Chapitre 27 - Isis

5 minutes de lecture

Je suis encore recroquevillée sur le canapé, le regard fixé sur un point indistinct du mur. Je n’ai pas pleuré depuis un moment, mais mes joues restent humides, ma respiration courte. Je me sens vide. Comme si tout ce que j’étais venait de se dissoudre, emporté par le venin d’un homme qui refuse encore de me lâcher.

Je n’ai pas entendu Maël s’éloigner. Je ne sais pas où il est. Peut-être qu’il a fui. Peut-être qu’il m’en veut de m’être effondrée. Je n’ai pas l’énergie de vérifier.

Puis un bruit, étouffé. Une portière qu’on claque au-dehors. Des pas rapides sur le gravier. Et la porte s’ouvre. Mon cœur rate un battement.

— Ma chérie… souffle ma mère.

Elle se précipite vers moi, tombe à genoux devant le canapé. Ses mains prennent mon visage, l’examinent comme si elle voulait s’assurer que je suis entière. Je n’ai même pas la force de parler. Je me contente de hocher doucement la tête.

Son regard se trouble. Elle m’attire contre elle, sans forcer, juste assez pour m’envelopper dans sa chaleur connue, maternelle. Je sens ses doigts qui caressent mes cheveux comme quand j’étais enfant. Et d’un coup, tout remonte. La terreur. La honte. La colère. Mais je reste muette.

Mon père est derrière elle. Debout, rigide, les poings serrés. Son regard balaye la pièce, tombe sur Maël qui reste à l’écart, bras croisés, la mâchoire contractée. Il ne dit rien, ne bouge pas. Il est là, simplement. Et son regard croise le mien.

Il sait. Il comprend. Il n’a pas fui.

— Qu’est-ce qu’il a encore fait ? demande mon père, la voix grave.

Je secoue la tête. Ce n’est pas le moment de parler, pas encore. Ma mère le comprend, pose une main sur le bras de mon père pour l’empêcher d’insister.

— On va s’occuper de toi, murmure-t-elle. Tu n’es plus seule, d’accord ?

Je m’accroche à cette promesse. Juste ça. Pas d’explication, pas d’action immédiate. Juste l’idée que je ne suis plus seule.

Je sens Maël s’approcher. Il pose une tasse de thé fumante sur la table, sans un mot. Ses doigts frôlent à peine les miens. Et c’est tout ce dont j’ai besoin.

Je reste blottie contre ma mère, incapable de bouger. J’entends les chuchotements à travers le coton épais de mon brouillard mental. J’essaie de me raccrocher à leurs voix. À leur calme.

Maël se lève et s’approche lentement, sans geste brusque. Je sens plus que je ne vois mon père se redresser à son tour. Le poids de la tension masculine flotte entre eux, dense et électrique.

— Monsieur Delcourt, commence Maël d’une voix calme, posée. C’est moi qui ai appelé. Elle... n’était pas en état de vous prévenir elle-même.

Mon père le fixe, silencieux. J’imagine ses mâchoires contractées. Il hoche la tête, une seule fois.

— Merci d’avoir eu ce réflexe, finit-il par dire. Même si j’aurais préféré ne pas avoir à revenir ici pour ça.

— Je comprends. Et je suis désolé que ça vous ait pris au dépourvu. Mais elle avait besoin de vous. De votre présence.

Un silence. Puis la voix plus douce de ma mère.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé, Maël ? On ne comprend pas bien. Elle nous a parlé un peu de ce type, mais pas dans ces termes-là...

— Gabriel a donné une interview. Publiée ce matin. Il l’a attaquée... personnellement, professionnellement. Il l’accuse de diffamation, de sabotage. Il l’humilie. Et il salit tout ce qu’elle a construit.

Je sens la colère froide de mon père traverser la pièce comme une vague.

— Cet enfoiré. Il recommence.

Maël acquiesce, mais sa voix reste calme.

— Je pense qu’il faut envisager une réponse. Médiatique. Légale. Tout ce qui est possible. Elle ne peut pas se défendre seule contre ça. Pas encore.

Ma mère se tourne vers lui.

— Et vous ? Vous êtes prêt à rester ? À encaisser ce que ça implique ?

Je relève les yeux malgré moi. J’ai besoin d’entendre sa réponse.

Maël soutient son regard sans vaciller.

— Je suis là. Et je ne compte pas partir.

Il n’a pas crié. Pas juré. Pas juré fidélité non plus. Mais dans sa voix, il y avait cette détermination tranquille, cette sincérité brute. Et pour la première fois, je le crois totalement.

Maël s’est éclipsé dans la chambre avec mon père. Je les entends parler à voix basse, entre deux éclats de tension contenus. Le genre de conversation où l’on cherche des solutions concrètes, immédiates. Mon père parle de contact presse, d’avocat, de communication de crise. Maël répond posément, mais je perçois dans ses silences une détermination glacée.

Je suis restée sur le canapé, le plaid toujours serré autour de mes épaules, quand ma mère s’assoit doucement à côté de moi. Elle ne dit rien tout de suite. Elle se contente de passer une main dans mes cheveux, lentement, comme quand j’étais petite.

— Tu veux qu’on parle ? murmure-t-elle finalement.

Je secoue la tête, mais mes yeux se remplissent malgré moi.

— Je suis fatiguée, dis-je dans un souffle.

— Je sais, ma chérie.

Elle continue ses gestes doux, apaisants.

— Tu n’aurais jamais dû avoir à te battre autant. Et sûrement pas contre lui. On aurait dû faire plus, à l’époque. On aurait dû insister pour que tu portes plainte.

Je prends une grande inspiration.

— Je n’étais pas prête. Je n’aurais pas tenu un procès. Je n’aurais pas supporté de devoir raconter les détails, de me faire décortiquer en public.

Elle hoche la tête.

— Je comprends. Mais tu sais… il n’est pas trop tard. Ce qu’il a fait là, aujourd’hui, ça rouvre la porte. Ce n’est plus uniquement ton histoire privée. Il est allé trop loin. Et tu n’es plus seule.

Je laisse échapper un soupir tremblant.

— J’ai peur, maman. Qu’il me détruise. Encore. Ou que Maël parte en courant en découvrant l’étendue des dégâts.

Elle attrape ma main, la serre doucement.

— Ce garçon t’aime. Peut-être qu’il ne l’a pas encore formulé comme il faut, mais ça se voit, Isis. Il est resté. Il agit. Il t’écoute. Et surtout, il te voit vraiment. Pas seulement ce que tu montres.

Un silence.

— Et toi ? Tu l’aimes ?

Je ferme les yeux. L’image de Maël, là, dans le salon, en train de convaincre mon père de le laisser l’aider, me revient.

— Je crois que oui, murmuré-je. Et c’est ça qui me terrifie.

Elle me sourit doucement, comme si elle comprenait tout.

— Alors bats-toi pour toi. Mais laisse-le se battre pour toi aussi. Tu n’as plus besoin de tout porter seule.

Je cale ma tête contre son épaule, comme je ne l’ai plus fait depuis l’adolescence. Juste un instant. Juste pour me rappeler que je suis encore cette fille-là aussi. Aimée. Soutenue.

Et pour la première fois depuis ce matin, je me sens un peu moins seule dans ce bordel.

Annotations

Vous aimez lire A Srd ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0