Chapitre 26 - Maël

6 minutes de lecture

Je fulmine.
J’ai réussi à me contenir devant Isis, mais maintenant qu’elle est partie s’occuper des chevaux, j’ai juste envie de tout casser.
Cette enflure a osé. Oser s’attaquer à elle. Oser continuer à essayer de la détruire.
Et moi ? Je suis resté là. Sans vraie réaction. Mou. Nul.

J’ai besoin d’agir. De lui offrir des solutions, tout de suite. Je ne peux pas rester là à ruminer. Il me faut du concret.
Et je sais exactement qui appeler : Bastien. Encore et toujours.
Il m’a déjà sorti de la merde plus d’une fois avec les magazines people, les scandales, les attaques.
S’il y a quelqu’un qui sait comment on riposte, c’est lui.

Je dégaine mon téléphone. Je l’appelle sans réfléchir. Sans même me demander s’il dort, s’il est occupé, s’il en a marre de moi.

Je veux juste qu’il décroche.

Le téléphone sonne deux fois.

Dis-moi que t’as pas encore foutu le feu à quelque chose.
La voix de Bastien, encore à moitié ensommeillée, me fait serrer les dents.

Il a parlé d’elle, Bastien. Dans une interview. Il a sali son nom, son travail, il a tout retourné comme un putain de pervers narcissique. Et je suis resté planté là comme un con pendant qu’elle pleurait.

Silence à l’autre bout. Puis un soupir.

Ok. Dis-moi tout. Mot pour mot, ce qu’il a dit, dans quel média, à quel moment. On va pas faire de la réaction émotionnelle, on va faire de la stratégie.

Je respire, vite. J’ouvre l’article encore affiché sur l’écran de mon téléphone.

Il l’accuse de diffamation, dit qu’elle est jalouse de son succès, qu’elle vit sur le dos de ses parents. Il parle même d’Orion, qu’elle aurait "saboté" exprès pour le priver d’un cheval de concours. Il la traite de manipulatrice, d’instable. Il dit qu’elle se venge de leur rupture parce qu’elle ne s’en est jamais remise. C’est immonde.

Putain…
Sa voix se durcit instantanément. Bastien, en mode guerrier.

C’est quoi le média ?

Équin Actualité. En ligne depuis ce matin. Titre bien putassier. Il sait ce qu’il fait. Il joue la carte du gentil mec trahi par une folle.

Évidemment. Il veut la décrédibiliser. L’isoler. L’empêcher de bosser dans son milieu. Classique. Et dégueulasse.

On peut faire quoi ?

Tu me laisses vingt minutes. Je vais fouiller son passif. Si t’as des preuves, même minimes, envoie-les-moi. Copies d’écran, mails, tout. On va construire un contre-feu. Mais surtout, Maël, pas un mot de ta part dans la presse. Rien. Pas de story, pas d’interview off, pas de commentaire en mode chevalier blanc. Tu veux la défendre ? T’as intérêt à faire ça propre. Pas impulsif.

Je serre les dents. L’envie de hurler dans un micro est là, mais je sais qu’il a raison.

Et elle ? Elle est comment ?

Brisée. Mais elle s’est contenue. Elle voulait pas que je la voie comme ça.

Un silence.

Alors sois là. Et reste digne. Je m’occupe du reste.

Je ferme les yeux.

Merci, Bast.

Je te rappelle très vite. Et Maël ?
Ouais ?
T’as enfin trouvé une vraie raison de te battre. Laisse pas ce connard gagner.

Il raccroche.

Je reste un instant immobile, le cœur battant.
Cette fois, c’est pas du cinéma.

C’est réel. Et je vais être là. Jusqu’au bout.

Je raccroche. Je serre le téléphone si fort que j’ai des fourmillements dans la main. Je Je raccroche. Je serre le téléphone si fort que mes doigts picotent. Mon cœur cogne dans ma poitrine comme s’il cherchait une issue. J’ai la gorge nouée par la rage — une rage sourde, glaciale, maîtrisée juste assez pour ne pas exploser.

Mais c’est pas la colère qui me plie en deux. C’est l’impuissance.

Elle souffre. Et moi, je suis là, à organiser des stratégies, à passer des coups de fil, comme si je pouvais réparer ça avec des plans de guerre et deux punchlines bien placées. Mais je ne peux pas effacer ce qu’il lui a fait.
Je ne peux pas effacer ses cicatrices.
Ni sa peur.
Ni cette solitude qu’elle traîne comme une armure.

Et la question me revient, lancinante : est-ce que je suis à la hauteur ?

Pas juste pour gérer une crise.
Pas juste pour jouer les protecteurs temporaires.
Mais pour elle. Pour ce qu’elle est vraiment, avec ses failles, sa lumière, ses silences.

Parce que ce qu’elle m’a ouvert… ce n’est pas un jardin secret. C’est un champ de bataille. Et j’ai marché dedans avec mes godasses de touriste, sans toujours voir les mines.

Et j’ai peur. Pas d’elle. Pas de ce qu’elle a vécu.

J’ai peur d’être encore ce mec qui croit savoir aimer, mais qui recule dès que ça devient réel. Dès que ça demande plus que du désir, plus que des mots.

Et pourtant, putain… j’ai jamais eu autant envie d’être cet homme-là. Celui qui reste. Celui qui soigne. Celui qui construit, au lieu de fuir.

Je prends une grande inspiration.

Je ne vais pas lui dire tout ça. Pas encore. Ce serait trop. Trop tôt. Trop flou.

Mais je peux lui montrer. Pas avec de grandes promesses ou des phrases trop lourdes.

Un geste doux. Un regard vrai. Une écoute attentive. Une main tendue sans chercher à saisir.

C’est comme ça qu’on gagne la confiance d’une femme qui n’en a plus donné depuis longtemps.

C’est comme ça qu’on mérite une Isis Delcourt.

En attendant que Bastien me rappelle, je rejoins Isis.

Elle est là, immobile, le regard perdu quelque part entre les paddocks et un souvenir trop lourd. Son visage est fermé, lisse, presque inexpressif. Mais je vois bien que ce n’est pas du calme — c’est du verrouillage. Un mode survie.

Je ne suis même pas sûr qu’elle m’ait entendu arriver.

Je m’approche doucement.
— Isis…

Elle ne réagit pas. Je me place face à elle et l’oblige à s’arrêter. D’un geste lent, je glisse mes doigts sous son menton, relève doucement son visage.

— Regarde-moi, soufflé-je.

Ses yeux croisent les miens. Et là, sans un mot, tout lâche.

Ses prunelles se brouillent de larmes en quelques secondes. Puis la digue cède d’un coup, brutale. Elle s’effondre contre moi en sanglots, comme si son corps ne tenait plus rien debout.

Je l’attrape au vol. La serre contre moi comme si ma seule étreinte pouvait l’empêcher de s’éparpiller. Je glisse une main dans ses cheveux, l’autre entre ses omoplates, et je reste là, ancré, solide, pour deux.

Tess, fidèle ombre silencieuse, vient poser sa tête contre la jambe de sa maîtresse, et gémit doucement, comme pour lui dire qu’elle est là, elle aussi.

Les chevaux, un à un, lèvent la tête. Ils sont figés, attentifs. Une alerte silencieuse flotte dans l’air. Plus un bruit. Même le vent semble avoir cessé de souffler.

Il n’y a plus que ses pleurs. Bruts. Incontrôlables.
Et moi, qui la tiens. Qui la retiens. Qui l’écoute avec tout mon corps.

Je ne parle pas. Il n’y a rien à dire.
Je suis là. C’est tout ce que je peux lui offrir. Mais c’est déjà beaucoup.

Je reste un moment là, assis près d’elle, à simplement respirer. Son regard semble un peu moins perdu. Mais elle ne parle toujours pas. Et je sens bien qu’elle n’est pas en état de faire quoi que ce soit. Ni manger. Ni réfléchir. Ni même dire ce dont elle aurait besoin.

Alors je prends une décision. Discrète. Respectueuse.

Je repère son téléphone, posé sur le bar de la cuisine. L’écran est encore allumé, sur l’article. J’appuie doucement pour le verrouiller. Puis je cherche dans ses contacts : Papa, Maman — simples, clairs.

Je choisis sa mère. C’est elle qui a su lire en moi dès le début. C’est à elle qu’elle aura le moins de mal à se raccrocher, j’en suis sûr.

Je m’éloigne dans le couloir pour ne pas l’inquiéter, et j’appelle.

— Allô ?
— Madame Delcourt ? C’est Maël.

Un court silence. Puis sa voix, un peu surprise, un peu inquiète.

— Maël ? Est-ce que tout va bien ?
— Pas vraiment. Isis vient de lire un article… de son ex. Ce type a balancé des horreurs sur elle. Elle s’est effondrée. Là, elle est en état de sidération. Je suis avec elle. Je reste. Mais je pense qu’elle aurait besoin de vous.

Pas un mot. Puis, tout doucement :

— D’accord. On arrive. Merci, Maël.

Je raccroche. Je respire. J’ai fait ce que je pouvais. Et je reste là, dans le couloir, une seconde de plus, le front appuyé contre le mur.

Elle n’est plus seule. Et moi non plus.

Annotations

Vous aimez lire A Srd ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0