Chapitre 24 - Maël

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Après une après-midi quasi silencieuse, où nous avons échangé juste le nombre de mots nécessaires, et une soirée tout aussi calme — pendant laquelle j’ai eu envie de la kidnapper dans mes bras à peu près toutes les cinq minutes —, Isis s’est retirée dans sa chambre, prétextant être fatiguée. Je ne suis pas dupe. Elle me laisse seul face à moi-même, face à cette décision que je dois prendre. Et vite.

Vite, parce que je me connais. Je sais que je ne vais pas résister bien longtemps à mes pulsions. Et je refuse de les laisser décider pour moi. Vite aussi, parce qu’elle mérite une réponse. Une vraie. Réfléchie, certes, mais pas dans quinze jours. Elle a besoin de savoir. Maintenant. Si je la choisis, elle, ou si je choisis la facilité. Mon confort. Ma foutue liberté illusoire.

Au fond, je sais que le choix est déjà fait. J’appelle Bastien plus de deux fois par jour juste pour lui parler d’elle. Et il me tuerait si je la laisse partir par manque de courage.

Mais entre le savoir et le formuler… il y a un putain de gouffre. Comment lui dire « oui, on est ensemble officiellement » quand je n’ai aucune idée de ce que ça implique, être en couple ? Quand je n’ai jamais su comment aimer sans tout casser ? Comment ne pas reproduire ce que j’ai vu, ce qu’on m’a appris : l’attachement comme faiblesse, la tendresse comme distraction. L’amour comme danger.

Je soupire, passe ma main dans mes cheveux, fixe la porte de sa chambre. Tout est calme derrière. Peut-être qu’elle dort déjà. Ou qu’elle attend. Qu’elle espère que je frappe. Que je prenne une décision.

Et moi, je reste là, planté au milieu du salon, les yeux grands ouverts, à crever d’envie de la rejoindre. De la voir là, vulnérable, abandonnée dans mes bras. De sentir sa peau chaude contre la mienne, cette odeur qui me rend dingue. D’avoir enfin la permission de lâcher prise.

Je sens le désir me submerger. Mes pensées dérivent, et mon corps suit. Une tension sourde monte, irrépressible. Je prends un coussin et le plaque contre mon visage. J’ai envie de hurler dedans. Alors je le fais. Étouffé. Un cri de frustration, de confusion, de trouille aussi.

Il faut que je pense à autre chose.

Parce que si elle me trouve dans son salon, en pleine érection et l’air d’un type prêt à faire une connerie… Je doute qu’elle ait encore envie de s’engager avec moi.

Et pourtant, c’est ce que je veux.

Je veux être ce gars. Celui qui fait les choses dans l’ordre. Qui ne la blesse pas. Qui ne fuit pas. Celui qui apprend.

Mais putain, pourquoi est-ce que rien de tout ça ne m’a jamais été appris ? Pourquoi est-ce que le simple fait d’aimer — vraiment aimer — me semble aussi étranger qu’une langue que je n’ai jamais apprise ?

Je baisse les yeux vers le canapé. Je repense à son sourire, à sa peur, à sa force aussi. À cette phrase que j’ai prononcée presque sans m’en rendre compte : « Je t’aime comme tu es. »

Et là, je panique un peu.

Parce que je crois que c’est la première fois que je dis ça à quelqu’un. Et que je ne suis même pas sûr de savoir ce qu’on ressent, quand on aime. Est-ce que c’est ça ? Cette peur de la perdre ? Ce besoin d’être meilleur, pour elle ? Cette envie de la protéger sans l’étouffer, de la toucher sans la briser ?

Je n’ai pas encore toutes les réponses.

Mais je sais une chose.

Je dois les trouver. Pour elle.

Je reste affalé sur le canapé, le coussin toujours plaqué contre mon visage, à moitié étouffé par un mélange de frustration, de gêne et… de pulsions incontrôlées. Puis je lève un peu la tête pour respirer et constate que la situation n’a pas vraiment changé en bas. Génial.

Soudain, j’entends le parquet grincer. Je me fige. Merde. Des pas légers s’approchent. J’arrache le coussin de mon visage, mais au lieu de le reposer tranquillement, dans un mouvement désespéré, je le rabats sur mon entrejambe. Tactique de camouflage niveau survie.

La porte s’ouvre doucement. Isis apparaît, frottant ses yeux, pieds nus, le sweat tombant sur une épaule.

— Maël ?... Tout va bien ?

Je me redresse à moitié, coussin bien en place, voix un peu trop aiguë :

— Oui ! Oui oui, tout va très bien, pourquoi ?

Elle s’avance, l’air à moitié réveillée, mais avec ce regard-là… celui qui ne rate rien. Elle balaye la pièce d’un œil, m’observe brièvement — puis son regard descend vers le coussin suspectement positionné. Ses sourcils se haussent une micro-seconde. Mais elle ne dit rien. Pas un mot. Pas même un sourire en coin.

Respect éternel.

— J’ai entendu… un bruit bizarre. J’ai cru que t’étais en train de… je sais pas, étrangler un animal ou t’étouffer.

— Non, non. Juste... moi-même. Version silencieuse. Enfin, presque silencieuse.

Elle penche légèrement la tête, bras croisés, un peu plus amusée maintenant, mais toujours digne.

— Tu veux qu’on en parle ou tu préfères que je fasse comme si je n’avais rien vu ?

Je laisse tomber ma tête en arrière contre le dossier du canapé, un rire nerveux m’échappe.

— J’hésite entre les deux.

Elle vient s’asseoir doucement à côté de moi, sans commentaire, sans allusion. Simplement là.

— Tu veux que je reste un peu ? demande-t-elle.

Je hoche la tête, puis me corrige :

— Oui. Reste. Juste… pas trop près pour l’instant. Pour des raisons techniques.

Elle esquisse enfin un sourire, celui qui me fait fondre, mais elle respecte la distance.

— Tu sais, on peut parler sérieusement. Même si t’as un coussin de protection. Je suis capable de dissocier les sujets.

— Et tu fais ça très bien, dis-je, soulagé de voir qu’elle ne se moque pas, qu’elle ne dramatise pas non plus.

Un silence doux s’installe. Elle attrape ma main posée entre nous. Ses doigts effleurent les miens.

— J’ai compris que t’étais perdu. Moi aussi je le suis, tu sais. Mais je préfère un mec paumé et honnête, qu’un mec sûr de lui qui joue un rôle.

Je tourne lentement la tête vers elle.

— J’ai jamais autant eu envie de bien faire.

— Alors commence par respirer. Et arrête de torturer ce coussin, il est innocent.

Je ris. Cette fois, franchement.

Et là, dans ce calme partagé, le ridicule de la situation fait place à quelque chose de plus vrai. On reste là un moment, côte à côte. Elle pose sa tête sur mon épaule. Le coussin reste où il est — bouée de sauvetage, symbole de dignité préservée — mais je sens que ce moment, malgré tout, nous rapproche.

Comme la nuit précédente, elle finit par s’endormir sur mon épaule, et comme la nuit précédente, je la remets au lit espérant bientôt pouvoir m’y coucher moi aussi.

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