approche, doucement.

— T’as fait tout ça… pour t’occuper les mains ? je demande.

Il hausse les épaules, sans me regarder.

— Ouais. J’avais besoin de faire quelque chose de concret.

J’inspire lentement. C’est le moment. J’en ai besoin.

— Maël, faut qu’on parle. Sérieusement.

Il se fige. Je continue, calme mais ferme :

— Tout à l’heure, t’as dit "je t’aime comme tu es". Et je sais que c’est peut-être sorti tout seul, sans réfléchir. Mais moi, je peux pas le prendre à la légère.

Il lève les yeux, sur la défensive.

— J’ai paniqué, ok ? J’ai jamais dit ça à personne. C’est pas que je le pense pas, c’est juste que j’suis paumé. Je sais pas ce que je ressens exactement, je veux pas te mentir.

— Alors ne dis plus rien, je coupe, doucement. Parce que moi, je peux pas continuer à faire comme si de rien n’était. À m’abandonner physiquement à toi, à te laisser entrer dans mon intimité, si toi t’es pas capable de savoir ce que tu veux. Moi, je ne fonctionne pas à moitié.

Il baisse la tête, la mâchoire tendue.

— Je t’en demande pas trop, Maël. Je te demande juste d’être clair. Parce que moi, je veux faire les choses dans l’ordre. Si tu veux juste de la tendresse, de la chaleur, sans lendemain clair, alors non. Ce n’est pas pour moi. Je ne peux pas m’abandonner à quelqu’un qui ne s’engage pas derrière. J’ai trop à perdre.

Un silence. Il semble encaisser le coup.

— T’as raison, finit-il par murmurer. C’est pas juste pour toi. T’as pas à te protéger de mes doutes.

Je hoche la tête.

— Je veux pas te forcer à quoi que ce soit. Prends le temps. Réfléchis. Mais tant que t’es pas sûr de vouloir vraiment être avec moi, pleinement, alors il ne doit plus rien se passer entre nous. Rien de physique. Rien d’ambigu.

Je le vois hocher la tête lentement, les mains toujours posées sur le bord de l’évier. Son regard croise enfin le mien. Plus calme. Plus lucide.

— Ok. Je vais réfléchir. Vraiment. Je veux pas te perdre… mais je veux pas non plus te faire du mal parce que j’ai pas été foutu de choisir.

— C’est tout ce que je te demande, Maël. Choisis. Pour de bon. Pas pour me rassurer. Pour toi. Et si tu reviens, je veux que ce soit entier.

Je le laisse là, dans le silence. Et je vais m’asseoir dans le salon, le cœur battant, mais le dos plus droit qu’il ne l’a été depuis longtemps.

Le silence s’est installé comme une nappe entre nous. Pas un silence hostile. Plutôt celui qui suit les mots importants, les décisions lourdes. Celui qu’on ne remplit pas de peur de briser quelque chose de fragile.

Maël dépose une assiette devant moi sans un mot. Son plat sent bon, les épices parfaitement dosées. Il a cuisiné comme pour me prouver qu’il était capable de prendre soin. Et il l’est, je le sais. Mais ce n’est pas de cuisine dont j’ai besoin.

— Merci, dis-je simplement, sans le regarder.

Il s’assied en face de moi, pousse machinalement les couverts du bout des doigts. Ses gestes sont précis, lents. Maël n’est plus dans la séduction. Il est dans la tempête silencieuse.

Je goûte, malgré le nœud dans mon ventre. Et c’est bon. Vraiment. Je lève les yeux vers lui.

— C’est réussi.

Il esquisse un demi-sourire, presque gêné.

— J’ai fait au feeling. Comme toujours.

Je ne réponds rien. Il mange quelques bouchées, sans lever les yeux. Pas un mot de trop. Pas un regard pesant. Juste une présence qui cherche à ne pas déranger.

— Je veux pas que tu crois que je fuis, finit-il par dire.

Je relève les yeux.

— Je ne crois rien. Je t’ai dit ce que j’attendais. Le reste, c’est à toi.

Il hoche la tête, visiblement touché par ma retenue. Mais c’est la seule façon que j’ai de me protéger tout en lui laissant de la place pour choisir.

Le repas se termine dans le même calme suspendu. Pas de gestes tendres, pas d’effleurements. Mais quelque chose de plus grand que le vide : le respect.

Quand il débarrasse la table, je l’observe. Il n’essaie pas de rattraper. Il ne cherche pas à me plaire. Il est simplement là, entier, un peu maladroit mais honnête.

Et ça, c’est déjà beaucoup.

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