Chapitre 29 - Isis

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Je suis assise sur le canapé, une tasse de thé entre les mains. Ma mère a discrètement rejoint la cuisine, me laissant le temps de respirer, seule. Je suis encore dans cette bulle cotonneuse de sidération, où tout semble étouffé, lointain. Mon cœur bat au ralenti, comme si mon corps refusait encore de s’ancrer pleinement dans le réel.

La porte s’ouvre doucement. Maël entre sans bruit, son regard immédiatement accroché au mien. Il s’approche avec une lenteur volontaire, comme s’il voulait me laisser la possibilité de le repousser à tout moment. Mais je ne le repousse pas. Il s’accroupit devant moi, à hauteur de mes yeux, et pose doucement ses mains sur mes genoux.

— Isis… j’aimerais t’expliquer ce qu’on a mis en place avec ton père. Rien de précipité, rien sans ton accord. Juste un plan. Un filet de sécurité, si tu veux.

Je hoche légèrement la tête. J’ai besoin de concret. De sentir qu’il y a encore des choses que je peux maîtriser.

— Bastien va activer son réseau. Officiellement, il va répondre par voie juridique, en commençant par une mise en demeure pour diffamation. Ton père a déjà contacté un avocat spécialisé, qui prendra le relais pour le dépôt de plainte. On avance vite, mais calmement.

Sa voix est basse, rassurante. Je sens qu’il fait des efforts pour ne pas laisser la colère transparaître.

— Et moi ? je demande dans un murmure.

— Toi, tu n’as rien à faire, rien à prouver. Tu vas être entourée. Protégée. Ton nom va être lavé, et surtout… tu ne seras plus jamais seule face à lui.

Je sens ma gorge se serrer. Je baisse les yeux vers ses mains posées sur mes genoux. Je glisse les miennes dessus, lentement. Le contact me réchauffe.

— Merci… d’être là, je souffle.

Il sourit. Ce sourire doux que je ne lui connaissais pas au début. Celui qu’il garde pour les moments les plus fragiles.

— Je ne suis pas là pour jouer un rôle, Isis. Je suis là parce que je te choisis. Et parce que je veux te voir te relever.

Je n’ai pas la force de parler. Alors je me contente de me pencher légèrement vers lui. Mon front touche le sien. On reste comme ça. Deux souffles mêlés. Deux présences enfin alignées.

Au bout d’un moment, il m’aide à me lever, doucement, m’accompagne jusqu’à la table où ma mère vient de poser des assiettes. Mon père les rejoint quelques minutes plus tard.

Avant de partir, il s’approche de moi, une main sur mon épaule.

— Et au fait… tu verras passer une publication de Maël dans la journée. Il a tenu à faire les choses proprement, à sa manière. Rien de personnel. Juste une remise au point publique, simple et digne.

Je lève les yeux vers Maël, interloquée. Il détourne le regard, un brin gêné.

— Je ne voulais pas t’en parler tout de suite, dit-il doucement. Je ne voulais pas que tu aies à porter ça en plus.

Et cette fois, je n’ai pas de mot. Juste cette boule dans la gorge. Ce sentiment si étrange d’être enfin portée, soutenue.

Et pour la première fois depuis longtemps, je ne me sens plus seule dans la tempête.

Mes parents partent, et Maël s’occupe du repas. Je ne l’écoute qu’à moitié, les yeux rivés sur l’écran de mon téléphone. Je guette les réactions à l’article de Gabriel et à la publication de Maël.

Certains ont fait le lien entre les deux, sans vraiment comprendre la position de Maël. Les avis sur l’article sont plus partagés que je ne l’aurais imaginé. Une vague de soutien se dessine. Des éleveurs, des propriétaires que j’ai aidés ces dernières années, des gens qui me suivent sur les réseaux, ou qui m’ont croisée en stage ou lors d’événements, prennent la parole. Des mots de soutien, des témoignages. Ça me touche. Vraiment. Et surtout, ça ravive une chose que j’avais perdue : l’envie de me battre.

Maël s’approche et me prend doucement le téléphone des mains.

— Plus de téléphone ce soir. Tu vas finir folle si tu continues à lire les commentaires. Crois-en quelqu’un qui a déjà eu affaire aux médias.

— Aux médias ?

— Alors tu n’as vraiment jamais lu les articles à mon sujet ?

— Non. Je te l’ai dit, je voulais me faire ma propre opinion.

Il sourit. Un sourire étonné, presque attendri. Il s’apprête à dire quelque chose, puis se ravise. À la place, il dépose un baiser sur mon front.

Je ferme brièvement les yeux. Son contact m’apaise plus que je ne veux l’admettre.

— Maël… tu peux dormir avec moi cette nuit ? Je sais que tu ne m’as pas donné ta réponse… mais j’ai vraiment besoin de ne pas être seule.

Il me regarde, droit dans les yeux.

— Tu penses vraiment que je ne te l’ai pas donnée ?

— Pas clairement.

Il pose son front contre le mien.

— Si, Isis. Très clairement. Je me suis rangé à tes côtés. Je me bats pour toi. Je t’ai choisie… ou plutôt, ça s’est imposé à moi. C’est une évidence.

Nous nous dirigeons vers ma chambre. Juste nos pas, côte à côte. Il ne me presse pas, ne me touche pas. Mais sa simple présence suffit à calmer ce qui tremble encore à l’intérieur de moi.

Dans ma chambre, je referme la porte derrière nous. Il reste près de l’entrée, les mains dans les poches, comme s’il attendait une autorisation. C’est moi qui fais le premier pas. Je m’approche, doucement, et pose une main sur son torse.

— Merci… de rester.

Il hoche la tête, pose sa main sur la mienne.

— Je reste autant que tu veux.

Je désigne le lit d’un mouvement du menton, et m’y glisse sans un mot. Je tire la couette, tapote une seconde oreiller. Il comprend.

Il retire son sweat, garde son t-shirt et son short, puis me rejoint. Il s’installe de son côté, en retrait. Mais je me rapproche, cherche instinctivement sa chaleur. Il m’ouvre ses bras, sans rien dire.

Je me glisse contre lui, la tête calée dans le creux de son épaule. Il referme son bras autour de moi, juste assez pour m’entourer. Il ne cherche rien. Il n’attend rien. Il est là. Entier.

— Tu trembles encore un peu, murmure-t-il, les lèvres dans mes cheveux.

— Je crois que je vais mettre un moment à ne plus trembler, dis-je dans un souffle.

Il ne répond pas. Il pose simplement sa main sur mon bras et commence à tracer de légers cercles du bout du pouce. Un geste hypnotique, instinctif. Une attention.

La pièce est calme. Seul le froissement des draps, le battement régulier de son cœur contre ma tempe. Tout ralentit. Mes pensées, mon corps, ma peur.

— Tu veux parler ? me glisse-t-il.

— Pas ce soir. Juste… rester là.

— Alors on reste là.

Je ferme les yeux. Sa respiration m’apaise. Mon souffle se cale au sien, plus lentement. Et pour la première fois depuis ce matin, je sens mon ventre se dénouer. Je suis bien. Pas euphorique, pas insouciante. Mais en sécurité.

Il glisse un baiser dans mes cheveux, à peine effleuré, et je sens sa main se détendre dans la mienne.

On ne parle plus. On ne bouge plus.

Et c’est comme ça, entre chien et loup, entre deux silences, que je finis par m’endormir.

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